« Pour les cadres, la situation de travail sera pire qu’avant les 35 heures »

mercredi 16 juillet 2008.
 

Alain Vidalies, député socialiste des Landes, est spécialiste de droit social. Pour liberation.fr, il commente la modification de la loi sur le temps de travail des cadres, votée à l’Assemblée, qui prévoit un « plafond » moyen de 235 jours annuels pouvant aller jusqu’à 282 jours.

Que signifie cette nouvelle réglementation du travail pour les cadres ?

Jusqu’à présent, le maximum de jours de travail annuels était de 218. Le texte présenté par le gouvernement permet d’aller jusqu’à 282 jours de travail. L’amendement présenté fixe à 235 jours le nombre maximum de jours travaillés. Mais il ne s’agit pas véritablement d’un plafond, parce qu’on pourrra aller jusqu’à 282 jours avec un accord d’entreprise.

Concrètement, que cela signifie-t-il ?

Pour 235 jours, cela peut représenter jusqu’à 3.055 heures de travail possible. Parce que ces salariés qui sont au forfait journalier peuvent travailler 13 heures par jour et que la seule règle qui les protège, c’est la réglementation européenne qui impose 11 heures de repos d’affilée quotidiennement.

Cela veut donc dire que le pire est peut-être encore à venir pour les cadres ?

Les 235 jours ne seront pas un plafond, puisqu’avec un simple accord d’entreprise, on pourra aller jusqu’à 282 jours de travail par an. C’est-à-dire que tous les jours sont alors travaillés, sauf les 52 dimanches, le 1er mai et les 30 jours de congés payés obligatoires.

Peut-on dire qu’on revient au droit social d’avant 1936 ?

C’est d’autant plus grave que la ligne de force de leur réforme, c’est dorénavant d’affirmer la supériorité de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Autrement dit, si vous êtes dans une entreprise en difficulté et que l’enjeu c’est le maintien de l’emploi, on voit bien ce que les salariés seront obligés d’accepter.

C’est ce qui s’est passé chez Bosch et GoodYear, avec un chantage à la délocalisation pour renégocier l’accord 35 heures ?

Exactement. Ces salariés sont désormais obligés de travailler deux samedis sur quatre sur la pression de la menace de la délocalisation.

Quid des deux jours de repos par semaine ?

Les députés de la majorité ont proposé un amendement pour sauvegarder ces principes, mais en même temps ils permettent d’y déroger par un accord d’entreprise. Les 235 jours et les deux jours de repos hebdomadaire ne sont garantis qu’en l’absence d’un accord d’entreprise. Car il ne faut pas s’y tromper, le bouleversement le plus important, c’est de donner dorénavant la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.

Concrètement, qu’est-ce que cela représente ?

La première conséquence, c’est que les questions sociales vont devenir un paramètre de concurrence entre les entreprises qui ont la même activité. Et donc on comprend bien qu’il y aura un alignement par le bas, puisque pour garder leur compétitivité, les entreprises pourront évoquer le moins disant d’un accord existant dans une entreprise concurrente.

C’est tout le fonctionnement du marché du travail qui va en être modifié ?

Exactement, car aujourd’hui, compte-tenu du stress au travail, de l’explosion des maladies professionnelles, les salariés sont beaucoup plus attentifs aux conditions de travail pour pouvoir préserver leur qualité de vie personnelle et familiale. Ce qui est à craindre, en revanche, c’est qu’ils n’aient guère le choix, puisque les entreprises risquent de s’aligner les unes sur les autres, et évidemment par le bas.

En cas d’accord d’entreprise, les salariés pourront-ils conserver leurs RTT ?

C’est l’accord d’entreprise et lui seul qui définira dorénavant le contingent des heures supplémentaires, les repos compensateurs qui disparaissent de la loi et aussi les modalités d’organisation du temps de travail. C’est-à-dire justement les périodes hautes ou basses d’emploi.

Le patron pourra-t-il imposer le plafond de 235 jours ?

Dans la situation d’aujourd’hui, non, puisqu’il faut un accord d’entreprise avec les syndicats. Mais demain, oui. Faute d’accord d’entreprise, la norme sera 235 jours.

Cette loi ne va-t-elle paradoxalement pas faire le bonheur des syndicats, puisque ce sera la seule solution pour les cadres salariés d’obtenir de bonnes conditions de travail ?

Ce que l’on peut effectivement penser, c’est que la seule solution qui s’offre aux salariés pour s’opposer à ces ces dérives, c’est de s’organiser dans les syndicats sur leur lieu de travail. La seule réponse possible aujourd’hui, c’est que les salariés, notamment dans le privé, se syndiquent et, en tant que tel, pèsent sur les négociations d’entreprises.

Les salariés des petites entreprises, où les accords d’entreprise sont les plus difficiles à négocier, sont donc les grands perdants de la situation ?

Oui, c’est eux qui sont dans la situation la plus difficile, compte tenu de la disparition de l’accord de branche. Je crois que c’est un tournant important, parce que jusqu’à présent on vivait avec l’objectif de règles qui étaient les mêmes pour tous les salariés, que ce soit la loi ou les accords de branches. Là, c’est un autre paysage social, toute les règles sont atomisées. La loi n’encadre plus rien et renvoit tout à l’accord d’entreprise. C’est quasiment le modèle anglo-saxon.

Pour le salarié, la situation sera donc pire qu’avant les lois Aubry ?

La situation est largement au-delà de ce qui existait avant les 35 heures, notamment sur la question du question du repos compensateur obligatoire, qui était prévu par la loi. Ce n’est pas une législation qui est liée aux 35 heures... C’est une question de santé publique.

Certains cadres vont donc travailler six jours sur sept toute l’année ?

Dans certains cas, oui. Et s’ils font un horaire important, il sera possible au niveau d’une entreprise de négocier soit un repos moins important que celui qui est prévu par la loi, soit de transformer ce droit en une compensation financière.


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