18 mars 1967 : La marée noire du Torrey Canyon

samedi 18 octobre 2008.
 

Le 18 mars 1967, au large des Cornouailles britanniques, le navire s’échoue sur Pollard’s Rock. C’est la première des grandes marées noires de l’ère du pétrole.

Un demi-siècle a passé depuis ce matin blême du 18 mars 1967. Au large de la pointe sud-ouest des Cornouailles britanniques, non loin des îles Scilly, le Torrey Canyon s’échoue sur Pollard’s Rock. Un tanker de 267 mètres de long, chargé de 120 000 tonnes de pétrole brut au Koweït. C’est alors le 13e plus gros navire en mer, après une opération de jumboïsation dans un chantier japonais. La suite ne fut qu’une succession de défaillances des États britannique et français devant ce qui reste la première des grandes marées noires de l’ère du pétrole.

Les autorités britanniques dupées par l’armateur

L’origine de cet échouage  ? Une route optimisée pour la rentabilité afin d’écourter le trajet vers le port de Milford Haven, au détriment d’une approche privilégiant la sécurité. Des équipements défaillants ou mal conçus (le capitaine croit avoir débranché le pilote automatique alors qu’il fonctionne encore). Une série d’erreurs de position par négligence des effets des courants de marée et des vents. Une vitesse excessive au regard de la faible manœuvrabilité du bâtiment… Difficile de ne pas voir dans cette succession de causes le résultat d’un cocktail dangereux  : l’appétit financier, le pavillon de complaisance du Liberia (donc peu d’impôts et pas de droit du travail pour les marins italiens), un navire loué via une société nichée dans un paradis fiscal antillais par une société américaine (Union Oil Company of California) pour le compte de… British Petroleum.

Durant plusieurs jours après l’échouage, les autorités britanniques, dupées par l’armateur, croient qu’il sera possible de sauver le navire, qui commence à fuir. Alors qu’il se trouve dans des eaux internationales, la Royal Navy tente d’agir en déversant des détergents. Puis, dix jours après, le navire se brise en plusieurs morceaux, déversant la totalité de sa cargaison dans l’océan. Le 28 mars, les avions de combat de la Royal Navy bombardent l’épave, avec 42 bombes, du gasoil et de l’essence, afin de tenter de mettre le feu au pétrole brut. Ces opérations désespérées ne vont pas empêcher la catastrophe. Plus de la moitié de la cargaison initiale, poussée par des vents d’ouest, va souiller les côtes britanniques et Guernesey, mais surtout les côtes bretonnes, entre Paimpol et Morlaix, atteintes le 11 avril.

Les littoraux seront saccagés, des milliers d’oiseaux de mer et d’animaux marins vont périr et les images des centaines de volontaires ramassant à la pelle et avec des seaux la bouillie brune et visqueuse marqueront les esprits. Les moyens de lutte contre la pollution vont montrer leurs limites. Aucun système ne permettra de bloquer vraiment l’avancée du mazout, les produits chimiques vont se révéler plus nocifs que le pétrole pour la faune et la flore, comme le nettoyage brutal des côtes (tourisme oblige). En 2010, à Guernesey, ou encore en 2011 sur l’île d’Er, il fallait encore nettoyer ou évacuer des restes de pétrole.

Instauration d’une surveillance accrue du trafic maritime

La marée noire du Torrey Canyon a provoqué une réaction des États, qui ont exigé des navires plus sûrs à double coque, instauré une surveillance accrue du trafic maritime, étendu les eaux territoriales et l’action des polices maritimes. Pourtant, tout cela ne va pas empêcher la répétition des catastrophes. Naufrage du Boehlen en 1975, de l’Amoco Cadiz en 1978, un pétrolier de plus de 230 000 tonnes («  Mazout de Portsall, diarrhée du capital  !  » scandaient alors les jeunes communistes), de l’Exxon Valdez en 1989 en Alaska, de l’Erika en 1999 (affrété par Total sous pavillon de complaisance maltais) qui va souiller les côtes françaises de Lorient à l’île de Ré, du Prestige en 2002. Mais aussi les pollutions provoquées par les plates-formes de forage offshore, dans le golfe du Mexique en 1979 et, en 2010, avec l’explosion de Deepwater Horizon de British Petroleum – plus de 600 000  tonnes de pétrole déversées. Sans oublier le sabotage des installations pétrolières du Koweït par les armées irakiennes en 1991, avec 20 millions de tonnes répandues sur terre et en mer.

Cette série noire illustre l’ambivalence de l’usage massif du pétrole. Concentré d’énergie peu cher, facile d’usage, il rend d’incontestables services pour les transports ou l’industrie. Mais le brûler change le climat de manière dangereuse par l’émission massive de CO2, un gaz à effet de serre. Les émissions des moteurs menacent la santé publique. Son exploitation et son transport génèrent des pollutions qui peuvent devenir catastrophiques pour l’environnement. Les profits qu’il permet alimentent des castes sans foi ni loi, des dictateurs, et les peuples dont les territoires le recèlent en touchent rarement les dividendes. Pire  : la volonté de le contrôler provoque des guerres. En limiter le plus possible l’utilisation par un comportement économe et la recherche de ressources et technologies alternatives sera l’un des défis de l’humanité dans la première moitié de ce siècle.

Pollard’s Rock song

Bien inspiré, Serge Gainsbourg en fera une chanson, précise dans ses accusations (à cela près que les Japonais ont doublé la capacité de ce navire, né dans un chantier naval américain) :

« Je suis né dans les chantiers japonais/

En vérité, j’appartiens aux Américains. Torrey Canyon/

Une filiale d’une compagnie navale/

Dont j’ai oublié l’adresse à Los Angeles/

Cent vingt mille tonnes de pétrole brut/

Cent vingt mille tonnes, dans le Torrey Canyon/

Aux Bermudes, à 30 degrés de latitude/

Se tient la Barracuda Tanker Corporation/

Son patron m’a donné en location/

A l’Union Oil Company de Californie/

Cent vingt mille tonnes de pétrole brut/

Cent vingt mille tonnes/

dans le Torrey Canyon/

Le Torrey Canyon/

Si je bats, pavillon du Liberia/

Le captain et les marins/

Sont tous italiens/

Le mazout dont on m’a rempli les soutes/

C’est celui du consortium, British Petroleum. »

Sylvestre Huet, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message