Madame Alliot-Marie, retirez votre fichier ! (par Jean-Pierre Mignard)

jeudi 11 septembre 2008.
 

La police est le premier bien de la cité. Convenons-en avec un Aristote. Que pourrait la police sans mémoire ? Rien ou pas grand-chose. Les fichiers, manuscrits hier, numérisés aujourd’hui, sont le support de la mémoire policière. Il y aura donc des fichiers tant qu’il y aura des polices.

Ce préalable étant posé, les indications contenues dans un fichier de police doivent servir à l’intérêt général et rien d’autre.

On n’a pas le droit de tout savoir, on n’a pas le droit de tout consigner lorsque l’on est un service public. La consignation sur un fichier, ou sur tout autre support, d’une information détenue par la police doit servir à l’intérêt général et à rien d’autre. Cela signifie qu’elle doit être strictement encadrée afin d’être limitée à l’usage que lui a réservé la loi et à rien d’autre.

Qui peut dire quel serait le dévoiement de l’usage d’un fichier à travers le temps ? Si la personne du ministre en place peut nous rassurer, nous ignorons beaucoup de notre avenir.

Ce fichier est un fatras. On y envisage d’accumuler pêle-mêle des renseignements relatifs à la dangerosité des enfants de 13 ans, la liste des mandats exercés ou convoités par des personnalités politiques, économiques, syndicales ou même de simples militants.

La deuxième catégorie de renseignements figurait déjà dans le fichier des Renseignements généraux de 1991. Mais des dévoiements ont déjà été constatés.

Il existe un casier judiciaire. Il existe déjà de nombreux fichiers : le Système de traitement des informations constatées (Stic), le fichier central, celui des personnes recherchées, celui des recherches criminelles, la partie française du système d’information de Schengen, celui du contrôle pénal, celui des empreintes digitales, le fichier national transfrontière, celui des brigades spécialisées, celui des Renseignements généraux, celui comportant les photographies et le signalement des personnes mises en cause dans une procédure judiciaire ainsi que des fichiers régionaux.

Pourquoi en rajouter un autre si ce n’est pour étendre, à des personnes ni jugées ni condamnées, le soupçon d’avoir participé à une infraction lorsqu’il s’agit de mineurs, par exemple ? Il existe des lois d’amnistie et le droit à l’oubli ne s’appliquerait, dès lors, qu’au casier judiciaire et pas à ces fichiers.

On pouvait déjà collecter des données sensibles relatives aux origines raciales ou ethniques, aux opinions politiques, philosophiques et religieuses et l’appartenance syndicale. La santé et la sexualité pourraient dorénavant être consignées. On peut, là aussi, s’interroger raisonnablement sur le pourquoi de la mémorisation de données hautement intimes dont on ne voit pas bien à quel intérêt général elle peut se rapporter.

Il s’agit, ni plus ni moins, d’un fichier signalétique de millions de Français puisque le Stic en concerne déjà près de deux millions et demi.

La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) est l’autorité administrative indépendante chargée de contrôler les fichiers. Elle le fait avec probité, mais ses moyens sont dérisoires au regard de l’ampleur des fichages actuels et de ceux à venir.

L’exercice de mandats dans la vie publique est une liberté qui doit être protégée plus qu’elle ne doit être fichée. L’intimité de la vie privée est le sommet de la civilisation démocratique. Toutes les sociétés autoritaires ou totalitaires ont nié le droit à l’existence d’une vie privée inconnue de l’État. Le Grand Inquisiteur, le Grand Mollah, le Commissaire stalinien ou nazi n’ont jamais reconnu le droit à l’existence d’une vie privée. Il s’agit d’une conquête démocratique et malheur à ceux qui joueraient avec.

Il est sans doute plus facile d’allonger la liste des fichiers que d’augmenter les budgets. La démocratie a un coût. Michèle Alliot-Marie est gaulliste, elle s’en honore. C’est en effet un honneur. Mais cela comporte des devoirs : Madame, retirez votre fichier !


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