La Commission européenne : une princesse qui a peur du peuple.

vendredi 29 août 2008.
 

Recluse dans son château bruxellois, entourée de ses 22 500 dévoués mandarins, la « Princesse » a peur du peuple.

La « Princesse », c’est le nom affectueux donné à la Commission européenne par ses « mandarins », les hauts fonctionnaires de l’Union Européenne.

Parmi eux, Derk-Jan Eppink a servi pendant 23 ans cette institution qui veille aux destinées de plus de 500 millions de citoyens. Fasciné par les intrigues, codes et étrangetés de cette cour moderne, il en livre aujourd’hui un guide subjectif, Life of a European Mandarin (Vie d’un mandarin européen, édition Lannoo, août 2007) où il ouvre les portes de cet empire sans armée qui ne gouverne que par la règle juridique et à la porte duquel se pressent les prétendants.

Une mosaïque d’intérêts refermée sur elle-même

Plus de vingt mille mandarins pour réguler l’Union, c’est une paille : à peine autant d’employés que la municipalité d’Amsterdam (moins de 750.000 habitants !). Mais ce petit monde se caractérise par les multiples nationalités qui le compose et par la diversité de ses sources d’inspiration : il observe l’étiquette française qui sème les conversations de « Monsieur », « Madame » et autres politesses, prend exemple sur la rigueur allemande pour bâtir des circuits législatifs complexes… sans oublier le sens de l’improvisation italienne qui y ajoute un certain génie ou une dose d’imprécision !

Loin d’être figée dans le marbre, la Commission vit en état de guerre civile permanente : au lieu d’organiser les échanges, la structure administrative (dans les services d’un commissaire, la direction générale gère la technique et le cabinet s’occupe de la politique) délimite les fronts de la lutte : 27 Etats, 23 langues, sans compter les régions et les intérêts particuliers qui permettent manipulations et coups tordus.

Chargé de défendre une directive sur les transports, l’auteur va chercher les Hollandais, inquiets de leur secteur routier, pour contrer un Autrichien, obsédé par la pureté de l’air de son Tyrol natal, avant de sortir un joker espagnol qui, sous des airs d’équité, tranchera en faveur de ses camionneurs et donc de la proposition de départ. Un quotidien de complots circonscrit dans quelques immeubles et une poignée de bars bruxellois. Mais à lire Derk-Jan Eppink, ce petit univers reste désespérément dépourvu de fenêtres.

Une Princesse sourde-muette

Car face à la contestation, la Princesse reste coite. En visite chez ses parents au moment du référendum sur le traité constitutionnel de 2005, l’auteur affronte l’euro-scepticisme hollandais sans pouvoir trouver de réplique, effrayé par sa radicalité et sa vigueur.

De retour à la Commission Européenne, c’est l’incompréhension de ses collègues qui le perturbe : « C’est quoi votre problème à vous les Hollandais ? »

Occupé au « bien du peuple », la Commission ne sait plus l’écouter, enfermée dans sa certitude de défendre un idéal inaccessible au commun des mortels.

En interne, la Princesse ne sait gérer autrement la contestation que par une radicalité que Derk-Jan Eppink compare ironiquement à la gestion soviétique. Face à l’agitation anecdotique d’un petit fonctionnaire, la Commission ne trouve d’autre réponse que d’exiler le dissident dans l’équivalent européen de la Sibérie : le Luxembourg ! Un manque de diplomatie dont cette institution fait tout autant preuve face aux journalistes.

Drôle et captivant, cette Vie d’un mandarin européen est néanmoins habitée de sincères inquiétudes. Tout europhile que soit son auteur, ce refus d’entendre les peuples lui semble menacer le projet même de l’Union. « L’Union Européenne existera-t-elle dans 20 ans ? », s’interroge-t-il en conclusion.

La Princesse et ses sujets devront bien un jour se parler. Nul doute que cet ouvrage divertissant et pertinent devrait les y inciter.


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