Mes romans préférés (13) : Au-delà de Blade Runner

lundi 7 août 2006.
 

"Au-delà de Blade Runner, Los Angeles et l’imaginaire du désastre" (Mike Davis, Allia, 2006).

Je croyais qu’il s’agissait d’un de ces livres de science-fiction dépeignant le futur apocalyptique d’une ville soumise au chaos par ceux qui maîtrisent la technologie. Mais l’objet du livre est bien différent. En fait, l’auteur propose un éclairage nouveau sur les évolutions urbaines et les formes de violences qui leur sont associées : violence symbolique résultant de l’exclusion et de la stigmatisation des populations des quartiers populaires mais aussi violences réelles, physiques, subies et parfois données. Pour lui, l’avenir n’est peut être qu’une accentuation des logiques déjà visibles aujourd’hui. Los Angeles est un véritable laboratoire social et urbanistique. Ses évolutions peuvent donc préfigurer celles de nos villes occidentales et même temps, nous incitent à réfléchir sur les politiques menées en France.

Pouvons-nous réfléchir sur la situation des quartiers populaires français, après les révoltes urbaines de novembre 2005, sans avoir une réflexion plus large sur les évolutions urbaines en général et sur celles venues des Etats-Unis en particulier ? N’est-on pas en train d’assister partout au passage de la cosmopolis (ville cosmopolite, ouverte sur le monde) à la claustropolis (ville repliée sur elle-même où les populations se regroupent selon leur appartenance sociale et ethnique) ?

Actuellement, Los Angeles est prise d’une obsession sécuritaire. Les mesures de surveillance se multiplient, la vidéosurveillance équipe des quartiers entiers (scanscape), les compagnies de sécurité envahissent l’espace public, de véritables milices privées se constituent afin que les belles personnes se sentent en sécurité. L’obsession sécuritaire et la peur des pauvres se traduisent dans la manière d’aménager l’espace. La ghettoïsation des plus pauvres est donc autant une résultante de cette obsession sécuritaire qu’un choix politique assumé. Les plus riches cherchent à se bunkeriser dans des quartiers de très haute surveillance, fermés sur l’extérieur (gated communities). Force est donc de constater la destruction de toute mixité sociale par un cloisonnement des populations, soit dans des quartiers protégés, soit dans des quartiers laissés à l’abandon où les gangs assurent un ordre précaire, instable et violent. Les interactions entre les formes urbaines et la violence sont donc nombreuses et complexes. Ce constat posé dès les premières pages, m’a donc stimulé pour lire la suite.

La dénonciation de la criminalisation de la pauvreté est indéniablement au cœur de l’ouvrage. Mais Mike Davis va plus loin. Partons d’un constat simple : les séries policières diffusées à la télé comme les médias dominants occultent totalement les problèmes ethniques et le racisme. Or, les groupuscules néo-nazis pullulent tout comme leurs crimes qui sont en nette augmentation. Mécanicien chez Volkswagen, Robinson a été tué en août 1995 par des Skinheads. Il n’y a pas si longtemps, sa mort aurait pu être qualifiée de lynchage mais aujourd’hui, l’auteur préfère évoquer une guerre raciale de faible intensité.

Suite à l’assassinat de Rodney King par des policiers en 1992, cette guerre s’est radicalisée. Le meurtre avait été filmé puis diffusé sur les écrans de télévision. Mais ces insurrections urbaines ont été guidées par la faim et la désillusion plus que par la colère suscitée par l’acquittement des policiers. Crise industrielle, coupes dans les allocations chômage et la couverture maladie, réduction du budget des écoles (les maigres ressources disponibles servent à la fortification des écoles et à la location de forces de sécurité armée) : triste tableau de cette autre Amérique, celle que l’on ne montre pas. Les populations ont alors dévasté les supermarchés et les commerces du quartier. La réaction officielle à cette émeute du pain fut la plus grande opération de « rétablissement de l’ordre public. Cette criminalisation du social ne surprend plus puisque précisément cette politique est reprise par le gouvernement de Sarkozy. Elle pourrait même être le cheval de bataille d’une candidate socialiste (non déclarée et non désignée...).

En France, la politique libérale de la ville et le vent sécuritaire soufflant des Etats-Unis pourraient bien tout emporter sur son passage. Non, « la crise des banlieues » n’était un épiphénomène. Pis, les causes qui ont laissé éclater la violence sont toujours présentes. La colère des quartiers populaires doit trouver une expression politique alternative. Ce livre nous indique les chemins à ne pas suivre.


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