Centrales nucléaires françaises, pourvu qu’elles durent… (article de Science & Vie)

dimanche 7 septembre 2008.
 

L’échéance est cruciale : cet automne, l’Autorité de sûreté nucléaire dira si les centrales françaises édifiées à partir de 1977 pourront passer le cap de la trentaine. Or, l’arrêt de ses réacteurs aurait des conséquences catastrophiques pour EDF. Du coup, celui-ci fait déjà le parti d’un allongement de l’exploitation de son parc à … 60 ans ! Pourtant, la lutte contre le vieillissement est tout sauf évidente…

Cet automne, EDF va enfin savoir si ses centrales nucléaires sont qualifiées pour résister une décennie supplémentaire à l’outrage du temps. Passer de la vingtaine d’années d’exploitation à la trentaine est un acquis : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme indépendant de la filière nucléaire française, en est le garant officiel. Mais poursuivre au-delà du cap de la trentaine reste un défi. Et non des moindres, puisqu’il concerne quelque 34 réacteurs, de type 900 MWe (méga-watts électriques), mis en service entre 1977 et 1987. En jeu ici, près de la moitié de l’électricité nucléaire hexagonale !

Les centrales ayant fêté leurs 30 ans sont ciblées en priorité. Mais les plus jeunes, qui ne seront pas trentenaires avant plusieurs années, ne sont pas moins dans le collimateur de l’ASN : il s’agit d’anticiper dès à présent la nécessité éventuelle de programmer des travaux de mise en conformité avec les impératifs de sécurité, voire de prendre acte d’une possible mise à la retraite anticipée. D’ici novembre, l’Autorité doit se prononcer sur le dossier générique de justification du passage de 30 à 40 ans - une somme d’études techniques. Puis, si ce dossier est jugé convaincant, le réacteur n° 1 de Tricastin - centrale où ont eu lieu plusieurs incidents cet été, voir encadré - sera, début 2009, le premier des 34 réacteurs à passer un test grandeur nature : la visite technique décennale.

Durant quatre mois, à l’arrêt, sa cuve-enfermant le coeur nucléaire- et son enceinte - censée empêcher tout rejet radioactif- feront l’objet d’une attention particulière. Qu’adviendrait-il si les inspecteurs découvraient une dégradation non réparable d’un de ces deux piliers ? Ce serait une catastrophe pour l’électricien national. D’une part, parce que le réacteur inspecté serait mis à l’arrêt, EDF n’envisageant pas le remplacement de la cuve ou de l’enceinte, jugé trop cher et ardu. D’autre part, c’est l’autorisation de franchir le cap de la trentaine pour les 33 autres réacteurs qui serait menacée ! Une défaillance majeure touchant un des réacteurs risquerait d’affecter les autres, d’âge proche et de conception très semblable.

ALLONGER LA DURÉE D’UTILISATION

Mais EDF affiche des ambitions plus relevées encore que 40 ans d’utilisation ! « EDF communique, en ce moment, sur la thèse d’une possible durée de vie de 60 ans », remarque Laurent Foucher, responsable du service d’analyse des matériels et des structures à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Une belle confiance sachant que les 58 tranches du parc ont été construites sur une période très courte (entre 1977 et 1999). Dès lors, le moindre phénomène de vieillissement émergeant au sein de telle ou telle centrale est susceptible de les affecter toutes. Avec des conséquences dramatiques sur la capacité électrique nationale. "Notre obsession est d’anticiper tout défaut générique, grave et simultané. Nous ne tenons pas à aller voir le Premier ministre pour lui annoncer qu’il faudra se passer de l’électricité nucléaire...", résume Guillaume Wack, directeur des centrales nucléaires à l’ASN.

L’allongement de la durée d’utilisation est donc risqué. Mais y a-t-il vraiment le choix ? Car stopper net tous les réacteurs à 40 ans - leur durée de vie théorique - pour les remplacer par de nouveaux serait une gageure ! La faute à une pyramide des âges très ramassée (voir ci-dessous), qui impliquerait un rythme effréné de construction. Or, l’heure n’est plus au monopole électrique tricolore, capable d’opérations de grande envergure, mais aux opérateurs privés et à leur exigence de retour sur investissement. Les cinq à sept ans nécessaires à la construction d’un réacteur sont donc un sérieux handicap. Et la mise de départ peut aussi rebuter : 3,3 milliards d’euros ! C’est le prix à payer pour la nouvelle génération des réacteurs, incarnée par l’EPR, dit de "troisième génération" ! Sachant que les opérateurs les plus téméraires devront ensuite passer par le goulet d’étranglement des forges.

En effet, après le traumatisme de Tchernobyl, seuls la France (au Creusot) et le Japon ont conservé une capacité de production des composants métalliques lourds-la cuve en particulier - des réacteurs. Pas de quoi relancer massivement une filière ! "En termes de complexité, réactiver la chaîne de construction des centrales nucléaires et les savoir-faire, c’est cinq fois le projet Airbus A380 !", avance Dominique Finon, directeur adjoint du programme énergie du CNRS. Qu’on en juge par les nombreuses "non-conformités" relevées sur les deux premiers chantiers de l’EPR, à Olkiluoto (Finlande) puis Flamanville (Normandie), occasionnant retards et surcoûts. Bref : en pariant sur 60 ans, EDF se donne de l’air. Le renouvellement de ses centrales, s’il a lieu, se trouverait étalé sur vingt trente ans. Et d’ici là, le parc aura des allures de vache lait : vers 25-30 ans, les réacteurs sont amortis et le coût de production du kWh ne se résume plus qu’au prix raisonnable du combustible et aux dépenses courantes...

L’enjeu des visites techniques programmées est donc majeur. Remettront-elles eu cause l’ambition des 60 ans ? "Au-delà de 40 ans, les conclusions ne sont pas encore écrites par les techniciens ", répond Laurent Foucher de l’IRSN. Ce qui n’empêche pas EDF d’avoir déjà montré sa capacité à trouver des palliatifs en cas de défaillance imprévue. Exemple : après seulement dix ans, la paroi interne de l’enceinte des 24 centrales de 1300 et 1450 MWe présente un taux de fuite anormal. Inquiétant ? "Pour rétablir l’étanchéité, il a suffi d’enduire les zones fissurées de couches de résine", rétorque Jean-Pierre Hutin, directeur des programmes R&D chez EDF. Jusqu’à recouvrir parfois 25 % de la surface d’une enceinte ! Résultat concluant, pour l’instant : dix ans après ces réparations, le réacteur Flamanville-1 vient de réussir un test crucial d’étanchéité.

Va pour l’enceinte. Mais peut-on imaginer de telles "rustines" pour la cuve ? Cette pièce forgée de 14 mètres de haut vit à 290°C, sous 155 bars et encaisse le bombardement des neutrons issus de la fission. Ce dernier provoque un mode de vieillissement, propre aux centrales nucléaires, particulièrement vicieux. Les neutrons modifient la structure intime de l’acier et, donc, ses propriétés mécaniques. Illustration avec la cuve de Fessenheim-1, doyenne du parc : avant usage, son acier avait un comportement fragile (c’est-à-dire enclin à la rupture brutale) en dessous de -22°C. Aujourd’hui, après trente ans d’irradiation, le métal reste fragile jusqu’à +46°C ! En fonctionnement normal, aucun problème. Mais en cas d’incident, de l’eau froide doit être injectée dans le coeur. D’où risque de fragilisation. Et menace que la cuve se rompe sous l’action de la pression et en présence d’un éventuel défaut dans la paroi -sachant que de tels défauts ont déjà été détectés.

"EDF NE SE FONDE PAS SUR UN CALCUL PRÉCIS"

Le phénomène est si handicapant que, dès la conception, EDF et Framatome, fabricant des chaudières, avaient pris les devants : des échantillons des parois de cuve ont été disposés au plus près du coeur. Soit dans les conditions d’irradiation les plus drastiques, simulant en un temps court une quantité de neutrons normalement reçue sur des temps plus longs. Les échantillons simulant quarante ans d’exploitation ont ainsi déjà été retirés. Résultat : la température de transition indiquant le passage à un état fragile de l’alliage métallique devrait rester en deçà de la limite acceptable des 80°C. Et après quarante ans d’irradiation ?

Chez EDF, on laisse entendre que cette température se stabilisera. Est-ce si sûr ? « Il est vrai que le taux de fragilisation décroît avec l’accumulation des neutrons reçus », observe Bernard Marini, chercheur au Service de recherche métallurgie physique (CEA). « Mais comment ne pas s’interroger sur la représentativité (taille, composition chimique... ) de ces échantillons ?, interroge pour sa part Monique Sené, du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN). De fait, il est difficile de se fier totalement aux courbes tirées des mesure effectuées. "EDF se fonde sur un nuage de points expérimentaux avec une très forte dispersion, et non sur un calcul physique précis.

"Mais il faudra plus que ces incertitudes pour qu’EDF se résigne à fermer une centrale ! "On saurait préchauffer l’eau d’injection de sécurité pour réduire le choc froid, remarque Jean-Pierre Hutin. Il serait aussi possible d’appliquer des traitements thermiques à la cuve afin de reconstituer son métal d’origine, ou presque. "En pratique, quelques heures de traitement thermique suffisent. Mais, si ce "recuit" est pratiqué par les Russes sur leurs types de cuves, le sujet fait polémique en France : "C’est un procédé complexe, créant de forts gradients thermiques, donc de possibles problèmes ", souffle Bernard Marini.

ANTICIPER TOUS LES ALÉAS LIÉS À L’ÂGE

Qu’à cela ne tienne, "sur l’objectif 60 ans, nous ne nous sentons limités ni par la tenue de nos cuves, ni par celle de nos enceintes, assène Dominique Minière. Ce qui nous préoccupe ? Savoir remplacer, au bon moment, les autres composants : ni trop tôt, pour notre rentabilité.., ni trop tard !" Et ce défi-là n’est pas mince. Il suffit de rappeler que nombre de dégradations de vieillissement, avant 30 ans, ont été détectées à la suite de défaillances (voir encadré).

Pour ne pas se laisser déborder, EDF mise sur la simulation numérique. Début 2008, l’opérateur a ainsi ouvert à grands frais un laboratoire international, l’Institut de vieillissement des matériaux (MAI, en anglais) doté d’un supercalculateur à la hauteur de ces difficiles prévisions : 8000 processeurs ! Il n’en faudra pas moins pour anticiper un autre aléa majeur du troisième age : le vieillissement des structures internes de la cuve, celles qui maintiennent l’assemblage combustible. Plongées an cour du réacteur, ces pièces baignent dans de l’eau acide et sont mécaniquement malmenées. Résultat, elles se fissurent par "corrosion sous contrainte assistée par l’irradiation" ! Une synergie encore mal comprise. Arriver à l’anticiper, ce serait éviter de devoir remplacer au débotté ces 150 t de matériaux activés d’un bloc. Ce que seuls les Japonais de Mitsubishi ont déjà pratiqué (au prix de 70 jours de travaux sur une centrale à l’arrêt).

Mais les plus grandes menaces sur la pérennité des centrales pourraient venir de l’extérieur... Comme le constatait I’ASN dans son rapport 2007 sur l’état de la sûreté en France, « le dialogue technique avec EDF s’est clairement durci sur les aspects de faisabilité économique ». Comprendre : avec la dérégulation des marchés, les préoccupations de maîtrise des coûts se sont affirmées. Or, une chose apparaît certaine : maintenance au rabais (voir encadré p. 69) et "optimisation" des stocks de pièces détachées ne s’ont pas dans le sens d’une meilleure espérance de vie. "Faute de pièces disponibles, des maintenances préventives sont parfois reportées, et les pièces - encore saines- remontées en l’état", a constaté Pierre Wiroth, l’inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection d’EDF.

ROBINETIERS ET SOUDEURS SE FONT RARES...

Et le manque de pièces détachées n’est pas seul donner des cauchemars aux directeurs de nos centrales vieillissantes... De fait, robinetiers et soudeurs manuels, forts de leur savoir-faire traditionnel, sont devenus des denrées rares sur le marché français. Mais ô combien indispensables ! A tel point que leur disponibilité est devenu un critère majeur de décision des arrêts pour maintenance ! C’est que, au sein même des centrales, l’heure est la pénurie : "Il y a gel des mouvements entre les sites nucléaires : chaque directeur cherche désormais à garder son personnel de crainte de ne plus pouvoir retrouver la même compétence ", note Pierre Wiroth. Il faudra pourtant s’y faire : depuis cette année, la génération du personnel qui a mis en service le parc commence à partir massivement à la retraite. Soit 40% de l’effectif chez EDF d’ici à 2015 !

Trouvera-t-on assez de personnel compétent pour accompagner les centrales jusqu’à 60 ans ? A première vue, les statistiques n’incitent pas à l’optimisme. En effet, le régime de croisière annuel est de 350diplômés français en nucléaire. Or EDF devra embaucher 500 spécialistes par an clans les dix prochaines années. Alors que son grand fournisseur et prestataire de maintenance, Areva, lorgne sur les mêmes profils pour le marché français mais surtout à l’international. Ajoutez-y GDF Suez, désireux d’installer plusieurs EPR en Europe... et vous comprendrez pourquoi ces entreprises multiplient les appels du pied, en parrainant tous azimuts de nouvelles formations afin d’en capter les jeunes diplômés. Au point que tuteurs et enseignants viennent à manquer ! L’institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), formation phare créée en 1956 au sein du CEA, devra même faire appel cette année à des enseignants de l’université de Pise (Italie). Détail savoureux, alors que l’Italie est sortie du nucléaire en 1987... Si la filière parvient à se maintenir, le défi sera aussi de conserver ce vivier.

"Gare à ce que nos unités, nos prestataires, voire notre compétente Autorité de sûreté ne se fasse pas piller par le ‘renouveau nucléaire’ à l’étranger ! ", avertit Pierre Wiroth. Une inquiétude bien compréhensible, dans un contexte énergétique où l’atome attire des pays dont la filière nucléaire est à construire on à reconstruire intégralement : trente tranches sont en projet en Chine, le Royaume-Uni table sur au moins dix nouveaux réacteurs, l’Italie caresse l’idée d’un retour, Libye, Algérie, Emirats arabes unis posent des options... Alors même que la Direction de la production nucléaire d’EDF vit dans la hantise de voir ses prestataires -chargés de 80 à 85% du volume de maintenance- abandonner le nucléaire pour d’autres secteurs moins contraignants. C’est que la relève attendue ne raffole pas spécialement des pics d’activité estivaux (quand la consommation électrique est au plus bas), ni des travaux minutés au quart d’heure près, ni des contraintes drastiques propres an travail en milieu exposé à la radioactivité.

LES FOURNISSEURS QUALIFIÉS DISPARAISSENT

A mesure que les réacteurs avancent en âge, une autre angoisse se fait jour : c’est de voir disparaître (ou racheté) un à un les fournisseurs des pièces qualifiées pour les centrales. Parmi les 30 000 références indispensables, certaines prises électriques, sondes de température et autres capteurs de pression d’enceinte sont touchés. Surtout, quelques câbles électriques prévus pour fonctionner en conditions accidentelles ne sont plus produits. « Pouvoir refabriquer, puis tester ce genre de pièce critique et qualifier sa nouvelle usine prend quatre à cinq ans : un délai qui nous vaut parfois quelques sueurs froides… », reconnaît Dominique Minière.

Et qui dit nouvelle technologie de composant, dit aussi... possible nouveau mode de vieillissement. Voilà qui ressemble à un casse-tête sans fin ! Si ce n’est le démantèlement de ces réacteurs. L’électricien tricolore jure qu’il s’effectuera aussi vite que leur vie aura été longue : en vingt ans seulement au lieu des cinquante prévus à l’origine. "Attendre la décroissance radioactive n’offrirait pas d’avantage décisif, même après soixante ans d’irradiation des matériaux ", assure Régis Dalmas, directeur adjoint du centre de déconstruction d’EDF. D’ici là, peut-être aura-t-on enfin trouvé un cimetière où enfouir leurs restes les plus radiotoxiques. Mais cela, c’est une autre histoire…

Encadré :

Faits et chiffres En 2007, 76,9% de l’électricité produite en France était d’origine nucléaire. Chaque année, ce parc de 58 réacteurs pèse 1 milliard d’euros en frais d’entretien. La visite de passage de 30 à 40 ans coûtera une centaine de millions d’euros par réacteur. Mais le coût de production du kWh d’une centrale prolongée sera de 1,2 centime d’euro (rénovations comprises) contre 2,8 centimes pour une unité neuve. Le fonctionnement des centrales repose sur 20 000 agents EDF, auxquels s’ajoutent 20000 intervenants extérieurs issus de 600 entreprises prestataires. La visite décennale d’un réacteur nécessite pas moins de 1 800 personnes...

Encadré : Danger de la course à la production : un cas exemplaire Lorsqu’en novembre 2001, le manager de la centrale de Davis-Besse (Ohio) reçoit l’ordre de l’autorité de sûreté américaine de stopper son réacteur pour une inspection urgente, il choisit de… négocier. Pourtant, l’affaire est sérieuse : une épidémie de fissures touche les couvercles de cuve des réacteurs. Mais son calendrier de production, sur ce marché ultraconcurrentiel, ne peut s’accommoder d’un arrêt non planifié ! L’inspection n’aura pas lieu. En mars 2002, les contrôleurs sont de retour : ils détectent effectivement des fissures, mais surtout, au travers de l’une d’elles, une cavité profonde de 15 cm dans l’épaisseur du couvercle ! Son acier a été rongé par des infiltrations d’acide borique contenu dans l’eau de la cuve. D’autant plus facilement que l’opérateur privé FirstEnergy reportait ou bâclait les contrôles de corrosion. Résultat : l’étanchéité du circuit primaire n’est assurée que par le revêtement interne du couvercle, 5mm d’acier inoxydable plié sous les 138 bars de pression ! Encore deux mois et la tôle aurait cédé, entraînant un grave accident de « perte du réfigérant primaire ». Voire, ensuite, la fusion du cœur. Complaisance des autorités et course aux économies ont donc failli mettre en péril la vie d’un réacteur d’à peine 20 ans ! Au final, les deux ans de mise en conformité de la centrale ont coûté très cher à l’opérateur.

Encadré : Les mauvaises surprises du vieillissement Malgré toutes les anticipations d’EDF, les dégradations dues au vieillissement des réacteurs sont souvent inattendues et détectées à la suite de défaillances. Problème : une faille dans une centrale peut en cacher des dizaines d’autres ailleurs.

Cruas-4, en service depuis 1984 Nuit du 11 au 12 février 2006. Dans le réacteur n°4 de la centrale ardéchoise, une fuite de 500 l/h se déclare sur un tube d’un générateur de vapeur transportant l’eau - radioactive et brûlante - du circuit primaire. Arrêt du réacteur. Des techniciens parviennent à inspecter cette zone où aucun accès n’était prévu, et trouvent une explication inattendue. Près de ce tube, les passages aménagés pour la circulation de l’eau et de la vapeur du circuit secondaire sont encombrés de produits de corrosion. Par endroits, la section est même bouchée à 80% ! Conséquence : la vitesse du mélange eau-vapeur augmente jusqu’à faire vibrer les structures proches. sous l’effet de cette fatigue non prévue, des fissures apparaissent. D’où la fuite. Vérifications faites, une quinzaine de tranches EDF sont concernées par ce colmatage ! La solution ? Abaisser la puissance des réacteurs ou mettre hors service certains tubes, en attendant un lessivage à l’acide de ces dépôts. Cette opération lourde s’étalera jusqu’en 2010 et devrait grever la disponibilité du parc de 2% (10 TWh par an).

Bugey-3, en service depuis 1978 23 septembre 1991. La première visite décennale du réacteur n°3 de la centrale du Bugey (Ain) est aussi l’occasion d’une première mondiale. En effet, l’épreuve hydraulique en surpression (207 bars) vient de mettre en évidence des fuites à travers le couvercle de la cuve ! L’eau du circuit primaire suinte (1 l/h) à travers une tubulure du couvercle dont l’adaptateur est fissuré. Le coupable ? L’Inconel 600, un alliage de nickel, chrome et fer que l’on découvre ici sensible à la corrosion sous contraintes. De réacteur en réacteur, les mêmes traces de ce vieillissement sont détectées. Devant la difficulté des réparations, tous les couvercles de cuve du parc devront être changés, au coût unitaire de 15 millions de francs ! L’alliage 600 est aussi employé dans le circuit primaire, jusqu’au sein des générateurs de vapeur. Occasionnant, jusqu’à aujourd’hui, de coûteux remplacements. Ce matériau est désormais remplacé par l’Inconel 690, a priori immunisé contre ces dégradations...

Civeaux-1, en service depuis 1997 12mai1998. Cela fait cinq jours que la tranche du réacteur n°1 de cette centrale de la Vienne est à l’arrêt. Vers 20 h, une fuite importante (30 m3/h) se déclare sur le circuit de refroidissement du réacteur à arrêt (RRA). Or refroidir le coeur nucléaire est indispensable, même une fois la réaction stoppée. Heureusement, une autre voie prend le relais ! Une belle frousse que l’on doit à une brèche de 18 cm apparue sur un tuyau en coude. Particularité, celui-ci est situé dans une zone de mélange turbulent entre de l’eau chaude et de l’eau froide (écart de +150°C). A force de se dilater et de se contracter, la fatigue thermique a fait son oeuvre. Et surpris tout le monde : EDF n’avait nullement anticipé ce phénomène. A regarder de plus près l’ensemble du parc, ce n’est d’ailleurs pas la seule zone de mélange fragilisée. D’où une surveillance accrue.

Dampierre-3, en service depuis 1981 9 avril 2007. A 20h37, les agents de la centrale de Dampierre-en-Burly (Loiret) constatent la défaillance d’un relais électrique lié aux systèmes de sauvegarde de la centrale. S’ensuit une série de couacs qui nécessitent l’arrêt du réacteur n°3 pendant plusieurs heures. A l’origine de cette nuit d’angoisse, l’apparition à la soudure d’un composant d’un long filament cristallin créé, au fil du temps, par des efforts de compression. Il a suffi que cette moustache d’étain, appelée "whiskers", touche un autre composant pour faire court-circuit... Ce mode de vieillissement avait déjà provoqué sept arrêts provisoires de réacteurs dans le monde. Or, d’après les physiciens, la suppression du plomb dans les soudures pour raisons environnementales depuis 2006 pourrait encore favoriser ce phénomène de whiskers.

Encadré Réchauffement climatique : un risque majeur pour les centrales Dans leurs vieux jours, les réacteurs prolongés pourraient pâtir de la multiplication annoncée des canicules. Spécialement les unités refroidies via un cours d’eau – soit plus de 70% du parc. Et pour cause ! D’abord, le niveau de l’eau doit être suffisant pour pouvoir la pomper – question aussi de sûreté nucléaire. Ensuite, chaque kWe produit nécessite de prélever jusqu’à 100 litres d’eau la plus fraîche possible, de façon à la rejeter en dessous de la valeur limite des 28 à 30°C, suivant les cas. Sinon, survie des poissons oblige, c’est l’arrêt (quasi) obligatoire comme ce fut le cas à l’été 2003 et 2006… Le pôle R&D d’EDF s’est penché sur l’échéance 2050-2060. Et les résultats des simulations numériques, bien qu’encore riches en incertitudes, sont accablants ! Exemple : sur le bassin de la Loire, doté de cinq sites nucléaires, il faudrait s’attendre à une eau plus chaude de 1,5°C en été, et à un débit 40% inférieur en août. Jusqu’à – 50% en septembre… Ces étiages plus précoces, plus longs et plus sévères nécessiteraient alors de déployer, tous les deux ou trois ans, des moyens d’urgence dignes de la canicule de 2003. En sollicitant au maximum les barrages amonts. Ce n’est guère mieux sur le Rhône, qui abrite 14 tranches nucléaires. Là encore, il faudra adapter la production aux températures élevées de l’eau et faire avec les limites des capacités des barrages EDF, la gestion des barrages suisses, la fonte des neiges plus précoce… Bref, à moins d’adapter les centrales, produire de l’électricité risque de devenir un casse-tête !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message