Les langues régionales ne sont-elles que littérature ?

dimanche 10 août 2008.
 

Le 21 juillet, le Parlement a entériné avec une voix d’avance la réforme des institutions. Parmi les différentes propositions, peu avaient fait l’objet d’un consensus. Une néanmoins avait été adoptée en première instance à la quasi-unanimité, soit tout parti politique confondu, par l’Assemblée, et refusée, à la quasi-unanimité… par le Sénat. Son texte est maintenant définitivement adopté : “Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.”

Inscrire les langues régionales dans la Constitution française est un acte majeur au regard de l’histoire de ce pays. En effet, depuis plusieurs siècles, les langues régionales de France ont été écartées des lieux publics, et souvent avec mépris. Une “violence symbolique”, selon le concept de Pierre Bourdieu, s’est longtemps exercée sur les cultures régionales de France.

De la « chasse aux patois » à la révision de la Constitution

Amplifiée au cours du XXe siècle, la “chasse aux patois” avait commencé bien avant, notamment avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. Il est vrai qu’à notre époque, les locuteurs des différentes langues régionales sont bien moins nombreux qu’ils n’ont pu l’être dans le passé et donc sans doute moins “dangereux” pour l’unité nationale, bien que ce soit l’une des raisons avancées par les sénateurs pour expliquer leur refus de cette proposition de changement de la Constitution. Les revendications des “régionalistes” seraient pourtant en France plus d’ordre culturel que politique.

L’une des principales d’entre elles serait que l’on cesse de confiner les cultures régionales uniquement au milieu populaire, notamment paysan, et au passé. Et c’est en cela que le changement de la Constitution, essentiellement symbolique, est une ouverture. Il existe notamment une littérature en langue régionale qui est, souvent, dévalorisée ou sous-estimée, méconnue du grand public et qui peine à être intégrée en dehors des études spécialisées et des cercles d‘amateurs avertis.

Frédéric Mistral (Wikipédia)Citons par exemple, pour les terres d’Oc, le poète et écrivain provençal Frédéric Mistral, qui obtint le prix Nobel de littérature en 1904. Qui s’en rappelle ? Entre ceux qui ne le connaissent pas et ceux qui le sous-évaluent en considérant son œuvre comme “folklorique”, on est loin de s’imaginer qu’il pourrait être honoré, comme ce sera le cas en 2010 à Valparaiso (Chili), lors du Ve congrès international de la langue espagnole, au même titre que Pablo Neruda.

Troubadours anciens et modernes

Et que dire des troubadours ! Oui bien-sûr… L’image du troubadour allant de château en château traverse tous les imaginaires. Et leur renommée fut et est encore internationale. Gérard Gouirand le rappelait en introduction du dossier principal du dernier numéro de la revue littéraire Europe, tout en soulignant une plus amère réalité :

« On remarquera que les neuf contributions ici proposées proviennent d’auteurs de nationalités très diverses : Allemagne, Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Italie. C’est, d’une certaine façon, dire la place qu’occupent les troubadours dans la littérature universelle et dans la recherche, même si cela ne reflète que partiellement l’état actuel des études occitanes : pauvres, pour le moins en France, c’est en Italie qu’elles sont les plus florissantes, selon une tradition qui commence dès l’Alighieri ».

On pourrait aussi se demander combien considèrent, au même titre que leur invention d’une lyrique poétique, créant de nombreuses filiations, que les troubadours ont codifié et inventé une langue, la langue d’oc, formée avant la langue française depuis le latin, tout comme Dante Alighieri a donné les bases de ce qui deviendra l’italien ?

Nombreux sont également les auteurs contemporains qui produisent des œuvres modernes et de qualité dans le domaine musical, poétique, théâtral et littéraire… de Moussu T e lei Jovents et Lo Còr de la plana à Jòrgi Reboul et Florian Vernet, ou encore Max Rouquette (1930-2005)…

Le cas catalan…

Alors que le débat autour de l’intégration et de la reconnaissance officielle des langues régionales dans la Constitution était en cours en France, le gouvernement espagnol gagnait un procès contre le gouvernement catalan pour que trois petites heures hebdomadaires d’espagnol, et non plus deux, soient obligatoirement enseignées dans les écoles primaires et secondaires de Catalogne, car l‘enseignement ne s‘y fait plus qu‘en catalan.

Dans cette région limitrophe des terres d’Oc, la situation est donc diamétralement opposée, mais peut-on la préférer ? Les « Régions » ont en Espagne un statut bien différent de la France. Beaucoup plus autonomes, elles sont à même de mener une politique valorisant l’identité régionale. Les « langues régionales » y sont notamment pratiquées quotidiennement, elles investissent aussi bien l’espace public que privé.

La Catalogne est la Région la plus offensive dans ce cadre, et la plus contestable… Sa politique linguistique a été l’une de ses priorités depuis la fin du franquisme et l’accès à une forme d’autonomie en 1979, donnant à la langue le statut de langue officielle, au même titre que l’espagnol (article 3). Près de trente ans plus tard, le catalan est devenu “la” langue d’enseignement en Catalogne, elle est obligatoire.

Ceux qui souhaitent que leur progéniture suive des enseignements primaires, secondaires… en espagnol, doivent se tourner vers les écoles privées, ou changer de région. Dans les écoles publiques, l’espagnol fait donc figure de “deuxième langue”, voire parfois, de “langue étrangère” ! Ainsi les nationalistes catalans entretiennent avec l’espagnol, les contraintes que les nationalistes français ont pu exercer sur les parlers régionaux de France…

Un roman écrit en catalan véritable succès commercial…

Avec une presse écrite en catalan, des chaînes de télévisions modernes et dynamiques, des radios, des manifestations, mais aussi une grande indépendance vis-à-vis de l’Etat espagnol dans la gestion de la vie de ses citoyens, la Catalogne est un Etat dans l’Etat.

Et si la langue et la culture espagnoles restent néanmoins majoritairement partagées par la population, les efforts menés depuis des années par les nationalistes commencent à porter leurs fruits : exemple symbolique mais très parlant, le dernier prestigieux prix littéraire Ramon Lull a été attribué à une jeune femme d’origine marocaine, Najat El Hachmi, qui a écrit ce deuxième roman en catalan.

Son premier roman s’intitulait « Jo també soc catalan » (« Moi aussi je suis catalane »). Avec « L’ultim Patriarcha » (« Le dernier patriarche »), elle réussit ce qu’aucun Breton, Corse ou Occitan ne pourrait imaginer en France : devenir un succès commercial. Le livre, réimprimé déjà six fois en mois de six mois, sera traduit en espagnol au mois de novembre. Il promet d’être l’un des grands succès littéraires de la rentrée.

L’ordre se serait-il inversé dans le milieu de la littérature ? En effet, pour les générations précédentes –dont Enrique Vila Matas, José Luis Zafon, Idelfonso Falcones ou Javier Cercas sont sans doute les plus représentatifs et les plus connus– écrire un roman, un article ou un essai se fera d’abord en espagnol, puis leurs écrits seront traduits en catalan.

Avec « Le dernier patriarche », ce fut le contraire. Attendons de voir comment sera reçu ce roman une fois édité en espagnol…. et si le catalan va devenir la langue de l’écriture pour les futurs grands écrivains catalans.

Le catalan, langue de l’intégration ?

Mais à côté de cet intérêt louable pour comprendre la situation des immigrés en Espagne, les non-nationalistes enjoignent à la prudence : les Catalans s’intéressent à tout tant que ce n’est pas en castillan, ou relevant de la culture castillane…. Pourquoi un tel ostracisme ? Ainsi cette décision inédite lors de la dernière foire de Francfort, où les Catalans ont déchaîné la polémique : en choisissant d’inviter uniquement des auteurs écrivant en Catalan, le gouvernement catalan a fermé la porte à ses plus prestigieux auteurs… écrivant en castillan mais vivant en Catalogne, et étant natifs de cette région ! Où sont donc les limites de l’identité ? Et des politiques régionalistes ?

Aussi peut-on s’interroger sur l’avenir de ces langues dites “régionales” qui, dans une certaine mesure, exclues d’un côté et excluantes de l’autre, peinent à trouver une place en dehors de tout contexte politique, là où seule la littérature parlerait…

Elisabeth Cestor, avec la complicité de José Ignacio


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