La crise est le seul régulateur de l’économie (point de vue de Lutte Ouvrière)

vendredi 12 décembre 2008.
 

Depuis la révolution industrielle, toute l’histoire du capitalisme est ponctuée de crises, suivies de récession plus ou moins longues, avant qu’une lente reprise ne s’amorce, se transformant en un boom économique jusqu’à la crise suivante. Ces cycles économiques "jouent, dans la vie du capitalisme, le même rôle que les cycles de circulation du sang dans la vie de l’organisme" pour reprendre une formule de Trotsky.

Les crises ne sont ni des anomalies ni des maladies de l’économie capitaliste. Elles sont en fait le seul et unique moment de régulation de tous les déséquilibres provoqués par ce système de production.

Ce qui caractérise le capitalisme, c’est que l’ensemble des moyens de production et de distribution des richesses est contrôlé par des propriétaires privés. L’objectif des capitalistes n’est pas de fournir tous les biens nécessaires à la vie quotidienne de plusieurs milliards d’êtres humains. Ils ne produisent pas de la nourriture, des médicaments ou des automobiles pour satisfaire des besoins mais uniquement parce que cette production est censée leur rapporter des profits.

Mais c’est dans les ateliers de production que sont créées toutes les richesses de la société y compris le profit. C’est la force de travail humaine qui est seule capable de créer de la valeur en transformant, par exemple, de l’acier, du plastique ou des câbles électriques en automobile. La force de travail a cette propriété extraordinaire de créer plus de valeur que ce qu’elle ne coûte pour l’entretenir. Si le salaire versé par un capitaliste à ses ouvriers leur permet plus ou moins de faire face à leurs dépenses courantes, il est toujours bien inférieur aux richesses qu’ils créent par leur travail. Cette partie de la valeur crée par les ouvriers et qui n’est pas payée par les capitalistes, c’est ce que Marx a appelée la plus-value. Et c’est la source du profit capitaliste.

Au bout du compte, toute la société capitaliste s’organise autour du partage de la plus-value. La plus-value suée par les ouvriers sur les chaînes de fabrication des automobiles va se répartir entre les actionnaires, les concessionnaires, les banquiers, les assureurs et quelques autres intermédiaires.

Mais tant que les voitures produites restent sur les parkings de l’usine ou dans le hall du concessionnaire, la plus-value reste virtuelle. Pour que le capitaliste récupère son profit, il doit les vendre. C’est une phase capitale. Pour chaque automobile, chaque écran plasma, chaque bien de consommation mis sur le marché, les capitalistes doivent trouver un client disposant du pouvoir d’achat suffisant pour l’acheter. Ils doivent trouver un marché solvable.

Mais le marché solvable est limité. Les clients potentiels des biens de consommations sont les ménages, partout sur la planète. Ceux de la bourgeoisie petite ou grande, qui consomment beaucoup, et pas seulement des jets privés ou des yachts. Mais aussi, les plus nombreux, ceux des milieux populaires dont le pouvoir d’achat limité permet tout juste de faire face à leurs besoins quotidiens, même dans les périodes de prospérité économique où le pouvoir d’achat de la classe ouvrière augmente.

L’offre, de son côté, dépend de la capacité de production. Cette dernière augmente avec les inventions scientifiques, les innovations techniques. Mais l’offre ne résulte pas d’une décision consciente qui prendrait en compte les besoins à satisfaire ainsi que les moyens pour y faire face. Elle résulte des décisions d’une multitude de capitalistes individuels, opposés les uns aux autres par la concurrence.

Ces capitalistes se livrent une guerre acharnée. Dans le secteur automobile on compte une douzaine de grands constructeurs. Si la demande mondiale est estimée à 70 millions de véhicules neufs par an, chacun veut rafler la plus grosse part du marché. Chacun lance des installations pour produire plus de voitures qu’il n’en vendra au bout du compte. Cette concurrence entraîne un gonflement des capacités de production qui dépasse un moment ou un autre la demande solvable. C’est la surproduction.

Inexorablement, certains se retrouvent avec des installations surdimensionnées ou des stocks non écoulés. Pour rétablir l’équilibre, les perdants réduiront brutalement leur production. Certains licencieront partiellement ou totalement leurs ouvriers, annuleront les contrats passés avec leurs sous-traitants. D’autres feront faillite.

La crise est le seul moyen de liquider les stocks, d’équilibrer l’offre toujours plus grande et la demande solvable limitée. L’ajustement se fait ainsi, après coup, brutalement.

La construction d’une voiture exige des matières premières, de l’acier, divers métaux, des câbles électriques, du plastique produit à partir du pétrole, des pneumatiques, une multitude de pièces détachées, sans parler des machines-outils, des lignes d’assemblages et de l’électricité pour les alimenter.

Chaque crise, chaque arrêt du processus de production dans l’automobile ou dans une autre industrie des biens de consommation se répercutent sur les industries situées en amont qui leur vendent ces biens de production. C’est ainsi qu’ArcelorMittal vient d’annoncer l’arrêt de la moitié de ces hauts-fourneaux en Europe pour cause de crise dans le bâtiment et l’automobile. Il en profite pour supprimer plusieurs milliers d’emplois.

Comme dans tous les secteurs, la concurrence fait rage entre sidérurgistes ou entre chimistes pour vendre le plus possible d’acier ou de plastiques aux industries des biens de consommations. Elle fait rage aussi d’un étage à l’autre de la production, entre les deux ou trois producteurs de minerais, les sidérurgistes et tous leurs clients constructeurs automobiles ou industriels du bâtiment pour accaparer chacun la plus grande part des profits.

Cette concurrence est encore une source de déséquilibre et de crise. Mais le déséquilibre est d’autant plus grand que les investissements pour construire un haut-fourneau ou une installation chimique sont très lourds. Les amortissements se font sur des années et la mise en route de ces installations est longue.

Les sidérurgistes français ont par exemple, après guerre, retardé au maximum leurs investissements dans des hauts-fourneaux capables de produire des aciers plats pour l’automobile ou l’électroménager. Quand ils ont fini par le faire, avec l’aide massive de l’État, dans les années 60, leurs nouvelles installations, à Fos ou à Dunkerque, étaient à peine opérationnelles que les besoins en acier avaient chuté, condamnant de nombreux hauts-fourneaux à la fermeture définitive. Ce fut l’une des causes de la crise de la sidérurgie des années 70-80 qui provoqua des dizaines de milliers de licenciements et qui vit une nouvelle fois l’État français voler au secours des de Wendel ou autres Schneider en nationalisant leurs usines obsolètes ou surdimensionnées.

La crise permet ainsi de rétablir l’équilibre entre les différentes branches industrielles ; de rééquilibrer les deux secteurs fondamentaux de l’économie, les industries qui produisent pour le marché des biens de consommations et celles qui produisent des machines ou des matières premières, tous les moyens de production.

C’est encore à travers les crises que l’économie capitaliste élimine les entreprises qui sont en trop par rapport au marché solvable. Même dans une économie rationnellement organisée il serait nécessaire d’adapter régulièrement les efforts collectifs, le temps de travail consacrés à produire n’importe quelles marchandises. C’est une constante de l’économie humaine : au fur et à mesure des innovations techniques et des améliorations dans la façon de produire collectivement les richesses, le temps de travail moyen nécessaire pour produire la nourriture, les vêtements mais aussi des ordinateurs ou des voitures a tendance à baisser.

Mais dans l’économie capitaliste, cet ajustement périodique se fait par la disparition brutale des entreprises dont le temps et les coûts de production sont supérieurs à la moyenne.

C’est encore la crise qui permet de rétablir le taux moyen de profit de l’économie capitaliste. Pour augmenter sa part de profit, chaque capitaliste produit toujours plus de marchandises. Si une nouvelle machine ou un nouveau procédé lui permet de produire deux fois plus vite, deux fois plus pour deux fois moins cher, il investit dans cette machine. Cela lui permet d’accroître sa part de marché et d’éliminer une partie de ses concurrents.

Mais ce qui est bon pour un capitaliste individuel ne l’est pas pour la classe capitaliste dans son ensemble.

Les concurrents finissent tôt ou tard par investir eux-aussi dans cette machine, ou une autre encore meilleure. Au bout du compte, il y a un gonflement du capital investi dans les machines. Comme c’est le travail humain qui produit le profit, pas les machines, ce gonflement sans fin du capital provoque une diminution régulière du taux de profit pour l’ensemble de l’économie capitaliste.

Chaque capitaliste tente bien sûr de résister à cette diminution en aggravant l’exploitation des travailleurs par tous les bouts : allongement du temps de travail, intensification des cadences, réduction des salaires comme des effectifs. Mais l’exploitation fint par se heurter à des limites biologiques et le taux de profit moyen diminue.

En éliminant les entreprises les moins rentables, en fermant les ateliers les moins productifs, les crises détruisent du capital. Cette destruction de capital fait remonter le taux de profit dans l’économie capitaliste.

Pour les capitalistes les plus faibles, la crise signifie la disparition. Pour les autres c’est une opportunité de racheter à bas prix des concurrents. Les plus gros capitalistes grossissent encore un peu plus. A chaque crise le capital se concentre davantage.

Pour l’économie capitaliste, les crises sont donc des moments absolument indispensables pour purger le système de tous les déséquilibres qu’il engendre à toutes les étapes de la production et de la distribution des marchandises.

Pour les travailleurs, chaque crise est une catastrophe car elle se traduit par des licenciements massifs et du chômage, par l’appauvrissement d’une fraction supplémentaire des classes populaires. Elle est nuisible, aussi, pour la société, car elle se traduit par la destruction et le gaspillage de biens utiles qui manquent cruellement à toute une autre fraction de l’humanité.

Mais pour l’économie capitaliste, ce ne sont que des faux-frais !


Le rôle des banques, de la bourse et de la finance

La crise actuelle a mis évidence le poids démesuré de la finance dans l’économie capitaliste. Mais contrairement aux apparences, la finance n’est pas seulement un cancer qui parasite l’économie capitaliste. Elle est aussi le sang qui irrigue son marché. L’économie capitaliste ne pourrait pas fonctionner sans les banques.

D’abord les banques permettent la continuité de la production en fournissant les liquidités, les avances sur trésorerie dont les entreprises ont besoin en permanence. C’est vrai pour les petits fournisseurs ou les sous-traitants qui sont payés par leurs donneurs d’ordre avec souvent des délais de trois mois mais qui doivent payer leurs traites immédiatement. Mais c’est vrai aussi pour les grosses entreprises. Si Renault devait attendre d’avoir vendu ses voitures pour racheter de la matière première, payer ses factures d’électricité ou verser les salaires de ses ouvriers, la production risquerait d’être sans cesse interrompue.

Un arrêt brutal des prêts financiers suite à une perte de confiance dans le système bancaire ou une forte augmentation des taux d’intérêt, provoque la faillite de milliers d’entreprises en les empêchant d’accéder aux crédits dont elles dépendent. Même un géant de l’automobile comme General Motors dont les ventes se sont effondrées ces dernières semaines et à qui les banques refusent de prêter des capitaux, voit fondre inexorablement ses réserves dans le fonctionnement quotidien de ses usines.

Les banques jouent encore un rôle quand les capitalistes décident de réinvestir leurs profits. Les investissements pour construire une nouvelle usine nécessitent de gros capitaux. En attendant de les accumuler, les capitalistes placent dans les banques, pour les faire fructifier, les sommes récoltées au fur et à mesure de leurs ventes. Les banques centralisent ainsi des masses de capitaux, elles les mutualisent en quelque sorte, pour les mettre à disposition de tel ou tel capitaliste au moment où il en a besoin. Elles lui permettent ainsi d’investir en anticipant sur ses profits à venir.

Il ne s’agit plus là d’un simple crédit commercial, d’un prêt à court terme pour faire tourner l’entreprise mais d’un prêt à long terme, d’un crédit d’investissement.

Au cours du développement du capitalisme, les banques ont drainé vers l’industrie des capitaux de plus en plus petits et épars provenant de petits patrons et de divers rentiers. Des succursales bancaires de plus en plus décentralisées, les caisses d’épargne, les bureaux de poste, ont drainé l’épargne populaire puis une fraction des salaires ouvriers déposés sur leur compte bancaire. Elles ont ainsi transformé des sommes éparses inutilisables en un capital mis à la disposition des gros capitalistes qui, crise après crise, ont pris le contrôle des grands secteurs de la production.

Evidemment les banques ne font pas ce travail d’intermédiaire pour les beaux yeux des industriels. En échange des sommes avancées, elles perçoivent un intérêt. A travers cet intérêt elles prélèvent leur part de la plus-value crée par les ouvriers et elles ne se contentent pas de la portion congrue.

Les banques, au cours du temps, ne sont pas restées longtemps de modestes intermédiaires. Placées au cœur même des affaires des entreprises, au niveau du porte-feuille, elles en ont pris le contrôle, en n’investissant que dans les plus rentables.

Parallèlement aux banques, les capitalistes trouvent leur ration de capital frais à travers la Bourse des valeurs. Ils ont créé, très tôt dans leur histoire, des sociétés industrielles par actions. Chaque action représente une fraction du capital. Les actionnaires ne touchent pas un intérêt fixe, comme les banquiers, mais un dividende. Ces dividendes, variables d’une année à l’autre, représentent une partie des profits annuels de l’entreprise.

Les entreprises peuvent encore obtenir des capitaux en émettant sur les marchés financiers des obligations qui rapportent à leurs porteurs un intérêt annuel fixe mais aucun droit sur la marche de l’entreprise.

La généralisation des sociétés par actions a permis de dissocier complètement la vie des entreprises de celle des capitaux qui leur permettent de fonctionner. Elle a surtout accéléré la concentration en mettant sous la tutelle de gros investisseurs des milliers de petits porteurs sans aucune prise sur la marche de l’entreprise. Cela a permis la création des monopoles et de cartels dans les grands secteurs économiques.

Finalement il y a belle lurette que la frontière entre les industriels et les banquiers ont disparu, qu’il n’y a pas les bons entrepreneurs industriels d’un côté et les mauvais financiers de l’autre. Les directeurs des grandes banques sont dans les conseils d’administrations des grandes firmes industrielles et vice-versa.

Le premier président de la Société Générale était par exemple Eugène Schneider, le patron des forges du Creusot. Le principal banquier de l’Amérique, J.P. Morgan, qui disposait en 1900 de plus d’or que le Trésor américain, contrôlait la moitié du réseau ferré américain avant de racheter la principale compagnie d’acier du pays. Le poids des financiers dans l’industrie et la concentration du capital ont augmenté régulièrement lors de chaque crise.

Avec la concentration, l’extension du capitalisme à tous les pays, à tous les secteurs économiques, puis le développement du crédit, plus tard les interventions directes des États, les crises sectorielles se sont transformées en crises générales plus profondes au moment où elles éclataient. Mais sectorielles ou générales, elles reviennent immuablement avec une fréquence plus ou moins régulière.

En 1921, Trotsky constatait : "que pendant les périodes de développement rapide du capitalisme, les crises sont courtes et ont un caractère superficiel (...) Pendant les périodes de décadence, les crises durent longtemps et les relèvements sont momentanés, superficiels et basés sur la spéculation."

Nous n’allons pas, je vous rassure, faire le tour de toutes les crises qui ont secoué l’économie capitaliste depuis sa naissance. Nous n’en évoquerons que deux : la Grande Dépression des années Trente provoquée par le krach boursier de New-York en octobre 1929 et la crise actuelle qui s’est brutalement aggravée le 15 septembre dernier.

Si la crise actuelle ne fait que démarrer, si nul ne peut en prévoir les développements, tous les commentateurs la comparent à celle de 1929. Même si la situation internationale n’est pas du tout la même et même si l’histoire ne se répète jamais de la même façon, il est instructif d’étudier les enchaînements qui ont conduit à la crise actuelle, à la lumière de celle de 1929.


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