Géorgie contre Ossétie du Sud : Grandes manoeuvres dans le Caucase (par Denis Collin)

vendredi 15 août 2008.
 

Bien que le brouhaha médiatique et politicien ne cesse d’essayer de l’enfouir, la vérité est à peu près connue de tous : la Géorgie, ou plutôt le gouvernement de Saakachvili a lancé une provocation en déclenchant une opération militaire extrêmement violente en Ossétie du Sud au moment même où il annonçait des négociations avec les indépendantistes ossètes.

1500 morts, des dizaines de milliers de réfugiés. La Russie, qui soutient les ossètes - comme elle soutient la république géorgienne russophile d’Abkhazie - a saisi l’occasion pour lancer une contre-offensive contre la Géorgie. Résultat : le pyromane Saakachvili appelle les pompiers, demande un cessez-le feu à ses conditions et réclame le soutien du conseil de sécurité de l’ONU. Le gouvernement des États-Unis met en garde Moscou et on se croirait revenus aux plus beaux jours de la guerre froide. Le gouvernement français veut jouer les intermédiaires et Kouchner, qui n’est pas à une kouchnérie près, propose un plan garantissant l’inviolabilité des frontières ... ce qui est assez gonflé de la part de l’ex-gauleiter de l’OTAN au Kosovo.

Essayons de comprendre ce qui est en cause. Le Caucase dans son ensemble est une source de tensions permanentes. La dislocation de l’Union Soviétique a libéré tous les nationalismes et micro-nationalistes de cette région où les États-nations modernes n’ont jamais existé. Ce terreau fertile, les USA (et leurs laquais) en jouent depuis de nombreuses années pour tenter de mettre à genoux la Russie et, notamment, pour finir de casser tous les liens qui pouvaient l’unir avec les pays ex-soviétiques. On sait quel rôle les officines des USA et de l’UE ont joué dans la soi-disant « révolution orange » en Ukraine. La Géorgie est depuis assez longtemps déjà un relai direct des positions états-uniennes dans cette région sensible du Caucase. Bien qu’il s’agisse de fondamentalistes islamistes de la belle eau, les indépendantistes tchétchènes ont reçu, eux aussi, le soutien de Washington et de tout ce que l’intelligentsia bobo parisienne comprend de pseudo-philosophes et de guérilleros de Saint-Germain des Prés, toujours prompts verser le sang des autres. Au Caucase comme au Proche-Orient, la stratégie de la Maison Blanche consiste à créer le chaos pour remodeler le paysage géopolitique de la région et assurer le contrôle de la « route de la soie » qui mène jusqu’en Afghanistan. Il s’agit de placer les forces armées et leurs nombreuses bases à la fois aux frontières de la Russie et dans une stratégie d’encerclement de la Chine. Pour se faire une idée de la situation, par comparaison on pourrait imaginer que des bases russes soient installées aux frontières canadiennes et mexicaines. Les Russes ont donc de bonnes raisons de penser que les USA n’ont pas que de bonnes intentions à leur égard.

Il y a une deuxième dimension importante : les empires détestent les États-nations et selon un précepte aussi vieux que l’empire romain, ils ont toujours utilisé le tribalisme et les rivalités de clochers comme moyen pour asseoir leur domination. L’empire états-unien a détruit la république d’Irak non pas parce que Saddam Hussein était un tyran - ce qu’il était et que ses maîtres de la CIA savaient bien depuis longtemps, vu qu’il était d’abord leur marionnette contre le régime nationaliste de gauche qu’il a renversé. L’empire états-unien, aidé de ses laquais anglais et de quelques autres de moindre importance, a détruit l’Irak parce que le chaos dans cette région lui semble une bonne situation de départ pour maintenir et renforcer ses positions. L’idée sinon de démanteler, du moins d’affaiblir sérieusement la Russie, est à l’arrière-plan des manœuvres dans le Caucase. Mais il s’agit d’une entreprise plus générale. Les États-nations étant potentiellement des outils de résistance aux « bienfaits » de la mondialisation capitaliste, ils doivent être pulvérisés. Les évènements actuels en Bolivie peuvent être compris à cette aune.

Le paradoxe apparent de la situation est le suivant : la Géorgie est, mutatis mutandis, dans la situation de la Serbie avec le Kosovo. Et Saakachvili est une sorte de Milosevic de la mer Noire. Venu au pouvoir à la suite de la « révolution des roses » (sic) en 2003, Saakachvili y institué un régime politique semi-tyrannique, supprimant tout presse d’opposition et contrôlant étroitement la télévision. Mais comme c’est un ami des « Occidentaux » [1], il a droit au qualificatif de « démocrate », car, selon la définition couramment admise aujourd’hui, un démocrate n’est pas un défenseur de la liberté et des droits du peuple, mais seulement un ami du capitalisme anglo-saxon. Il a mené une politique hystériquement nationaliste - comme celle que menait Milosovic et se trouve maintenant confronté à l’irrédentisme des minorités nationales en Géorgie. Mais comme l’OTAN et les grands chefs de l’UE ont organisé le partage de la Serbie et montré que les frontières pouvaient être violées au gré des rapports de forces, on voit mal pourquoi ce qui valait pour les Kosovars ne vaudraient pas pour les Ossètes. Les Russes avaient mis en garde contre les proclamations d’indépendance du Kosovo. L’Ossétie peut apparaître comme la monnaie de la pièce kosovare. Et voilà pourquoi Kouchner courant à Tbilissi pour assurer Saakachvili du principe de l’intangibilité des frontières a encore plus que de coutume la posture du triste pitre qu’il est.

Il faudra revenir un jour sur l’histoire réelle de la destruction de la Yougoslavie. Rappeler que Milosevic a été le premier a exciter le nationalisme serbe contre la fédération yougoslave alors que Tito était encore vivant. Dans sa campagne contre cet État « communiste », le futur « nouvel Hitler » serbe était soutenu par les États-Unis et un certain nombre de pays de l’UE. Ensuite la mécanique s’est mise en route. Les Européens (Allemagne et Vatican en tête) poussent à la sécession de la Slovénie, appuient les Croates ... et on connaît la suite. Comme cela est arrivé à Saddam Hussein et à quelques autres (Ben Laden), les maîtres de Washington se sont retournés contre leur créature et cela s’est terminé par le bombardement de Belgrade par une coalition qui regroupait les USA et l’UE (gouvernement socialiste français en tête !). Les USA veulent jouer un jeu du même genre au Caucase, mais évidemment la Russie n’est pas un petit pays et Poutine est un stratège qui sait garder ses nerfs et user les autres.

Les niais « démocratiques » croyaient que la menace de guerre venait des tensions entre le « communisme » et les « démocraties occidentales ». Le « communisme » à terre, on s’aperçoit que les tensions demeurent et même commencent à aller dangereusement crescendo. La Russie est un pays tout ce qu’il y a de capitaliste mais l’antagonisme avec les USA semble aussi fort qu’auparavant et finalement aussi menaçant. La richesse de la Russie en hydrocarbures lui donne des atouts importants dans la compétition internationale et, en même temps, en fait un enjeu, notamment pour les USA. La puissance états-unienne est confrontée à des rivaux dangereux pour elle (la Russie et dans une moindre mesure la Chine) dans le même temps où son poids économique fléchit sérieusement - déficits des échanges, méfiance à l’égard du dollar, renchérissement du pétrole. La « pax romana » états-unienne (« le nouvel ordre mondial » tant chanté il y a quelques années) n’aura été qu’une brève illusion. Nous sommes entrés à nouveau dans la zone des tempêtes.

[1] Saakashvili est diplômé en droit de l’université américaine de Columbia (1994) et titulaire d’un doctorat de sciences juridiques de l’université George Washington (1995). C’est à cette époque qu’il développe de nombreux contacts dans la classe politique américaine.


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