Au-delà de Gaza, au-delà de Beyrouth, les vrais objectifs d’Israël par Jean-François Legrain (chercheur au CNRS/GREMMO)

dimanche 23 juillet 2006.
 

Les événements que connaissent la bande de Gaza et le Liban ces dernières semaines sont liés dans la chronologie mais aussi et surtout par une même logique politique. Les observateurs sont ainsi unanimes pour reconnaître une inadéquation entre les objectifs annoncés par le gouvernement d’Israël (libérer ses prisonniers et empêcher les tirs de roquettes) et la destruction systématique des infrastructures civiles palestiniennes et libanaises. Il faut donc aller chercher ailleurs les raisons réelles de ces campagnes militaires préparées de longue date et officiellement menées en réponse à des actes vers lesquels conduisait la politique israélienne.

L’unilatéralisme caractérise cette politique conçue par Ariel Sharon avec le soutien des travaillistes. Basée sur les seuls rapports de forces, elle vise à réaffirmer la capacité dissuasive de l’État d’Israël par la violence infligée à des populations civiles et à imposer ses propres solutions à toute la région en profitant de l’acquiescement actuel de la communauté internationale.

Pour mobiliser le monde autour de la défense de ses intérêts justifiés en termes de sauvegarde communautaire, le gouvernement d’Israël mise depuis longtemps déjà sur la radicalisation de ses adversaires. Ainsi l’évacuation de ses colons et de son armée en septembre 2005 n’a jamais signifié la fin de l’occupation militaire de Gaza mais a conduit à la mise en place d’une nouvelle forme de domination, beaucoup plus oppressive même si menée de l’extérieur. Le quotidien d’une population maintenue au bord de la catastrophe humanitaire a constitué l’explosif des violences actuelles dont le détonateur aura été les éliminations ciblées et les bombardements aériens.

Aujourd’hui comme hier, le gouvernement israélien mène une politique de délégitimation du leadership palestinien, qu’il s’agisse de Yasser Arafat, de Mahmoud Abbas, premier ministre puis président de l’Autorité, et d’Ismaïl Haniyyeh. On aurait tort de penser que le premier ministre Olmert vise à abattre Haniyyeh pour remettre en selle le Fatah et Abbas. Aucun interlocuteur ne trouve grâce. Les violences d’aujourd’hui détournent une nouvelle fois l’attention des réalités en cours en Cisjordanie tout en concourant au renforcement de leurs « justifications ».

La construction du mur, qui ne protégera jamais de tirs de roquettes et n’empêche que très marginalement les opérations suicides, se poursuit plus que jamais. Il vise à donner une assise matérielle au dessin unilatéral des frontières d’Israël, décidé à maintenir son contrôle sur les ressources en eau de la Cisjordanie tout en empêchant la mise en place d’un État palestinien au vrai sens du terme et viable. L’annonce d’un éventuel retrait unilatéral de certaines colonies isolées de Cisjordanie s’accompagne de l’intensification de la colonisation au coeur de la région. La violence des incursions et des bombardements se conjugue ainsi avec les conditions infernales du quotidien. La nouvelle politique de bannissement de catégories toujours plus nombreuses de Palestiniens et d’étrangers résidents mise en place ces derniers mois constitue, enfin, un autre aspect de cette finalité résumée par la chercheuse israélienne Tanya Reinhart : « Comment achever la guerre de 1947-1948 ? »

En faisant porter la responsabilité des violences d’aujourd’hui aux seuls Hamas et Hezbollah, la communauté internationale se fait le relais en connaissance de cause du discours israélien. Un redoutable engrenage est pourtant en train de se mettre en place dont nul ne connaît le terme. Le gouvernement d’Israël n’est-il pas comme par le passé en train de pousser ses adversaires à commettre des actes qui ne lui apporteront qu’une justification de plus auprès de la communauté internationale pour de nouvelles initiatives qui, à leur tour, entraîneront de nouvelles violences ? Du Hamas et de Gaza, nous sommes passés au Hezbollah et au Liban. Le terme de cette course folle se trouve-t-il en réalité à Damas ou même à Téhéran ?

George Bush voit le terme de son mandat approcher et la communauté internationale est actuellement dans une phase de tension avec la Syrie comme avec l’Iran. Cette conjonction, maintenant que l’Irak est à terre, sera-t-elle saisie comme une occasion par le gouvernement israélien pour régler à sa manière la question de ses voisins les plus encombrants ? À quel prix pour le reste du monde ? Les Palestiniens, une nouvelle fois, auront été en « zugzwang », comme aux échecs obligés par le gouvernement israélien de jouer un coup perdant. La communauté internationale se laissera-t-elle entraîner à son tour dans pareille stratégie ?

Publié le 21 juillet 2006

* Chercheur CNRS/GREMMO (Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Lyon).


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