Cinquième Forum social européen à Malmö en Suède (suite)

dimanche 21 septembre 2008.
 

Durant cinq jours, responsables d’organisations et militants de toute l’Europe, dont beaucoup de membres d’Attac, approfondiront les analyses de la situation européenne et mondiale, ainsi que les propositions alternatives au néolibéralisme.

L’objectif est de construire des alliances et de préparer des mobilisations, autour de propositions concrètes qui poseront les premières pierres d’une autre Europe, solidaire, écologique et démocratique.

À l’heure où la crise financière et ses conséquences sur l’économie réelle s’aggravent, multipliant les drames sociaux, il est urgent que les États entendent les propositions des altermondialistes et que les citoyens se mobilisent en ce sens. (article du site d’ATTAC)

1) Arrivée à Malmö

Impossible d’arriver seul à Malmö : d’une file d’attente à l’autre (car la patience est un trait de personnalité nécessaire à tout bon forumeur), les participants se reconnaissent, se rejoignent, se rattrapent ou s’interpellent. On découvre ainsi une première pratique extrêmement répandue dans tout bon Forum social : le serrage de paluches. Car sur le trajet entre Copenhague et Malmö, on se serre la pince et on claque la bise à tout va : « Mais c’est Maria-Angela et Vera ! ». Et ce, dans toutes les langues et sur tous les tons : “Hey !! Hello ! How are you Peter ?!” Parfois également, le forumeur se révèle un peu tête en l’air, ce qui exige un brin de savoir-vivre face à ces visages reconnus d’un rendez-vous à l’autre : “Hey !! Hello ! How are you… since last time !? ”

La délégation français aussi opère des retrouvailles régulières : dans l’aéroport de Copenhague, la FSU papote avec la Fondation Copernic sous les regard bienveillant d’un droits de l’hommiste. En attendant les bagages, on voit même la CGT et Solidaires rivaliser de boutades. Un autre monde, on vous dit. Entre deux discussions sur la situation politique française, italienne ou espagnole, sur le syndicalisme européen ou le silence des medias sur l’ampleur de la crise financière, ce petit monde cosmopolite se renseigne affablement sur la santé et la famille. Et la discussion reprend : entre un pronostic sur le NPA et un litige sur des résultats de Die Linke, en passant le regret de la bière berlinoise (dernière assemblée préparatoire du FSE), les forumeurs devisent. L’ambiance est plutôt bon enfant en ces terres du Nord, ce qui n’empêche pas quelques chamailleries dans les rangs. Entendu sur la route : « Tu vois, je te l’avais dit qu’il n’y avait pas de décalage horaire ! » Réponse de l’intéressée : « Oui bah, pour une fois que Solidaire à raison contre la FSU. » Car le forumeur est taquin, on vous aura prévenu.

Et puis tout à coup, ca y est, le détroit de l’Øresund est enjambé et déjà, on ne comprend plus rien. Il faut retrouver ses rudiments d’anglais, creuser dans ses années lycées et essayer de saisir la prononciation de cet alphabet plein de ö, de gaard et de ø qui remplit les panneaux de la Centralstationen des trains. Déjà quelques impressions se détachent : il y a quelque chose de culturellement écolo ici, les rues fourmillent de vélos et autres pistes cyclables et on n’a pas pu s’empêcher de remarquer en passant sur le pont qui relie Copenhague à Malmö les étranges plantes aquatiques de la région. Adoptez un altermondialiste

Le forumeur est patient, on l’a dit, et cultive volontiers le goût de la polémique voire de la controverse politique (à condition qu’elle soit soutenue par un bon vin). Mais les qualités du bon « alter » ne s’arrêtent pas là. Participer au FSE, ça se mérite. Et ils semblent que les suédois aient mis la barre haute. Première qualité absolument nécessaire à l’altermondialiste : le sens de l’orientation. Or l’organisation suédoise ne facilite pas toujours les épreuves. Après maintes tergiversations, attentes, erreurs de bus, de sens et de guichet, le forumeur devra patienter encore de longues minutes devant les jeunes volontaires assez débordés, il faut bien le dire, de l’organisation nordique pour atteindre son objectif du jour : l’enregistrement.

Enfin, le sacro-saint « Forumpass » (sésame permettant l’entrée à tous les évènements) en main et acquis de haute lutte, on veut se lancer dans le forum !

Mais premier pas..et premiers contretemps : Impossible de rallier le Folkets park (parc du peuple) lieu de la « cérémonie d’ouverture » du Forum à moins de marcher 30 minutes. Brainstorming ! Armes et bagages n’ont pas encore été déposés. Coup d’œil au timing : il est 18h30, on a déjà un demi-heure de retard et la nuit tombe vite sous ces latitudes. Coup d’œil au thermomètre, la décision est unanime : Let’s go to the camping ! Comme dirait un camarade : « De toutes façons, les discours des huiles.. ». Bon d’accord. A chacun son forum apparemment.

Dernières rumeurs : il semble qu’une petite poignée d’arrivants rencontre des problèmes « d’accomodation » et ne savent pas où dormir. Ils vont semble t-il tester l’hospitalité locale du malmösien, à leur risques et périls. On se retourne une dernières fois : à près de 19 heures, de nombreux participants font encore la queue à l’enregistrement. Malmö n’est décidément pas Pékin. La cérémonie s’annonce clairsemée. Mais qu’importe, car les choses sérieuses commencent demain : début des séminaires, des assemblées et des évènements en tout genre. Une bonne nuit – sous toile à 7° température locale - ne sera pas de trop.

Article de L’Humanité

2) Au travail

Au boulot !

Le Forum est un déchirement. L’abondance des séminaires produit forcément quelques frustrations et amène à des choix cornéliens : faire avancer l’Europe sociale ou sauver le climat de la planète ? Ecouter les sans voix (No Vox) ou signer les textes des sans papiers ? En vérité, si l’objectif de proposition d’une politique différente, fondée sur d’autres logiques souvent non libérales est clair, les sujets sont forts variés. Quelques intitulés, glanés au hasard du programme, viennent en témoigner.

« Démocratiser et revitaliser les services publics européens », « Construire une politique agricole mondiale », « La privatisation de l’éducation », « Le mouvement pour la paix », « Les armes nucléaires », « Flexisécurité », « Droits des femmes en Europe et dans le monde », « Mouvement syndical : comment organiser le futur ? » etc, etc. Le risque menace bien sûr que, la fatigue aidant, le forumeur commence à s’emmêler, cherchant en vain à assister à la lutte des femmes affrontant à l’arme nucléaire des agriculteurs népalais antimilitaristes et syndiqués. On continue tout de même.

L’altermondialisme est un humanisme

Aujourd’hui, notre lieu de travail du jour n’a rien à envier au décor d’un film de Tim Burton. C’est l’ancienne chocolaterie de Malmö qui sert de salle de conférences à nos alters.

L’assemblée est studieuse. Certes, on ne dit pas que, au bout de la deuxième heure d’interventions, certains ne sont pas pris de faiblesses, notamment à l’heure de la sieste et de la digestion. Mais dans l’ensemble, on prend des notes, on réagit : en levant les yeux au ciel ou en demandant le micro. Alors Intello le Forum ? Un peu oui. Car même lorsque l’on commence à se dissiper gentiment et que la sacro-sainte « pause-clope » réunit ceux qui s’accordent quelques minutes pour sécher, les discussions reprennent de plus belle dans la rue et l’alter redevient sérieux.

Au fil du Forum

Fin de journée dans le Média center. On tombe sur Victorio Agnolleto, eurodéputé (groupe GUE/NGL) se faisant interviewer par un media associatif italien « indépendant » dont l’offre se décline en quatre langue : italien, français, anglais et arabe. Participer et couvrir le FSE est l’un de leur projet. (www.amisnet.org et http://medinforadio.net/). A l’heure où l’on discute des moyens de créer un espace public européen grâce auquel les citoyens pourraient s’approprier les questions européennes, voila une intéressante initiative.

Le parlementaire européen cherche à diffuser la bonne parole. Il appartient à la « Sinistra Europea », gauche européenne pour les italiens. Il sort tout juste de son intervention dans un excellent séminaire (animé par votre serviteur..) et intitulé « Europe : Comment construire des institutions démocratiques ? ». Alors ? Alors il raconte que les propositions ont fusées et que les discussions furent animées. Et alors ? _ Alors, explique t-il, on a abouti à quelques consensus : augmenter les pouvoirs du parlement européen notamment. Même à la radio, ses mains parlent avec lui. On a insisté sur la nécessité de politiser les citoyens sur les enjeux politiques européens. Or un peuple, ça se construit dit-il, par des luttes communes et des choix communs. Les propositions suivent : multiplier les mobilisations communes en Europe et interroger les peuples par des référendums. Dernière revendication : « l’initiative législative populaire », c’est la possibilité pour la population d’imposer à la discussion des dirigeants de l’Union, un projet de loi ou de directive en faisant de la pétition une arme politique réelle. Et il poursuit, intarissable. Ah les italiens !

Mais on est déjà en retard. On repart.

Article de L’Humanité

3) FSE : mode d’emploi

Au programme tous les jours : Trois sessions de 9H30-12h30, 14H-17H puis 18H-21H avec à chaque fois, une trentaine de séminaires en simultané. Au vu des intitulés, on rêve parfois d’ubiquité. Mais à la vérité, rares sont les participants qui enchaînent ces trois séances. Ce n’est pourtant point là faute d’ardeur, c’est que la clef du Forum est aussi ailleurs. Car au-delà des conférences et des assemblées officielles, les avancées du FSE se jouent dans les réunions informelles.

Le FSE est enfant de son époque. La question du mode d’organisation à été tranchée depuis longtemps et la forme réseau y a définitivement supplanté les modèles d’organisation hiérarchiques et verticaux fortement structurés, trop rigides pour ces participants d’horizon divers et de culture politique disparates. Ce sont ces réseaux thématiques qui charpentent le FSE et tissent sa réalité. Réseau service public, réseau migrants, réseau Charte des principes pour une autre Europe , réseau Travail et globalisation (réunissant notamment les syndicats) et tant d’autres.

Patience et longueur de temps

Le FSE se révèle ici à l’image des nouvelles formes d’engagement : plus ciblées (voire mono-causales), s’inscrivant dans des groupes aux relations horizontales, égalitaires et ici, internationales. Agglomérat d’individus représentants chacun son « orga », ces réseaux ont l’intérêt de la malléabilité : si une organisation se retire, le réseau plie mais ne rompt pas et le travail se poursuit. Mais ils ont aussi le défaut de la lenteur. Fonctionnant au consensus et non au vote, suivant le principe du FSE, les résultats sont loin d’être immédiats.

C’est parce que ce processus suit souvent un cheminement particulier : après la rencontre, chacun retournera à son organisation les bras chargés de propositions nouvelles à discuter et à faire agréer avant de s’engager dans une position ou une mobilisation commune. Le forum sème. Comme le disait un « copain » anglais ce matin : « ESF is a process ». Oui, le Forum ne peut se résumer à un énorme congrès ou une grande mobilisation unitaire, il est un processus. ESF keeps walking.

Les réunions des réseaux s’organisent donc au sein et en marge du Forum -le graal est parfois dans les couloirs- et la journée peut finir très tard pour les aguerris. Hier soir, 21H : début de la rencontre du Réseau Transform ! Tiens un réseau, politiquement labellisé pour le coup, qui publie ses regards et analyses dans une revue en quatre langues, (http://www.transform-network.org/) l’espace politique européen se construit. Résultat : fin de la journée, minuit passé et le camping est encore à 8km…

Gorge sèche au programme

Nouveau jour, nouveau lieu, après la chocolaterie, la valse des séminaires nous emmène au TangoPalatset. Le bal s’ouvre sur « le management public de l’eau comme alternative à la privatisation ». Les intervenants, turcs, italiens, nordiques et allemands se succèdent pour proposer des analyses globales ou relater des expériences locales de gestion publique. La salle est attentive. A la fin de son intervention, je lance mes filets sur Jacques Perreux. L’homme n’en est pas à son premier jet (d’eau). Tout frais élu (jeudi) au Conseil national de l’Eau -instance publique consultative, équivalent du CSA sur les questions humides- il est également vice-président du Conseil général du Val de Marne, en charge de l’eau, justement. Live from the ESF donc, voici en quatre morceaux choisis, la substantifique moelle de ses propos : La meilleure défense c’est l’attaque. En bon loup de mer, Perreux commence par démontrer, chiffres à l’appui, qu’en France l’eau potable est moins chère gérée par une régie publique que produite par une entreprise privée. Tel est pris qui croyait prendre : « Ceux qui considèrent l’eau comme une marchandise ne sont donc pas compétitifs sur le marché ». On ne boude pas son plaisir. Dénonçant ensuite le comportement des entreprises, il accuse celles-ci (Générale des Eaux, Lyonnaise des eau ou encore Veolia) de pratiquer le partage du gâteau beaucoup plus volontiers que la compétition des prix.

Comme d’autres intervenants, il défend également avec conviction la reconnaissance de l’eau comme un droit humain fondamental mais aussi comme un bien commun (devant donc être géré en commun) : « l’eau n’appartient à personne ». D’ailleurs, l’interdépendance des actions de tous sur l’eau au niveau de la planète (car l’onde ne respecte pas les frontières) nécessite la solidarité.

Enfin, insistant sur l’éducation et la prévention, il explique comment la gestion publique réalisée implique les citoyens-usagers. Il est particulièrement prodigue d’ailleurs sur les exemples français de communes et de villes où la gestion de l’eau est passé du privé au public…En espérant le ricochet.

(A noter que pour les plus assoiffés que l’intégralité de son intervention sera en ligne à la fin du Forum sur le site de La Fondation Copernic (http://www.fondation-copernic.org).

Sur ces bonnes paroles, on va se reposer un peu avant de rempiler aux réunions du soir. Sans oublier que demain, comme l’annonce le site officiel du Forum : « it’s Great parade and demonstration march ! » Ah, on va se retrouver comme chez nous, c’est la manif ! C’est parti pour une petite flânerie au travers des évènements culturels (foisonnants) du Forum. Une seule question : pièce de théâtre montée par de jeunes acteurs immigrés ou concert « we will rock your guts » (on va vous bouger les tripes) ?


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