L’Etat redécouvert (par Eric Coquerel, Président du MARS-Gauche Républicaine)

jeudi 16 octobre 2008.
 

Et voilà que le Krach financier aidant, actionnaires, acteurs de la finance, spéculateurs, détenteurs des capitaux découvrent en réalité la situation rampante dans laquelle se retrouve depuis des mois, voir des années, une partie de plus en plus massive des populations.

Ils redécouvrent également l’Etat en matière économique au point de recourir à des nationalisations, concept quasiment préhistorique à leurs yeux il y a seulement quelques semaines ! On n’épiloguera pas sur le cynisme et l’opportunisme des défenseurs du libéralisme qui en appellent aujourd’hui à la régulation et à l’intervention publique pour rassurer et sauver intérêts boursiers et institutions financières…

Devant les centaines de millions d’Euros trouvés en un tour de main, ils seront nombreux, salariés, chômeurs, fonctionnaires, retraités, assurés sociaux, pour n’en rester qu’aux pays « développés », à rire jaune. Eux à qui, au nom des « équilibres économiques  », les mêmes ont rétorqué depuis 25 ans que ni l’Etat ni les entreprises ne pouvaient accéder à leurs revendications dont le « coût » était pourtant sans aucune commune mesure avec les sommes mobilisées depuis quelques jours pour restaurer la confiance dans les cours boursiers…

Les licenciés des entreprises qui font du bénéfice, à qui naguère un premier ministre, « socialiste » pourtant, en vint à expliquer qu’ “il ne (fallait) pas attendre tout de l’État ou du gouvernement” et que “ce n’est pas par la loi, ce n’est pas par des textes, ce n’est pas par l’administration que l’on va réguler l’économie aujourd’hui” (Lionel Jospin en 1999 suite au plan de licenciement chez Michelin), se diront que si l’on refuse de socialiser les bénéfices pour maintenir l’emploi on peut par contre en socialiser les pertes…

Quant au Président de la République, qui a appelé à moraliser le capitalisme en requérant, lui aussi, les bienfaits de l’Etat en la matière, la décence devrait le conduire à présenter d’abord des excuses publiques à ces millions de travailleurs dont il se réjouissait en juin que désormais, lorsqu’ils étaient en grève, on ne s’en apercevait pas, preuve d’après lui que la France avait changé.Car sans ces résistances sociales qui ont freiné depuis 25 ans la marche forcée vers le libéralisme et la casse totale de l’Etat social, sur quelle once de crédibilité pourraient aujourd’hui se reposer des propositions faisant appel à l’intervention de l’Etat ?

La fin d’un cycle : celui de la mondialisation libérale

Il est quelque chose de cependant positif dans ces éloges aussi hypocrites que temporaires de l’action publique : en revendiquant que les Etats, et des politiques de coordination entre eux, peuvent influer sur l’économie mondialisée, nos gouvernants contribuent d’un coup à effacer la pensée unique qui a enrôlé bien des esprits depuis 25 ans.Non, la dérégulation généralisée, l’absence de tous contrôles sur les transactions, la concurrence érigée comme la règle intangible des rapports humains à l’échelle planétaire ne reposaient en rien sur une loi naturelle mais bien sur une politique… Effacé en quelques jours, Francis Fukuyama, qui avait théorisé dans les années 90 sur le libéralisme comme point final de l’histoire…

Preuve donnée que la mondialisation libérale et le monde unipolaire qui en garantit les intérêts géostratégiques, constituent un épisode dans l’histoire et non son stade ultime. Le Krach boursier débuté le 15 septembre, la remise en cause un peu partout de l’ambition hégémonique des Etats-Unis d’Amérique et de son bras armé qu’est l’OTAN, dont la crise du Caucase est la dernière démonstration, clôturent la période ouverte par la chute du Mur.Nicolas Baverez, économiste libéral s’il en est, l’admettait il y a peu sur France 3 : “le capitalisme qui va sortir de cette crise sera différent de celui des vingt dernières années. C’est la fin d’un cycle, celui de la mondialisation libérale née dans les années 80, qui était basé sur la déréglementation, la baisse des taux d’intérêts et l’ouverture des frontières”. Et lui aussi d’en appeler à l’aide de l’Etat : “Il faut sauver les banques (…). Quand le marché s’effondre, l’intervention de l’état est requise. Mais attention – prévenait-il – au-delà de cette période ce ne peut être que des nationalisations encadrées et temporaires, il ne s’agit pas d’étatiser l’économie mais de permettre au marché de fonctionner de nouveau”. Même s’il précise que ce sera avec « des garde-fous », le message pour les mois à venir est clair : l’Etat, ce pelé, ce galeux quand il ose se décliner en lois sociales, contrat de travail, salaires minimum et autres « archaïsmes » d’avant la crise, est appelé à la rescousse du marché libre et non faussé mais devra bien vite regagner son lit dès lors que les profits repartiront à la hausse. Du discours de Baverez et consorts découle évidemment une question fondamentale : ce capitalisme mondialisé est-il soluble dans la morale et donc « régulable » ou génère-t-il automatiquement une mécanique qui ne peut à terme qu’entraîner des catastrophes ? Les sociolibéraux, et aujourd’hui tous les gouvernements face à la crise, appuient la première réponse. Ils ont depuis longtemps décidé d’accompagner la mondialisation libérale en tentant d’adoucir ses effets. Le résultat est sous nos yeux et ce qu’ils nous proposent consiste à le remettre d’aplomb avec l’aide de notre richesse socialisée. Nous pensons à l’inverse, plus que jamais, qu’une gauche digne de ce nom devrait tout mettre en oeuvre pour le remettre radicalement en cause avant que ne s’aggravent encore les dangers qu’il fait courir à l’humanité  : danger social, démocratique, écologique, international… La crise a au moins l’avantage de préparer le terrain : jamais critique du libéralisme n’aura été placée dans une situation aussi favorable qui plus est dans un pays comme le nôtre où il n’est jamais complètement parvenu à gagner les esprits.

Les risques encourus

Pour autant, si en passant le capitalisme au révélateur, cette crise peut légitimer plus aisément ses contradicteurs, il serait irréaliste d’en ignorer les dangers. Les événements qui ont suivi la dernière grande dépression économique de l’histoire – celle de 1929 – rappellent que le pire peut survenir comme le meilleur. Montée au pouvoir du fascisme et expériences des Fronts populaires en sont l’illustration. La période n’est certes pas identique mais le champ des possibles n’en reste pas moins ouvert.On sait que la récession ne conduit pas spontanément ceux qui en sont victimes à la solidarité mais facilement au chacun pour soi et, à plus grande échelle, aux déchaînements nationalistes. Les plans financiers pris unilatéralement par l’Irlande et la Grande-Bretagne en constituent un indice. Ils révèlent par ailleurs, tout comme l’axe franco-allemand qui se redessine une nouvelle fois,qu’avoir construit un grand marché en guise d’Europe n’a fait, ni avancer la solidarité communautaire ni les politiques éponymes, ni disparaître les coopérations privilégiés entre des Etats comme la France et l’Allemagne. Ils démontrent aussi, en passant, que la structuration nationale des entreprises financières subsistait bien plus fortement que ne le chantaient des libéraux fort occupés à nous laisser croire qu’aucune marge de manoeuvre n’était possible pour les contrôler… Mais si la crise affole les détenteurs de capitaux,elle n’est pas chose nouvelle pour ceux, très majoritaires, qui, ne vivant que de leur force de travail, ont vu leur pouvoir d’achat s’amenuiser au fur et à mesure que les richesses basculaient du côté des profits. En dernier ressort, la crise des Subprimes ne constitue-t-elle pas d’ailleurs le rattrapage de l’économie « virtuelle » par l’économie réelle ? Elle a démontré qu’à jouer les profits à deux chiffres au détriment des revenus salariés, le boomerang n’est pas loin : car à l’origine de la faillite de Lehmann Brothers, quoi d’autres que des travailleurs de plus en plus appauvris incapables soudain de payer leur crédit à risque et fragilisant ainsi tout le système bancaire basé sur ce mécanisme ?

Les sociaux libéraux dans l’impasse

Foin de pansements donc à apposer sur ce système qui, en 20 ans, vient de prouver ses capacités à entraîner le monde dans le désastre : il y a plus que jamais urgence à lui opposer une véritable alternative. Pour répondre à la situation, elle devra, dans un premier temps, s’avérer capable de s’opposer à la fois à l’absolutisme du marché et de proposer une répartition des richesses en faveur du monde du travail, inversant ainsi la tendance observée ces 20 dernières années.A gauche, le paysage politique dans lequel nous devrons tenter de construire cette alternative devrait «  bouger » encore davantage sous l’effet de la crise. Les socio-libéraux se retrouvent en effet dans l’impasse, sans marge de manoeuvre vis-à-vis d’une droite qui leur prend leur seul fond de commerce restant, celui d’un accompagnement adouci du libéralisme. Les ténors du PS cherchent vainement depuis quelques jours à se distancier de Nicolas Sarkozy mais sont incapables de le faire de façon lisible, prisonniers qu’ils sont d’un système de pensée qui ne se conçoit plus d’avenir réellement transformateur.Dans une telle situation, la logique voudrait qu’un parti social-démocrate classique se radicalise et retrouve, au moins un temps, quelques accents anticapitalistes. Mais nous avons assez décrit l’évolution de la social-démocratie vers un parti démocrate à l’américaine – avec la base sociale qui va avec – pour en ignorer les conséquences :malgré des défaites électorales sans appel,et,pour le cas de l’Allemagne, de vraies possibilités de virage à gauche en choisissant l’alliance avec Die Linke, le SPD, comme le Parti démocrate Italien, se révèlent désormais profondément incapables de revenir à leurs fondements. Ce n’est plus dans leur nature. Il est vraisemblable qu’il en sera de même en France même si l’exception française a retardé un temps cette évolution.

On ne peut se réjouir du déplacement à droite du principal parti de la gauche française – dont les leaders, engagés dans une guerre des chefs de plus en plus décalée avec les inquiétudes de la population,ne se rendent plus compte que leur vainqueur pourrait s’appeler Bayrou – mais le fait est là : incapable de battre la droite, le PS, en France comme ailleurs, sera en plus dans l’impossibilité de répondre utilement à la crise capitaliste. Dès lors on voit bien, plus encore qu’il y a quelques mois, que les responsabilités de tous ceux qui à gauche aspirent à transformer le monde sont grandes. Il est plus que jamais nécessaire de construire le débouché politique à la hauteur des enjeux. Non pour témoigner, accompagner les luttes, concurrencer les syndicats sur leur terrain, se contenter de dénoncer les partis de gouvernement mais pour construire une alternative ayant vocation à proposer un projet gouvernemental lors des prochaines élections et donc capables de bâtir une majorité pour ce faire.

Créer une dynamique pour une alternative politique

Toute occasion d’avancer dans ce sens doit être saisie.La première réunion nationale de l’appel Politis du 11 octobre en est une. Elle doit être fidèle à l’appel originel et poser une étape supplémentaire pour réunir l’arc de cercle le plus large possible.

Nous devons prendre en compte pour cela les rythmes et les rendez-vous de chacun – les congrès des partis de gauche en font évidemment partie tant nous sommes persuadés que de ce que décideront le Parti Communiste, l’aile gauche du PS, à commencer par ceux qui battent avec nous les estrades depuis des mois, Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez et leurs amis, l’aile antilibérale desVerts mais aussi le cours que prendra le NPA seront des éléments fondamentaux pour la suite – et enclencher un processus qui permettra aux signataires, et à leurs sensibilités, de poursuivre ensemble la dynamique de Front enclenchée et à d’autres de la rejoindre. Il nous faudra veiller au cours de cette réunion, et dans les semaines à venir, à jauger nos actes et nos réflexions en fonction non de nos débats et constructions « internes » mais de leur utilité pour ceux qui sont aujourd’hui, par dizaines de millions, les vraies victimes de la crise capitaliste.

Cela débute par l’élaboration de propositions communes, pour les luttes, pour des campagnes de mobilisation, mais aussi en perspective des élections à commencer par les Européennes où il serait impardonnable que la gauche qui a vu si juste au moment de référendum sur TCE soit incapable de se présenter ensemble au suffrage et donc laminée. Nous devrons rapidement nous poser cette question : quelles mesures d’urgence serions-nous capables de mettre en place ensemble et avec tous ceux qui aspirent à une gauche de transformation ? Mais aussi, inséparable interrogation : quels projets portant clairement la rupture avec le système seraient susceptibles d’entraîner une majorité dans le pays ?

Le pacte social et républicain d’actualité

Nous savons que la tâche ne sera pas aisée car la décomposition rampante des forces qui ont majoritairement structuré la gauche au 20ème siècle et l’offensive idéologique du libéralisme nous ont laissé sans projet crédible et nous ont légué bien des divergences. Pourtant cette crise va nous pousser à accélérer le rythme et, sans oeillères ni sectarisme, à clarifier des questions restées en suspens entre nous. Pour notre part nous considérons que cette crise révèle toujours plus la pertinence des valeurs républicaines que nous défendons  : une République en mouvement, inachevée, une République Sociale. En obligeant même les partisans du libéralisme à requérir un temps à certains de ses attributs, elle révèle combien les bases du pacte social et républicain restent en définitive d’actualité pour quiconque ne se résout pas au tout marché et à la loi du profit. Ce qui doit amener la gauche de transformation à se revendiquer, sans ambiguïté, de l’Etat social.Un Etat redistributeur grâce à une fiscalité juste ; un Etat législateur sur les questions sociales ; un Etat garant, pour les retraites ou la santé, des mécanismes de solidarité basés sur la répartition et la socialisation d’une part des revenus et non des mécanismes de capitalisation soumis aux chimères du capital ; un Etat promoteur des services publics garantissant un accès égal pour tous aux biens communs ; un Etat contrôlant la monnaie et le crédit pour les mettre en priorité au service du progrès qu’il soit social ou environnemental ; un Etat capable d’intervenir sur l’économie grâce à une « planification » (comme le terme «  nationalisation » le mot ne devrait plus rester longtemps grossier) économique et, bien sûr, écologiste ainsi que par la taxation des flux capitalistes ; un Etat promoteur d’une véritable politique de l’emploi remettant le contrat à durée indéterminé au centre du lien social et agissant pour une augmentation généralisée des salaires mais un Etat également toujours plus sous le contrôle des citoyens…

Avoir de solides fondations

Mais on ne saurait, à plus long terme, construire un projet global à opposer au libéralisme, sans l’appuyer sur de solides fondations. Des fondamentaux que pour conclure nous décrirons sommairement.

• L’absolue priorité donnée au bien commun sur le marché, nous venons de le voir.

• L’égalité comme valeur pivot en lieu et place du chacun pour soi libéral, ce qui a de multiples conséquences notamment sur les questions sociales, l’éducation, la politique de la ville et les territoires, les droits des femmes et des hommes quelle que soient leurs conditions ou leurs origines et bien sûr les insupportables déséquilibres entre le Nord et le Sud.

• L’émancipation, que l’Etat doit garantir à tout citoyen en commençant par lui donner les armes de la raison et du savoir contre tout aliénation de la pensée, qu’elle soit celle d’une religion, d’une communauté et même d’une famille, et en cela raison d’être principale de la laïcité.

• Le progrès,notion avec laquelle la gauche doit renouer, parce qu’il est normal, dans un monde qui n’a jamais cessé de créer de richesse, d’aspirer à ce que ses enfants vivent mieux que leurs parents, en se rappelant que mieux vivre signifie aussi mieux respirer, ce qui nous conduit à dire que le progrès n’est pas non plus synonyme de productivisme débridé mais aussi d’un développement soutenable.

• La souveraineté populaire parce que c’est sur cette question, celle de la démocratie, que la gauche de transformation a échoué, parfois dramatiquement, au XXème siècle. Les peuples doivent rester maîtres de leur destin collectif. En terme de moyen cela implique notamment de reconnaître l’absolue priorité du suffrage universel et de la démocratie représentative ce qui impose aussi que nous soyons capables de sortir la République de sa gangrène qu’est la caricature monarchique de la 5ème République et en Europe d’une construction politique qui prétend s’abstraire des peuples. Cela revient aussi à instaurer dans le même temps une véritable démocratie sociale, ce qui pose la question en réalité de l’appropriation sociale.

• Enfin la solidarité et la paix entre les peuples ce qui conduit inévitablement à refuser tout impérialisme, à privilégier la négociation à toute action de guerre, à enclencher dès que possible des rapports internationaux basés sur le rapprochement et la coopération entre les peuples et leurs Etats, base sur laquelle pourrait notamment se construire une coordination politique en Europe. Mais ce qui revient aussi, pour le changer, à appréhender le monde tel qu’il tourne réellement. Il serait donc temps de cesser de caricaturer le concept de nation dont la crise et la fin du monde unipolaire, démontrent la permanence.Tout comme il n’y a pas une seule façon de formuler l’Etat, il n’y a pas une conception unique de la Nation : elle peut répondre à une vision réactionnaire, être définie par une origine religieuse, « ethnique » voir tribale, et en conséquence génératrice de conflits nationalistes et xénophobes ; elle peut, à l’inverse, s’appuyer sur des fondements progressistes, fidèle aux idéaux de la Révolution qui l’a vu naître, car cadre de la souveraineté populaire basée sur une conception politique de la citoyenneté ce qui inclut potentiellement tous ceux qui y vivent. Ce débat, très actuel, interroge aussi le monde et donc la paix, et par conséquent concerne la gauche…

Nous savions déjà que nous étions à un moment charnière de l’histoire de la gauche. La crise financière actuelle rend cet instant plus crucial encore. Il s’agit là de responsabilités qui s’imposent à nous. Et auxquelles nous ne saurions déroger, sous peine de voir les affres du capitalisme financiarisé se généraliser et nous entraîner dans sa barbarie sans que se relève une gauche digne de ce nom pour s’y opposer. Voilà ce qui devrait être la priorité de tous ceux qui croient plus que jamais vital de transformer le monde.

Eric Coquerel

Président du MARS-Gauche Républicaine


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