Pollution à l’uranium au Tricastin : soupçon et inquiétude s’insinuent chez les riverains

lundi 21 juillet 2008.
 

« Une année de travail fichue ! » Luc Eymard est découragé. Sur des dizaines de mètres, ses plants de basilic, alignés sur une terre sèche comme du cuir tanné, ont grillé sur pied. Brûlés par le soleil et la soif. Les jeunes pousses ont rôti avant d’arriver à maturité. Celles qui attendaient d’être cueillies se sont flétries prématurément. « Le basilic, on le pousse à la chaleur et à l’eau. Il faut l’arroser tous les jours, tous les deux jours au maximum. L’irrigation a été interdite et voilà le résultat ! » se désole le maraîcher.

A 2 kilomètres à vol d’oiseau de son champ se découpent les tours évasées, coiffées d’un panache de vapeur d’eau, de la centrale nucléaire du Tricastin. Derrière un rideau de cyprès, on devine le parallélépipède gris de la Socatri, l’usine de traitement des effluents radioactifs par qui le mal est arrivé, dans la nuit du 7 au 8 juillet : le déversement accidentel, dans les eaux des rivières la Gaffière et le Lauzon, puis dans la nappe phréatique, de 74 kg d’uranium.

C’est dans cette nappe que Luc Eymard, comme les autres cultivateurs du quartier de la Plaine, à l’ouest de Bollène, puise l’eau nécessaire à son exploitation de plantes aromatiques (thym, aneth, coriandre) et de légumes. L’interdiction d’arrosage a été levée – à l’exception d’une bande de 100 mètres de part et d’autre des cours d’eau – mais il a perdu « entre 80 et 100 tonnes » de basilic et il ne pourra pas « sortir » les 120 tonnes qu’il doit livrer, par contrat, à une entreprise de conditionnement.

« Pour les pommes de terre, il a fallu commencer la récolte sans le dernier arrosage qui permet de gagner en calibre, dit-il. Pareil pour les oignons, qui ne répondront pas au cahier des charges. » A un jet d’eau de la parcelle déshydratée, Sylvie Eymard, son épouse, vit au rythme des prélèvements quotidiens effectués par la Socatri dans le puits qui alimente leur maison. « Dans les jours qui ont suivi l’accident, on était à 15 microgrammes d’uranium par litre, relate-t-elle. Au début de cette semaine, on était descendu autour de 12. Je me suis dit que c’était bon, puisque la limite de potabilité est de 15. Mais mercredi, on est remonté à 16,5 ! »

La municipalité de Bollène a mis à la disposition du foyer, comme à celle d’une dizaine d’autres familles, une citerne de 1 000 litres d’eau à usage domestique et, tous les deux jours, le ravitaille en bouteilles d’eau potable. Mais Sylvie Eymard n’est pas tranquille. « Voilà vingt ans que nous buvons l’eau de la nappe. Nous avons fait des analyses chimiques, mais jamais nous n’avons pensé à un risque radiologique, explique-t-elle. Ce qui me préoccupe, ce sont nos deux enfants en bas âge », ajoute-t-elle.

« LA POPULATION NE CROIT PLUS AUX CHIFFRES OFFICIELS »

La mairie de Bollène s’efforce de relativiser la crise. Seuls les quartiers situés à l’ouest du canal Donzère-Mondragon – soit 800 des 14 000 habitants de la commune – sont concernés par « l’incident de pollution », précise un avis affiché à l’hôtel de ville. André-Yves Becq, adjoint aux finances et à la communication, reconnaît pourtant ne pas savoir exactement combien de foyers utilisent des captages d’eau privés, certains n’étant pas déclarés. Surtout, il met en cause le déficit d’information des autorités.

La municipalité envisage d’engager des poursuites judiciaires pour obtenir « réparation de l’énorme préjudice subi », et de faire appel à un laboratoire d’analyses indépendant. « La population est inquiète et ne croit plus aux chiffres officiels », assure l’adjoint au maire. D’autant, rapporte un autre élu, que « l’attitude de la Socatri, qui a fait des prélèvements de nuit et a tenté d’expliquer une teneur en uranium de 64 microgrammes d’uranium par litre d’eau, chez un particulier, par une souillure des instruments de mesure, nous a paru suspecte ».

A Bollène comme à Lapalud, Lamotte-du-Rhône et Mondragon – les quatre communes touchées par les restrictions d’usage de l’eau –, les ventes d’eau minérale ont grimpé en flèche. « Au lendemain de l’accident, c’était la ruée, raconte la gérante d’un supermarché. Nous avons écoulé en trois heures huit palettes de 500 bouteilles, alors qu’une palette nous fait habituellement deux jours. Nous continuons à en passer trois par jour. » A la pharmacie, certains clients ont même réclamé des pastilles d’iode, prescrites en cas de pollution radioactive de l’air.

Aujourd’hui, la vie a repris son cours. Mais le soupçon persiste, alimenté par l’hypothèse d’une pollution ancienne de la nappe, due peut-être aux déchets d’une usine militaire d’enrichissement d’uranium. Vendredi 18 juillet se réunira, à Valence, la Commission d’information des grands équipements énergétiques du Tricastin (Cigeet). La séance s’annonce houleuse.

* LE MONDE | 17.07.08


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