Les contribuables sauveront le monde (Dominique Strauss Kahn)

lundi 3 novembre 2008.
 

Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, vient de livrer son point de vue sur la crise financière au journal Le Monde (2). Est-ce en raison de sa fonction qu’il conduit des analyses aussi conformistes ou parce qu’on était « sûr de son sens des responsabilités » qu’il est président du FMI ? Un demi-million de revenu par an éveille assurément l’esprit de responsabilité… Que Martine (Aubry) et Laurent (Fabius) se débrouillent avec cet embarrassant soutien. La gauche française est vraiment tombée bien bas…

Que dit-il ? Que « cette crise est la crise de la réglementation et de son échec à éviter des prises de risque excessives par le système financier, en particulier aux Etats-Unis ». Formulation formidablement ambiguë. La faute à trop de réglementation ou à pas assez ? En tout cas, il conseille d’assurer « l’approvisionnement en liquidités ; le rachat des actifs dévalorisés ; l’apport de capitaux aux institutions financières ». DSK propose ce que font les banques centrales depuis un an et il valide le plan américain de 700 milliards de dollars pour racheter aux banques « leurs actifs toxiques » (dont le montant total est estimé entre 1500 et 2000 milliards). Enfin, il précise, concernant l’apport en capitaux, qu’« il existe toutefois des moyens pour que l’Etat apporte des capitaux aux banques sans recourir à la nationalisation. (…) Cela permet de laisser le contrôle aux mains du secteur privé »… Et la facture au secteur public. Rien de nouveau. « Les mesures que viennent de décider les Etats-Unis sont les bienvenues. » DSK compte faire adopter les mêmes mesures par tous les pays lors de l’assemblée du FMI prévue mi-octobre, qui réunit les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales. Ainsi, à l’initiative de l’Etat américain et avec la bénédiction d’une institution onusienne, l’intégralité de la crise sera supportée par les contribuables. Et le chantage continue : « Il faut venir au secours des mastodontes ou tout s’écroule » ; « C’est ça ou le krach de 29 »…

Côté « solution de fond », c’est de la poudre aux yeux. Comme lors des crises et des krachs de 1987, 1997-1998 (crises asiatiques et russes), 2000 (bulle Internet) et 2001 (scandale Enron), les bonnes résolutions fusent et le cœur vertueux des libéraux exige davantage de transparence, une meilleure gouvernance, une régulation ! Combien de fois ne l’a-t-on entendu ? Comme si on découvrait d’un seul coup que des pans entiers de la finance sont en dehors de tout contrôle… On met en scène un jeu de rôles dans lequel Sarkozy chercherait « les responsables », réclamant des « sanctions »… Et Strauss-Kahn de préconiser « une amélioration des règles prudentielles, de principes comptables et de pratiques de transparence ».

Parions toutefois qu’on laissera à nouveau des zones grises permettant d’amasser des fortunes considérables. Il est par exemple étonnant que la suppression des paradis fiscaux ne fasse pas partie des propositions de DSK, idée qu’il soutenait pourtant lors de la primaire au sein du PS. On sait que les jongleries de Enron hier et les agissements des fonds spéculatifs aujourd’hui reposent sur ces planques et ces lessiveuses.

On nous émeut et nous fascine en énonçant la valse des milliards qui partent en fumée. Mais on aimerait un peu de clarté sur les fortunes qui se sont amassées ces dernières années. Au profit de qui ? Il ne s’agit pas de quelques individus isolés mais d’une caste qui, aux Etats-Unis et au niveau mondial, entend diriger le monde. Si l’on peine à connaître les gagnants de ces immenses brassages d’argent, les premiers perdants sont, eux, bien connus.

L’idéologie du capitalisme populaire, « tous actionnaires », « tous propriétaires », en prend un coup. C’est déjà ça de gagné ? Ne soyons pas en retard d’une guerre. Avec Sarkozy coexiste la promesse du « tous propriétaires d’un ça m’suffit » qui protège les vieux jours et la valorisation sans fard des gagnants, des hyper-riches, des superpuissants. On l’avait écrit dans ces colonnes, le Fouquet’s, le yacht et les vacances de milliardaires n’étaient pas des gaffes mais les instruments d’un message politique. Nous entrons dans une nouvelle phase…

Cette crise remet-elle l’action des Etats au premier plan ? La vague néolibérale a toujours exprimé une haine de l’Etat providence. Elle a conduit à une réduction drastique des services publics. Mais en vérité, l’Etat n’a jamais disparu. Seulement, dans le capitalisme libéral, il assimile l’intérêt général à celui des puissants. L’intervention étatique actuelle, conjuguée à celle des banques centrales, ne constitue nullement un New Deal. Désormais, il s’agit de faire accepter une intervention massive de l’Etat (il y a donc de l’argent et des « marges de manœuvre » !) mise au service d’une société profondément et structurellement inégalitaire.

On peut regretter que la gauche manque d’une compréhension du capitalisme moderne. Qu’elle ne fasse pas le lien entre la gouvernance du monde par les cercles financiers, les relations des milieux d’affaires avec les dirigeants politiques, la montée des inégalités, le détournement de la démocratie au bénéfice d’une oligarchie plus puissante que jamais… C.T.

1. En référence à l’ouvrage de Frédéric Lordon, Et la vertu sauvera le monde… Après la débâcle financière, le salut par l’« éthique » ?, Raisons d’agir, 2003

2. Dominique Strauss Kahn, « Une crise systémique implique une solution globale », le Monde


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