Après son Zénith, qui est la « vraie » Royal ? (par Philippe Marlière)

mardi 4 novembre 2008.
 

Le "show du Zénith" a fait couler beaucoup d’encre. Cette rencontre mêlant meeting politique et événement culturel a suscité des réactions très tranchées. Les partisans de Ségolène Royal y ont vu un moment de "bonheur populaire". Entourée de chanteurs et de personnalités, l’ex-candidate à l’élection présidentielle est apparue "déverrouillée" : le tailleur Prada a fait place à une tenue "bourgeois-bohème" et la raideur gestuelle sur scène a disparu. "Show-biz" et "populisme" ont raillé ses détracteurs – pour la plupart issus du Parti socialiste. Ces derniers ont dénoncé une démarche de "séduction commerciale". Le Zénith fut, selon eux, un moment de dépolitisation des forces de gauche.

L’organisation d’un événement politico-musical constituerait-elle une faute impardonnable ? Ségolène Royal semble avoir eu le dernier mot en affirmant qu’à la Fête de l’Humanité, "il y a des spectacles et des discours politiques et personne ne trouve rien à redire". Le rendez-vous du Zénith ne peut être rangé dans la catégorie "show biz". Il s’est agi d’un moment politisé, mais dont la nature ne fut – hélas – ni socialiste, ni même de gauche. Ségolène Royal ne s’est-elle pas emportée contre ceux qui "voudraient que la frontière [entre la droite et la gauche] n’existe plus, qu’elle soit floue ?" N’a-t-elle pas prôné l’"interdiction de délocaliser et de licencier avec obligation de rembourser les aides publiques si l’entreprise fait des bénéfices" ?

Ne s’est-elle pas posée en défenseur des « petits salaires » et des « petites gens » ? Mais alors, : la lutteuse du Zénith ou celle qui, peu après la campagne présidentielle, reconnut qu’elle n’était pas favorable à un Smic à 1500 euros ? Qui croire ? : la Ségolène Royal louant la flexibilité du modèle blairiste en 2006 ou celle défendant les 6000 licenciés de l’usine Renault en 2008 ?

Que retenir ? : ses discours appelant à « dépasser les 35 heures » ou celui plus récent préconisant un Etat interventionniste ? Qui est l’authentique Mme Royal ? : celle qui penche vers le système de retraites à points du Medef ou celle qui a la « certitude qu’il est possible de répartir autrement les richesses ? » Quelles alliances souhaite-t-elle ? : l’union des gauches revendiquée au Zénith ou un partenariat avec le Modem, déjà recherché dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle ? Depuis 2006, Ségolène Royal a été blairiste, sociale-libérale scandinave, néolibérale, républicaine tendance rive droite (encadrement militaire des primo-délinquants) et, depuis le krach financier, elle pourfend le capitalisme.

Mme Royal est parfois présentée comme un « Objet Politiquement Non Identifié ». Est-elle de droite, du centre ou de gauche ? La réponse est, tout cela et rien de cela à la fois : cela dépend des périodes et des publics ! Cette extrême versatilité fera penser à Leonard Zelig. Dans le film de Woody Allen, Zelig est doté de la capacité d’ajuster son apparence et son discours à ses auditoires successifs. Dans une soirée donnée par F. Scott Fitzgerald, on le remarque conversant dans le salon de manière raffinée avec les invités. On l’entend ensuite dans la cuisine en compagnie des serviteurs déverser sa bile contre les « riches », avec des accents plébéiens. Zelig apparaît au monde entier comme un « caméléon humain ».

Et pourtant, il existe chez Ségolène Royal des invariants politiques qu’une étude de discours permet de saisir. Dans l’intervention du Zénith, on peut relever ce passage édifiant : « la fraternité, pour moi, c’est encore mieux que la solidarité ». Ou encore : « la fraternité, c’est d’abord penser à l’autre ». Mais quelle force miraculeuse incitera des groupes d’individus aux intérêts et aux positions antagonistes à agir avec altruisme ? « Aimez-vous les uns les autres ou alors disparaissez » affirmait récemment Ségolène Royal. Cette référence aux Evangiles et au christianisme marque bien les limites de son volontarisme politique. Ses propos sont en réalité emprunts d’un pessimisme social et tendent à faire accepter le monde tel qu’il est : quelle fraternité possible dans un monde économiquement de plus en plus injuste, socialement de plus en plus délabré ? Quelles luttes et quelles mesures concrètes pour y mettre fin ? Les propos rhétoriques de Mme Royal ne nous sont ici d’aucun secours. Comment construire un monde fraternel dans un système de production capitaliste ? L’idée de solidarité, au contraire, prend acte des intérêts et des positions divergentes et se propose d’y remédier en redistribuant les richesses.

La vision du monde royaliste induit logiquement une alliance avec le Modem, un parti de centre-droit qui s’accommode de notre système économique. Elle éclaire le compagnonnage poussé avec le Parti démocrate italien, qui se présente comme « post-socialiste », « post-idéologique » et fortement influencé par l’« humanisme chrétien ».

Les attaques contre la personne de Ségolène Royal sont bien sûr moralement inacceptables. Ces critiques d’ordre personnel sont d’autant plus condamnables qu’elles détournent l’attention de l’essentiel : les prises de position fluctuantes et contradictoires de Mme Royal.

de Philippe Marlière, Maître de conférences en science politique à l’université de Londres


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