Un an après la Conférence de Bali sur le climat – Auréolé du Nobel, le GIEC voit ses recommandations jetées aux orties

vendredi 24 octobre 2008.
 

Le 12 octobre 2007, les chercheurs du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) recevaient le Prix Nobel de la paix, sous les applaudissements de tout ce que la planète compte de (soi-disant) responsables importants. Un an plus tard, les gouvernements des pays développés ne cachent plus leur intention de tronquer et de déformer les recommandations des experts, pour les rendre compatibles avec les intérêts du Nord et les diktats des multinationales. La crise financière ne fait qu’accélérer le mouvement.

Quelques semaines après l’attribution du Nobel au GIEC, la conférence des Nations Unies sur le climat à Bali (Indonésie) en décembre, fut, on s’en souvient, le théâtre d’âpres débats sur les engagements à prendre pour lutter contre le changement climatique. Les échanges les plus vifs se focalisèrent sur une question cruciale : fallait-il que la résolution adoptée à l’issue de la conférence mentionnât les recommandations chiffrées du GIEC en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Très isolés et critiqués, les Etats-Unis durent se résoudre à ce qu’il en soit ainsi. Le plan d’action de Bali -– appelé aussi « feuille de route » – reconnaît que des « coupes profondes dans les émissions globales seront nécessaires » et souligne « l’urgence de faire face au changement climatique comme indiqué dans le quatrième rapport d’évaluation du GIEC ». A cet endroit du texte, une note infrapaginale renvoie à la page 776 de la contribution du groupe de travail III au rapport 2007 du GIEC ainsi qu’aux pages 39 et 90 du Résumé technique de cette même contribution.

Scénario mondial de stabilisation

Le recours à une note de bas de page n’était évidemment pas innocent : en n’indiquant pas les recommandations noir sur blanc dans le texte proprement dit, il s’agissait de brouiller les pistes, d’entretenir le flou dans l’opinion publique, afin de se ménager des marges de manœuvre. Il est donc important de rappeler que, correctement interprétés, les passages du rapport 2007 auxquels il est référé dans la note de bas de page ne laissent guère de place à l’ambiguïté. Les recommandations qui en découlent sont en effet les suivantes :

- pour respecter l’équité, les émissions des pays développés doivent diminuer de 25 à 40% d’ici 2020, et de 80 à 95% d’ici 2050, par rapport au niveau de 1990 ;

- les émissions mondiales doivent commencer à diminuer au plus tard en 2015 ;

- l’objectif à atteindre en 2050 au niveau mondial est une réduction de 85 à 50%, par rapport au niveau de 2000.

La page 39 du Résumé Technique, à laquelle réfère la « feuille de route », consiste en un tableau (Tableau I) et une série de graphiques qui montrent clairement que, parmi les six scénarios de stabilisation présentés, c’est le premier - le plus radical- qu’il convient de choisir. Ce scénario est en effet le seul à permettre que la hausse de température moyenne du globe, à l’équilibre, n’excède pas trop 2°C par rapport à la période pré-industrielle : + 2 à +2,4°C, selon les experts du GIEC [1]. Opter pour le deuxième scénario de stabilisation de ce tableau - 60 à 30% de réduction des émissions - serait s’exposer une hausse de température nettement plus importante : + 2,4 à + 2,8°C.

Rappelons qu’un réchauffement de 2°C (certains disent 1,7°C, soit +1°C à partir du présent) est généralement considéré comme la limite au-delà de laquelle le changement climatique aurait des conséquences dangereuses pour l’humanité et les écosystèmes. Et notons au passage que cet objectif, selon les chiffres du GIEC, devient de plus en plus difficile à atteindre. Le thermomètre affiche déjà +0,7°C. Un réchauffement supplémentaire de 0,7°C est en outre « dans le pipe-line », différé par l’effet d’inertie des masses de glaces et d’eau. Au vu des tendances actuelles, la hausse sera probablement supérieure à 2°C à l’équilibre, même en cas de « coupes (très) profondes » dans les émissions. On en est là, plus de trente ans après les premiers cris d’alarme des climatologues, seize ans après le sommet de Rio, onze ans après Kyoto… Constat terriblement accusateur à l’adresse de gouvernements qui prétendent avoir les choses en mains, et d’un système capitaliste que ses partisans disent flexible et efficace ! Sommaire Risques humains et écologiques

Mais revenons aux projections et recommandations climatiques. Au plus le différentiel de température augmente, au plus est important le risque pesant sur l’humanité et sur les écosystèmes. Dans quelle mesure ? Les décideurs politiques savent la réponse à cette question, ou devraient la savoir. Ils ont en effet adopté en bonne et due forme un document du GIEC qui est d’une clarté cristalline à cet égard : le « Résumé à l’intention des décideurs » de la contribution du Groupe de travail II au rapport 2007 [2]. Ce document propose notamment un diagramme, que nous reproduisons ci-dessous (Figure I), synthétisant les impacts du changement climatique en fonction de différentes hausses de la température au 21e siècle [3]. Attention : pour interpréter cette figure correctement et faire des comparaisons avec le tableau I ci-dessus - qui donne les écarts de température par rapport à l’ère pré-industrielle - il convient de tenir compte du fait que le mercure a déjà monté de 0,7°C au 20 siècle : une hausse de 1°C au 21e siècle signifie donc une hausse de 1,7°C par rapport à 1780, et ainsi de suite.

On constate que la hausse de température qui correspond au premier scénario du Tableau I (de 2 à 2,4°C par rapport à 1780, soit de 1,3° à 1,7° au 21e siècle) suffit à nous exposer à des dangers non négligeables. On constate aussi et surtout que, du point de vue des impacts sociaux et écologiques, une différence qualitative sépare ce scénario I (85 à 50% de réduction des émissions globales) du scénario II (60 à 30% de réduction, + 2,4 à 2,8° C par rapport à 1780). On épinglera en particulier les points suivants :

- à partir de 2°C de hausse au 21e siècle (2,7°C de hausse par rapport à 1780), des millions de gens pourraient être victimes d’inondations côtières chaque année ;

- entre 2° et 2,3°C de hausse au 21e siècle (2,7-3°C par rapport à 1780), la biosphère terrestre tendrait à devenir une source nette de carbone atmosphérique (les plantes vertes émettraient davantage de CO2 par la respiration qu’elles en absorberaient par la photosynthèse). Ce basculement aurait pour effet d’accélérer le réchauffement, avec le risque d’un emballement du changement climatique (« runaway climate change ») ;

- la perte de biodiversité, déjà perceptible, deviendrait de plus en plus importante au-delà de +2° (+2,7° par rapport à 1780), au point d’évoluer vers des extinctions significatives ;

- au-delà de +1,3° au 21e siècle (+2°C par rapport à 1780), les tendances baissières de la production céréalière s’accentueraient, d’abord dans les pays à basse latitude, puis dans d’autres régions également.

On aura une vision encore plus précise des enjeux humains et sociaux des différents scénarios en se penchant sur un autre diagramme proposé par certains spécialistes (Fig I1), qui trace l’évolution du nombre de victimes du changement climatique en fonction du réchauffement, dans quatre domaines : pénurie d’eau, malaria, famine et inondations côtières. On constate aisément que, entre une hausse de température un peu supérieure à 1°C et une hausse de 2°C, le nombre de victimes d’inondations côtières et de famine serait multiplié par deux environ, tandis que le nombre de malades de la malaria et de personnes manquant d’eau serait multiplié par 3,5 [4]. De nombreuses études convergent ainsi vers la même conclusion : le seuil de dangerosité se situe autour de 2°C de hausse par rapport à la période pré-industrielle.

Inquiétude majeure pour les pauvres des pays pauvres

C’est devenu une banalité de le dire : l’immense majorité des victimes potentielles du changement climatique sont des pauvres, en particulier les pauvres des pays pauvres. L’inquiétude à leur égard est d’autant plus vive que les moyens pour que le Sud soit en mesure de s’adapter à la partie désormais inévitable des changements climatiques sont totalement insuffisants, voire quasi-inexistants. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’adaptation [5] nécessiterait le transfert Nord-Sud de 86 milliards de dollars par an à l’horizon 2015 (44 milliards pour les infrastructures, 40 milliards pour les programmes de lutte contre la pauvreté, 2 milliards pour renforcer les systèmes de lutte contre les catastrophes) [6]. Or, les multiples fonds d’adaptation créés ces dernières années ne mobilisent que 26 millions de dollars. Quatre-vingt six milliards, 26 millions : la différence entre ces deux chiffres risque de se traduire par des centaines de millions de victimes humaines, principalement des enfants, des femmes, des personnes âgées.

86 milliards de dollars représentent à peine 0,2% du PIB des pays développés. Mais il ne faut pas compter sur la générosité des gouvernements des pays riches. Ces gouvernements investissent dans l’adaptation… chez eux. Le PNUD propose à cet égard deux comparaisons fort révélatrices : les maigres 26 millions de dollars disponibles aujourd’hui pour financer l’adaptation au Sud correspondent aux sommes que le gouvernement de Londres débourse hebdomadairement pour entretenir le réseau de digues de la Grande-Bretagne, et le budget que le Land du Bade-Wurtemberg a décidé de consacrer à la lutte contre les inondations est plus de deux fois supérieur aux sommes disponibles pour l’adaptation des pays en développement dans leur ensemble. [7]

La recommandation clé du GIEC : -80 à -95% dans les pays développés

Le GIEC, on l’a vu, ne se contente pas de recommander des réductions globales d’émission à différentes échéances : il propose aussi une répartition de ces réductions entre pays du Nord et pays du Sud. Ce point est absolument décisif. En effet, cette répartition différente découle logiquement du fait que les pays développés, qui regroupent une minorité de la population mondiale, sont responsables historiquement d’au moins 75% du changement climatique. Sous la pression des pays du Sud, le sommet de Rio (1992) a donc été conduit à inscrire le principe de « responsabilité commune mais différenciée » dans la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC, ratifiée par la quasi-totalité des pays, y compris les USA). A cet égard, il est d’une importance cruciale que la « feuille de route de Bali » renvoie à la page 776 de la contribution du Groupe de travail III au rapport 2007 du GIEC. Pourquoi ? Parce que cette page propose un autre tableau (Tableau II), qui donne les réductions d’émissions à réaliser respectivement dans les pays développés (Annexe I) et dans les pays en développement (non-Annexe I), du point de vue de la justice climatique, et ce pour trois scénarios de stabilisation. [8]

De ces trois scénarios, c’est évidemment le premier – stabilisation à 450 ppmCO2eq - qui doit être retenu. Pour les raisons déjà invoquées plus haut : en recoupant avec les données du Résumé technique (Tableau I), on constate en effet que le deuxième scénario – stabilisation à 550 ppmC02eq – et le troisième – stabilisation à 650 ppmCO2eq – correspondent à des hausses de température de 2,8-3,2°C et de 4,0-4,9°C, respectivement. A écarter catégoriquement ! En fait, « la plupart des interprétations de l’équité » [9], selon le GIEC, débouchent sur la conclusion que, dans le cas d’une stabilisation à 450 ppmCO2eq, les pays développés doivent réduire leurs émissions de 25 à 40% en 2020 et de 80 à 95% en 2050, par rapport à 1990. Autrement dit, décarboniser presque totalement leurs économies dans les quarante ans qui viennent.

Le moins qu’on puisse dire est que l’importance de la note de bas de page dans la « feuille de route de Bali » est inversement proportionnelle à sa surface dans le document : deux lignes en petits caractères réfèrent à une série de chiffres et de données qui, quand on les croise entre elles et avec certaines prises de position des « résumés à l’intention des décideurs » (adoptés par les gouvernements !), font toute la différence entre une déclaration d’intention ronflante, mais creuse, et un engagement précis, liant concrètement les responsables politiques. A notre avis, ce point a été et reste sous-estimé par de nombreux observateurs. Notamment dans certains milieux militants, où l’on préfère souvent pointer la tendance conservatrice des évaluations du GIEC. Cette tendance est en effet indiscutable, et dans certains cas admise par le GIEC lui-même (lire l’encadré ci-dessous). Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : la note de bas de page de Bali est un atout précieux. La bataille pour que son contenu précis soit connu et pris en compte constitue un enjeu tactique et stratégique majeur, face aux gouvernements, aux mouvements sociaux et à l’opinion publique. A la veille de la conférence de Poznan (décembre 2008), et à un an de la conférence de Copenhague (censée accoucher en décembre 2009 d’un nouveau traité international, pour prendre le relais du protocole de Kyoto en 2013), ce défi est à relever d’urgence. Car l’encre du texte adopté à Bali est à peine sèche que, déjà, les représentants des pays les plus puissants de la planète tronquent des chiffres et en escamotent d’autres, afin de contourner les recommandations des scientifiques, ou de les manipuler à leur avantage. C’est ce que révèlent notamment les positions du G8 et de l’Union Européenne.

« L’aspiration non ambiguë » du G8 : -50% en 2050

Réuni à Toyako au Japon, début juillet 2008, le G8 a adopté un communiqué en faveur d’une réduction des émissions globales de 50% en 2050. Non seulement l’année de référence n’est pas claire (le Premier ministre japonais Yasuo Fukuda a d’abord évoqué l’année 1990, puis s’est repris et a mentionné l’année 2000) [10], mais en plus ce texte ne fait mention ni des objectifs intermédiaires en 2020, ni des 80 à 95% de réduction par les pays développés, ni des 85% de réduction globale en 2050 (la partie haute de la « fourchette GIEC »). En d’autres termes, le G8 viole à la fois le principe de précaution et le principe de la responsabilité commune mais différenciée, autrement dit l’équité climatique la plus élémentaire.

Cette prise de position des pays les plus industrialisés est presque parfaitement en phase avec les exigences du grand capital. Dans un mémorandum sur le climat adressé au sommet de Toyako, le Forum économique mondial écrivait en effet ceci : « Le nouveau cadre (post Kyoto, D.T.) doit être complet, orienté sur le long terme, sur les résultats et sur le marché, afin d’être environnementalement effectif et économiquement efficace. Les principales économies doivent toutes s’y inscrire, y compris les USA, la Chine et l’Inde. Il devrait fixer un objectif international non ambigu de réduction significative des émissions, tel qu’une aspiration (sic) à réduire de moitié au moins les émissions globales d’ici 2050. Ceci serait en concordance avec le 4e rapport d’évaluation (du GIEC, D.T.) et avec la prise de position du sommet d’Heiligendamm l’an passé, que les dirigeants du G8 ont accepté d’examiner sérieusement » [11] .

Le vent a décidément bien tourné dans la classe dominante : les secteurs économiques qui nient la réalité du changement climatique et qui s’opposent à une réduction substantielle et obligatoire des émissions sont désormais minoritaires. En fait, soucieuses de perspectives claires à long terme et de réglementations harmonisées au niveau mondial, la plupart des grandes entreprises se sont ralliées à la stratégie élaborée par Nicholas Stern dans son rapport pour le gouvernement britannique : ne pas rechigner à admettre la réalité de la menace climatique, exploiter cette menace pour tenter d’imposer de nouveaux sacrifices aux travailleurs, peser pour que la transition vers une économie sans carbone se fasse selon les rythmes et les modalités dictés par le profit, mettre sur le même pied la protection des forêts tropicales et la réduction des émissions dans les pays du Nord (pour gagner du temps), et généraliser les « mécanismes flexibles » - afin que l’essentiel de l’effort de réduction soit réalisé dans les pays en développement (sous la forme d’investissements juteux pour les multinationales) [12].

Dans cette stratégie, la communication prend une place non négligeable. Vu la grande inquiétude de l’opinion publique, il est important pour le système de donner l’impression qu’il est en phase avec l’expertise scientifique et applique les recommandations du prestigieux GIEC. Le chiffre « 50% au moins en 2050 » est choisi pour sa force symbolique et parce qu’il correspond tout juste à la partie basse des recommandations des experts... tout en restant flou sur les échéances immédiates. En réalité, étalé sur 50 ans, pour peu que les mécanismes flexibles permettent d’externaliser l’effort au maximum, et pour peu aussi que la protection des forêts soit assimilée à la baisse des émissions [13], cet objectif, pour les grandes entreprises, n’impliquera guère de réductions douloureuses : la hausse spontanée de l’efficience énergétique pourrait presque suffire à le concrétiser. Pas question, pourtant, de lier les mains du capital : le mémorandum du Forum Economique Mondial parle des 50% comme d’une « aspiration », pas comme d’une contrainte… Une « aspiration non ambiguë » : on n’est jamais trop prudent !

Rôle pilote de l’UE... contre les recommandations du GIEC

Le rôle de l’Union Européenne dans la nouvelle politique climatique capitaliste mérite tout particulièrement d’être dénoncé. Pour rappel, en juin 1996, le Conseil européen adoptait l’objectif d’une hausse de température n’excédant pas 2°C par rapport à la période pré-industrielle. Cette prise de position était réitérée le 23 mars 2005 : « pour réaliser l’objectif ultime de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’augmentation de la température mondiale annuelle moyenne en surface ne doit pas dépasser 2°C par rapport aux niveaux de l’époque préindustrielle. » On a vu qu’une hausse de 2°C maximum requiert une stabilisation de la concentration en gaz à effet de serre entre 445 et 490 ppm de CO2eq, donc des réductions d’émissions bien supérieures aux 50% adoptés par le G8, en particulier pour les pays développés. Les responsables de l’UE le savent : le conseil des ministres de l’environnement, le 10 mars 2005, l’a constaté et écrit. Mais les paroles sont une chose, les actes en sont une autre. Citons-en quelques-uns :

- ce sont les Européens Tony Blair et Angela Merkel qui ont ouvert la voie à l’objectif des 50%, dans les rencontres du G8 (respectivement à Gleneagles en 2005 et à Heiligendamm en 2007) ;

- le « paquet énergie-climat » proposé par la Commission en janvier 2008 se contente d’un réduction des émissions de l’UE de 20% en 2020, alors que le GIEC recommande entre 25 et 40% à cette date pour les pays développés [14] ;

- les entreprises européennes peuvent délocaliser une part de plus en plus importante de leur effort de réduction vers les pays du Sud : pour la période 2008-2012, le plafond proposé pour l’importation de crédits de carbone dans l’UE est carrément supérieur à l’objectif de réduction des émissions [15].

Au-delà des beaux discours, des effets de manche, et des coups d’encensoir en direction du GIEC, l’UE est à l’avant-garde d’une politique capitaliste de réponse au changement climatique qui cherche à donner une illusion de radicalité et d’éthique tout en tournant le dos à la science et en piétinant la justice. En coulisses, les grandes entreprises se frottent les mains : le marché européen des droits d’émission leur procure de juteux bénéfices [16]. D’une manière générale, la politique de l’UE les positionne au mieux sur le marché des technologies propres. La satisfaction d’un José Barroso n’est donc pas feinte quand il dit de la décision du G8 qu’elle témoigne d’une « vision nouvelle, partagée » et que la décision de réduire les émissions de 50% en 2050 « met les négociations sur la voie d’un nouveau traité international en 2009 » [17]. Un nouveau traité international ? Peut-être... si les pays développés et les pays émergents parviennent à un accord... accepté par les pays les plus pauvres. Mais un traité qui risque fort de piétiner le principe de précaution et de jeter aux orties le principe de responsabilité commune mais différenciée. Un nouveau traité dont l’incroyable cynisme au service des milieux d’affaires pourrait entraîner la souffrance et la mort de centaines de millions de gens, en même temps que la destruction d’innombrables richesses naturelles.

Cette politique est aujourd’hui plus dangereuse que celle de Bush, pour la simple raison que la probabilité de sa mise en oeuvre est plus grande. Les préoccupations qui la sous-tendent ne doivent pas être cherchées bien loin. Dans son fameux rapport, véritable manuel climatique à l’usage des politiciens libéraux et des patrons, Nicholas Stern ne craint pas d’écrire noir sur blanc qu’il faut « éviter d’en faire trop et trop vite », car « une grande incertitude demeure quant aux coûts de réductions très importantes. Creuser jusqu’à des réductions d’émissions de 60% ou 80% ou plus requerra des progrès dans la réduction des émissions de processus industriels, de l’aviation et d’un certain nombre de domaines où il est difficile pour le moment d’envisager des approches effectives en termes de coûts » [18]. Prenant fort tardivement et péniblement conscience de la gravité de la situation, le capital et ses porte-parole sont bien forcés de faire quelque chose, mais, pour ces sangsues, le sauvetage des profits et des surprofits passe avant tout.

Car il ne s’agit pas seulement des profits. Dans la bataille pour infléchir, tronquer et dénaturer les recommandations du GIEC, les lobbies les plus actifs et les plus malfaisants sont sans aucun doute ceux du pétrole, du charbon, de l’automobile, de la construction navale, bref les secteurs les plus dépendants des combustibles fossiles. La raison est évidente : selon certaines estimations, la vente des produits issus du raffinage du pétrole représentait – avant l’envolée des prix de l’année écoulée – environ 2000 milliards d’Euros à l’échelle mondiale. Les coûts (depuis la prospection jusqu’au raffinage et au transport) se montaient à peine à 500 milliards d’Euros [19]. Sur base d’un return « normal » de 15%, cela laisse une somme astronomique de 1425 milliards de surprofit annuel, en plus du profit moyen. Il n’est pas indispensable d’être marxiste pour comprendre que les bénéficiaires de ce pactole se battent pied à pied pour maintenir leurs privilèges le plus longtemps possible [20].

Les profits et les surprofits d’une minorité qui vit dans un luxe inouï passent avant la stabilisation du climat qui conditionne l’existence de tous : le scandale est énorme. Pourtant, bien peu nombreux sont celles et ceux qui osent énoncer cette vérité. Parmi eux, il convient de saluer un scientifique à la renommée internationale : James Hansen. Appelé à témoigner devant le congrès américain, en juin dernier, le climatologue en chef de la NASA a déclaré ceci : « Des intérêts particuliers ont bloqué la transition vers notre futur énergétique renouvelable. Au lieu d’investir massivement dans les énergies renouvelables, les compagnies qui exploitent les énergies fossiles ont choisi de semer le doute sur le changement climatique, exactement comme les cigarettiers ont semé le doute sur le lien entre le tabac et le cancer. Les patrons des compagnies qui exploitent les énergies fossiles savent ce qu’ils font et ils sont conscients des conséquences à long terme. Selon moi, ces patrons devraient être poursuivis en justice pour crime majeur contre l’humanité et la nature » [21].

Mutatis mutandis, cette condamnation vaut aussi pour les gouvernements qui concoctent un nouveau traité climatique en fonction des intérêts de ces mêmes patrons. Une vaste mobilisation sociale internationale est plus que jamais nécessaire pour imposer un traité conforme à la fois aux recommandations des scientifiques et aux impératifs de la justice sociale. Faute de quoi, l’humanité risque de devoir constater que le capitalisme est loin d’avoir donné la pleine mesure de la barbarie dont il est capable.

Le 8 octobre 2008

TANURO Daniel


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