L’UIMM a financé beaucoup de syndicalistes et hommes politiques d’après un ancien dirigeant

vendredi 25 juillet 2008.
 

L’affaire de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) vient de connaître un rebondissement inattendu. Le 16 juillet, le juge d’instruction Roger Le Loire, chargé de découvrir à qui étaient destinés les 21 344 691 euros prélevés sur les "comptes spéciaux" de l’Union de 2000 à 2007, a reçu le témoignage de Jacques Gagliardi, l’ex-bras droit de Pierre Guillen, délégué général de l’UIMM de 1985 à 1995. Mis en examen pour "recel d’abus de confiance", pour avoir perçu des compléments de salaire et de retraite en espèces, M. Gagliardi, chargé des relations avec le monde politique ou économique pour l’UIMM de 1979 jusqu’à sa retraite, en 1995, a fissuré le mur de silence auquel se heurtait jusqu’alors le magistrat.

Selon l’ancien dirigeant, le Conseil national du patronat français (CNPF, l’ancien nom du Medef) a bénéficié, pendant de longues années, d’un financement occulte de l’UIMM. Il tient ces informations de M. Guillen, décédé le 2 juillet. "Le CNPF comptait un service des études législatives qui en réalité avait une tout autre activité, assure M. Gagliardi dans un procès-verbal que Le Monde a pu consulter, je dirais qu’un représentant du CNPF venait régulièrement s’alimenter en munitions auprès de M. Guillen."

Il poursuit : "Cette personne repartait avec sous le bras un paquet de la dimension d’une boîte de chaussures (…), on peut supposer que ce n’étaient pas des petites coupures (…). Je dois dire qu’à mon départ, en 1995, ça continuait." Une affirmation qui vient buter sur la version défendue par Laurence Parisot, présidente du Medef depuis 2005. Interrogée le 7 mai par la brigade financière, elle avait déclaré, selon le procès-verbal que Le Monde a également pu consulter, n’avoir jamais eu connaissance de tels agissements et avoir appris par la presse, à l’automne 2007, l’existence de la caisse noire de l’UIMM.

"Personne n’était au courant, nous étions choqués, avait-elle indiqué aux policiers. Je n’ai aucune idée de ces destinataires, (…) je n’ai interrogé personne pour le savoir et personne n’est venu me dire quoi que ce soit." Tout juste avait-elle relaté une conversation avec Denis Gautier-Sauvagnac, l’ex-patron de l’UIMM, alors que l’affaire venait d’éclater : "Il m’a dit que cela faisait 104 ans que l’UIMM agit ainsi mais sans vouloir me dire de quoi il s’agissait. Je lui ai répondu que je ne souhaitais pas le savoir non plus, ni connaître les bénéficiaires."

Arnaud Leenhardt, président de l’UIMM de 1992 à 1999, avait pourtant affirmé le contraire, le 11 mars, dans Le Monde : "J’étais présent lorsque Denis Gautier-Sauvagnac nous a rapporté la conversation qu’il avait eue avec elle, à Daniel Dewavrin [président de l’UIMM de 1999 à 2006] et à moi-même. J’ai entendu la même chose que Daniel Dewavrin. Denis Gautier-Sauvagnac nous a dit que Laurence Parisot lui avait demandé si les distributions d’argent se poursuivaient comme avant, quelque chose comme ça. Nous étions tous les trois dans les bureaux de l’UIMM, c’était en mai ou juin 2007, en tout cas avant l’été." Mme Parisot s’est défendue, devant les policiers, d’avoir tenu de tels propos : "Une telle conversation n’a jamais eu lieu, avait-elle expliqué, Daniel Dewavrin a voulu voler au secours de Denis Gautier-Sauvagnac, (…) je me demande s’il n’a pas voulu faire diversion." Le Medef et l’UIMM entretiennent une relation orageuse. Le Medef ne dispose que d’un effectif (180 personnes) et de ressources limités, avec un budget de 34 millions d’euros. Mme Parisot veut profiter de cette crise pour rééquilibrer les pouvoirs avec l’UIMM, qui assure 7 % du budget du Medef, gère un pactole de plus de 600 millions d’euros, un réseau de 85 chambres syndicales et de groupements professionnels.

En tout cas, les déclarations de Mme Parisot ont étonné M.Gagliardi, pour qui la patronne du Medef était forcément au courant de ces pratiques occultes. "J’ai été surpris des déclarations de Mme Parisot lorsqu’elle dit qu’elle n’était au courant de rien, dit-il au juge Le Loire. Je pense que les membres du conseil exécutif du Medef devraient s’interroger sur ses compétences." Quoi qu’il en soit, les assertions de M. Gagliardi pourraient permettre au juge d’orienter son enquête vers d’anciens responsables du CNPF, tels qu’Yvon Gattaz (1981 à 1986) – déjà auditionné comme témoin –, François Perigot (1986 à 1994), Jean Gandois (1994 à 1997), voire Ernest-Antoine Seillière (1997 à 2005).

Fort prolixe, l’ancien responsable de l’UIMM ne s’est pas contenté de dévoiler ces transports illicites d’argent vers le CNPF. Il a mis en cause le financement des syndicats, et notamment de la CGT. "Il [Pierre Guillen] m’en a parlé en me disant qu’il donnait des sommes en liquide à des syndicats, explique M. Gagliardi. Il m’en avait parlé du reste à propos de la CGT parce que c’était une première, car, à ma connaissance et à la sienne aussi, la CGT ne recevait pas d’argent de l’UIMM avant lui. Concernant la CGT, il m’avait dit qu’il leur donnait quelques centaines de milliers de francs tous les ans." Le juge se fait alors plus pressant, et demande à M. Gagliardi si, parmi les allocataires de l’UIMM, figuraient également la CFDT et FO. "Vraisemblablement, répond le mis en examen. Il [M.Guillen] m’en a peut-être parlé de façon épisodique. Il faut savoir que ces syndicats cohabitent avec les dirigeants patronaux dans un certain nombre d’institutions paritaires comme l’Unedic, au Conseil économique et social." Pas question, en revanche, de donner des noms. L’ancien responsable dit ne pas savoir à qui, précisément, ces fonds étaient remis.

Autre piste évoquée par M. Gagliardi, celle du financement politique. Il remonte aux sources de l’UIMM, et à la création du Comité des forges, en 1864. "Tout le monde sait bien qu’avant 1914 des campagnes électorales sont financées par le Comité des forges, raconte le témoin. M. Georges Mandel, qui était d’origine très modeste, menait grand train, et tout le monde se demandait d’où il tirait son train de vie. Eh bien, c’était le Comité des forges qui subvenait à ses besoins, comme pour bien d’autres." Des pratiques qui auraient, à en croire M. Gagliardi, perduré à travers les époques. "Cela consistait en de la distribution d’argent en espèces à des hommes politiques de tout bord, hormis le Parti communiste, se souvient M. Gagliardi, qui fit ses débuts dans la sidérurgie en 1966. A l’époque, il n’y avait pas d’extrême droite, mais des membres du Parti socialiste y participaient pleinement comme bénéficiaires, y compris Mitterrand." La Chambre syndicale de la sidérurgie française, qui prend la suite du Comité des forges, "finançait directement les hommes politiques et les journaux, détaille M. Gagliardi. Quant à l’UIMM, elle ne finance pas les syndicalistes comme des hommes politiques, mais elle concourt aux nécessités financières des syndicats, lorsqu’ils ont des budgets qu’ils ne peuvent pas assumer eux-mêmes, par exemple la mise en place d’un congrès".

Les syndicats, depuis le début de l’enquête judiciaire, se sont défendus d’avoir perçu la moindre somme en liquide. Un peu trop mollement au goût de M. Gagliardi, pour qui les prises de position des syndicalistes ne sont que des "cris plaintifs". Et il précise : "Si c’était faux, les dirigeants syndicaux auraient dû hurler à la mort."

Gérard Davet


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