Dépassé le "non" à cette Europe là ? par Raoul Marc Jennar

jeudi 2 octobre 2008.
 

Aujourd’hui, pour certains, le temps est venu de « dépasser » - c’est le mot à la mode - le clivage entre les partisans de l’Europe telle qu’elle se fait et ses adversaires. Il semble que ce soit le nouveau discours convenu dans une frange de ce qui fut la gauche du « non » au TCE. Un refus qui fut et reste d’actualité, puisque l’acte de décès de cette copie conforme du TCE qu’est le traité de Lisbonne n’a pas été prononcé. En dépit de son rejet par le peuple irlandais.

Après la synthèse rose du PS, voici la synthèse verte. Du PS et des Verts, depuis la gauche plurielle - en voie de reconstitution - les partisans d’un éco-socialisme, c’est-à-dire d’une réelle transformation sociale non productiviste, savent qu’il n’y a rien à attendre. Mais plus surprenante est la synthèse de ceux qui, en même temps qu’ils font cette synthèse, veulent une alternative à gauche.

Ainsi, l’hebdomadaire Politis. Il avait condamné la synthèse socialiste du Mans. Mais, pour lancer son Appel pour une alternative à gauche, il a demandé à des partisans comme à des adversaires du TCE de figurer parmi les premiers signataires invitant d’autres à signer. Et depuis, il ne manque aucune occasion d’accréditer cette idée que le clivage entre le « oui » et le « non » a cessé d’être pertinent : “on ne peut pas faire non plus du “non” du 29 mai un critère de sélection pour toujours !” (Politis, n°1012-1014). « Pour toujours » !!! Mais le TCE, c’était il y a trois ans et son jumeau, le traité de Lisbonne, c’était au début de cette année-ci ! Et son sort n’est pas encore réglé. Même si, juridiquement, après le rejet irlandais, ce traité est caduc, l’hypothèse de le voir mis en œuvre, en tout ou partie, par les gouvernements qui ont obtenu sa ratification parlementaire ne peut être exclue. L’Allemagne et la France font pression sur l’Irlande pour qu’un nouveau référendum y soit organisé. Que feront alors ceux qui auront renoncé à leur « non » ? Les débats entre « ouistes » et « nonistes » seraient des « débats d’arrière-garde », selon Politis (n° 1015). Autrement, dit, ce serait ringard que de s’opposer à un projet de société que TOUS les gouvernements de l’Union européenne veulent encore et toujours nous imposer ; la référence au « non » serait « dépassée », se plaît à citer Politis dans son numéro 1016. Or, rien n’a changé dans les politiques décidées par nos gouvernements quand ils se retrouvent à 27 et qu’ils appuient les propositions de la Commission européenne, un directoire sans contrôle démocratique qui s’avère plus néolibéral même que l’administration Bush !

Mais à quoi disons-nous « non » ? Aussi bien au TCE hier qu’au traité de Lisbonne aujourd’hui. Nous disons « non » à un projet qui impose durablement un modèle de société caractérisé par le déclin des pratiques démocratiques, le rejet de la laïcité, la négation de l’autonomie de la femme, la primauté de l’économique sur le politique, la régression des droits sociaux, la disparition des services publics, l’abandon de la solidarité au profit de la compétition, le productivisme, la généralisation du dumping social et des précarités, l’aliénation définitive à l’OTAN. Nous disons « non » à une entreprise européenne dont l’objectif est de permettre la remise en cause, par le haut, de tous les acquis démocratiques et sociaux arrachés depuis plus de deux cent ans.

Et nous continuerons à dire « non » à cette « révolution conservatrice » (Bourdieu). Notre combat n’était pas une parenthèse qu’on puisse aujourd’hui refermer. Nous ne nous sommes pas battus pour qu’en fin de compte, l’effort premier soit de « dépasser » ce qui nous a opposés aux partisans de ce projet de société. Parce que rien n’a changé et que cette Europe-là continue plus que jamais de démanteler le droit du travail, d’imposer la destruction des services publics, de protéger la libre circulation des capitaux (et la spéculation financière qu’elle favorise), de pousser à la privatisation de la santé et de l’éducation, de protéger les dividendes des firmes de l’agrobusiness et de la chimie plutôt que la santé des gens, d’édifier des barbelés et des prisons pour les populations que le capitalisme européen affame dans le Sud. Pendant que s’accomplissent les privatisations déjà préparées depuis que l’Union européenne a négocié l’Accord Général sur le Commerce des Services, depuis qu’elle a adopté le Traité de Maastricht, la Stratégie de Lisbonne et les Décisions de Barcelone. Tout cela a-t-il disparu qu’ont défendu et que défendent le PS et les Verts ?

Comment est-il possible de « dépasser le non » et de s’allier avec ceux qui aujourd’hui, avec une hypocrisie facilitée par le peu de mémoire des gens et la complicité des médias, protestent contre la privatisation de la Poste, alors qu’ils ont négocié, adopté ou soutenu tous les textes internationaux et européens qui la rendent obligatoire au regard de ces textes ?

Celles et ceux qui ont tenté de nous tromper en voulant faire accepter le TCE hier, le traité de Lisbonne aujourd’hui ont-ils subitement changé à la fois de méthode (le mensonge) et d’opinion (leur soutien à cette Europe-là) ? Ont-ils rallié le camp des adversaires d’une Europe au service prioritaire des multinationales ? En aucune façon. Que signifie dès lors une démarche où se retrouvent des contraires ? Le traité de Lisbonne n’est pas sorti du débat. Quelle est la crédibilité d’une démarche pour une alternative de gauche qui réunit des gens qui lui sont favorables et d’autres qui lui sont hostiles ? Quel crédit accorder à des formations politiques, comme le PS et les Verts, dont un candidat, sur une question majeure, prône exactement le contraire de ce que défend un autre candidat ?

Historiquement, ce sont les conservateurs qui ont toujours nié la réalité d’une opposition entre exploiteurs et exploités, entre la gauche et la droite, qui ont poussé au consensus, qui ont répété sans cesse que « nous sommes tous dans le même bateau ». Cet unanimisme, auquel tant de gens sont sensibles, est l’instrument pervers des privilégiés. Il est plus que jamais à l’œuvre aujourd’hui. Il semble, malheureusement, qu’il ait gagné une gauche qui ne veut plus le conflit, une gauche gangrenée par le complexe du compromis, une gauche qui, de concessions en concessions, n’est plus qu’un ersatz de la gauche.

Une gauche de la synthèse avec les choix de la droite, ce n’est plus la gauche.

Ils doivent bien sourire dans les couloirs de la Commission européenne, dans les bureaux des lobbies bruxellois, dans les conseils d’administration des firmes multinationales quand ils entendent et lisent à gauche qu’il faut dépasser le « non » de gauche à l’Europe capitaliste.

L’exploitation des humains et de la terre a encore de beaux jours devant elle.


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