Conditions de travail : le harcèlement moral

mardi 1er août 2006.
 

En publiant « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » (Editions Syros), la psychanalyste Marie-France Irigoyen ne se doutait pas du succès de son ouvrage, encore moins des milliers de lettres à son attention, faisant part de témoignages terribles sur les souffrances engendrées par un système social basé sur la concurrence et la destruction d’autrui.

La domination du Nouvel âge du capitalisme n’est plus seulement sociale ou politique. Le système empreint chaque strate de la société de ses « valeurs », des critères de marchandisation et de performance comme fin en soi, entraînant des conséquences mortifères. Désormais, le libéralisme contemporain s’attaque au lien social proprement dit, et particulièrement aux relations entre individus au cœur du lieu central de la société capitaliste : le travail.

Tandis que le travail est né avant tout sur des fondements collectifs, le nouvel âge du capitalisme valorise la conquête individuelle au service d’une « guerre économique ». Or, la harcèlement moral se définit justement comme une « entreprise de maltraitance psychologique fréquente et insidieuse se traduisant par des actes pervers de violence cachée, dont la victime subit les dégâts destructeurs comparables à des névroses post-traumtiques ou de guerre » (Louis Crocq 1994).

Phénomène massif selon la plupart des socio-psychologues, notamment anglo-saxons et scandinaves, le harcèlement moral au travail peut être considéré selon trois axes.

Interpersonnel, il est la conséquence sociale directe d’un système basé sur le contexte concurrentiel entre deux individus. Institutionnel, le harcèlement peut devenir un caractère inhérent à une « culture d’entreprise », particulièrement dans certains secteurs (vente, grande consommation). On en veut pour exemple l’extension massive des méthodes du 360°, du reporting et même des « sales challenges » où sur un temps donné, des vendeurs doivent aboutir à un score exclusivement quantitatif leur permettant ... de survivre (le premier est promu, le dernier licencié).

Enfin, de façon plus perverse, le harcèlement moral peut également disposer de motivations réellement stratégiques pour une firme, dans l’objectif de détruire un ou des individus, généralement dans un but de rentabilité financière afin que ces individus quittent d’eux-mêmes leur poste de travail, ne coûtent aucun frais de licenciement, échappent au contrôle de l’Inspection du travail. L’entreprise choisit alors ce qui est devenu une méthode de gestion, admissible dans le système socio-économique dans laquelle elle se développe...

Plus connu sous le nom de mobbing, le harcèlement stratégique est de plus en plus utilisé, notamment par le biais de tiers extérieurs, les mobbers, chargés de faire craquer les réticents au départ. Aussi, ne s’étonne-t-on pas de voir dans certaines entreprises le nombre de démissions volontaires tripler d’une année à l’autre tandis que les licenciements sont quasi nuls. De même, les principaux cabinets de ressources humaines disposent désormais de (discrets) « départements » spécialisés dans ces tâches.

Les résultats du développement de ces méthodes visant à démolir les valeurs de fraternité au travail au profit d’une guerre totale entre individus ne se sont pas fait attendre : alors que la population ouvrière était relativement peu demandeuses de psychothérapies (moins de 12% de la clientèle en 1980), leur proportion est désormais l’une des plus importantes ; 26% des ouvrier(e)s ont consulté au moins une fois dans leur vie un psychanalyste en 2000 contre seulement 8% vingt ans plus tôt.

Deux phénomènes contaminent actuellement les lieux de travail suite aux méthodes de pression et de harcèlement :

-  le burn-out, ou épuisement professionnel, qui est l’effondrement d’un idéal, d’un surinvestissement dans l’entreprise. Il touche particulièrement les jeunes de 20 à 30 ans.

-  le workaholism, davantage perçu chez les travailleurs plus âgés, traumatisés par le sort réservé à leurs collègues et qui se créent une dépendance au travail pour éviter d’être « sortis » trop brutalement.

On constate dans ces populations une surconsommation de psychotropes, d’hypnotiques, voire de stupéfiants mais aussi, première inversion de la tendance depuis 30 ans, une croissance de l’alcoolisme parmi les actifs occupés pour « échapper au stress ».

Enfin, le taux de suicide des cadres a ainsi quadruplé en dix ans, et a même été multiplié par vingt s’agissant des suicides sur le lieu de travail...

Article de l’hebdomadaire A Gauche


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