"La réinvention globale de la gauche est à l’ordre du jour. Ce trimestre est celui des quatre congrès : socialistes, Verts, communistes, NPA. Il va y avoir nécessairement de grands changements. " (interview de Jean Luc Mélenchon le 16 octobre pour le mensuel Regards)

jeudi 6 novembre 2008.
 

Un des événements de ce congrès est la présence d’une motion commune à toute la gauche du PS…

Jean-Luc Mélenchon. Oui, c’est vrai. La gauche du parti s’est toujours présentée divisée dans les congrès. La dernière fois qu’il n’y eut qu’une seule motion de gauche, c’était en 1977, avec le Cérès de Chevènement. Mais, même cette fois-là, cette motion ne rassemblait pas toute la gauche du parti. En ce sens, le prochain congrès est historique.

Pourquoi cette fois, l’unité a-t-elle été possible ?

J.-L.M. J’ai toujours recherché cette unité. Parfois, j’ai cru y arriver, comme lors du congrès de Brest de novembre 1997 où je pensais parvenir à un accord avec les « poperénistes » (1). Cette fois-ci, c’est fait. Il y a plusieurs niveaux d’explication. Le premier est purement factuel. Certains étaient dès le départ partisans d’une union. Dès le mois de mai, notre groupe interne au PS, Trait d’union, a lancé une pétition pour appeler à ce rassemblement de la gauche. Marc Dolez et Gérard Filoche étaient également sur cette position. Un second groupe, dont faisaient partie Benoît Hamon et Marie-Noëlle Lienemann, était davantage partisan d’épauler une motion conduite par Martine Aubry dans l’espoir d’une assise plus large. Quand cette porte s’est refermée du fait des exclusives de Martine Aubry, la convergence de toute la gauche s’est imposée à eux comme une position de repli. Les pièces se sont assemblées et une dynamique s’est mise en marche, qui a bouleversé les anciens points de vue...

Revenons aux raisons plus profondes qui expliquent cette union de la gauche du PS…

J.-L.M. Un événement conjoncturel, le désastre italien, a pesé en faveur de ce regroupement. Une nouvelle fois, l’évolution d’un parti socialiste vers un parti centriste a été précédée ou suivie par l’extinction de la gauche socialiste. On a déjà vu cela en Hollande et en Allemagne. L’exemple le plus frappant reste le cas allemand. La gauche du SPD était persuadée d’être majoritaire au moment de la désignation de Schröder ! Depuis, les courants de gauche, comme le cercle de Francfort, ne jouent plus aucun rôle. Et la ligne de grande coalition avec la droite n’a rencontré aucune résistance dans le parti. Au lieu d’une réévaluation de l’action de Schröder, c’est un partisan de l’ancien chancelier qui vient d’être placé à la tête du parti. Partout les directions sociales-démocrates persistent et signent sur leur programme recentré. Ces évolutions ne sont pas tactiques : elles impliquent l’identité même des partis socialistes en Europe. Tous les rameaux de la gauche du parti socialiste en France ont senti le danger. D’instinct, ils ont fait bloc.

Dans votre livre En quête de gauche (2), vous mettez en évidence une évolution des partis socialistes vers des partis démocrates…

J.-L.M. Il est devenu patent que l’orientation sociale-démocrate des partis de gauche est totalement en échec. La social-démocratie a été incapable de faire face à la conversion du capitalisme financier en capitalisme transnational. Même lorsque les sociaux-démocrates dirigeaient treize des quinze gouvernements de l’Union européenne. Le PS français est passé d’une période d’accompagnement résigné, qui se voulait moderniste, à une mutation dont le Labour party anglais a donné le la. On oublie trop souvent que le blairisme a été d’emblée un mouvement international. Avec le parti démocrate américain, s’organisaient des rencontres entre Massimo d’Alema, Tony Blair et Gerhard Schröder auxquelles Bill Clinton était associé. Au début, Lionel Jospin ne voulait pas y participer et Pierre Mauroy, alors président de l’Internationale socialiste, se tenait vent debout contre le projet d’une nouvelle internationale démocrate. Mais les Français étaient très isolés à l’échelle internationale. Ces résistances ont été vaincues et l’Italie représente la conversion la plus spectaculaire. Ici comme là-bas, l’enjeu est la disparition pure et simple du socialisme historique. Tout le monde au sein de la gauche du parti socialiste ne partage pas mon analyse sur le processus de droitisation du parti, mais nous avons tous en commun ce sentiment d’urgence et, pour ma part, j’ai la conviction que ce congrès est notre dernière chance. La façon dont la gauche du parti a été mise à l’écart par les trois courants issus de l’ancienne majorité (3) est significative de ce début de glissement. Ainsi, Martine Aubry a préféré tenir à l’écart Benoît Hamon et Henri Emmanuelli qui tapaient à sa porte plutôt que de risquer d’avoir la majorité avec eux…

…Ou l’inverse. Elle a pu considérer que s’allier avec vous lui nuirait…

J.-L.M. Quand on en vient à considérer que la gauche est un repoussoir, on a bien les signaux nets d’une droitisation.

Combien de militants socialistes espérez-vous réunir autour de votre motion ?

J.-L.M.La gauche du parti n’a jamais été en dessous de 35 % depuis 2002. Si on totalise les résultats des différentes motions de gauche, nous avons fait 38 % au congrès de Dijon, en 2003, 44 % au congrès du Mans, en 2005, et entre 40 % et 45 % pour le « non » au référendum sur le projet constitutionnel en 2005. Aujourd’hui, même les plus optimistes nous donnent loin derrière ces résultats. Atteindre 20 % serait pour eux un très beau résultat. Si c’est vrai, on voit la dégradation de la situation de la gauche du parti. Ce serait une évolution de fond. Mais, à cette heure il reste une incertitude sur l’impact de la crise financière. Déjà on peut constater que la préparation du congrès, qui avait commencé très à droite avec les déclarations de Bertrand Delanoë se réclamant du libéralisme, se termine plus à gauche, avec même parfois une langue gauchisante. Quoi qu’il en soit, tout cela n’est pas un signe de bonne santé politique. L’opportunisme devient total, quasiment consubstantiel à l’identité du parti.

Quel est votre objectif politique ?

J.-L.M. Même si je sais que ce sera difficile, je fais le pari d’arriver en tête. Mathématiquement, c’est possible : la majorité est divisée en trois blocs et nous sommes réunis. Si nous parvenons à arriver en tête, la synthèse devra se construire autour de notre motion, conformément aux règles du PS. Pour moi, notre victoire serait aussi un test de vitalité du parti qui a toujours su s’adapter aux mouvements de l’opinion. Je pense que, dans une telle hypothèse, l’aile droitière du PS ne le supporterait pas et partirait. A l’inverse, à gauche, d’innombrables militants disent ne pas pouvoir supporter d’accompagner une nouvelle fois un convoi dont ils ne partagent pas la destination.

Comment expliquer la dégradation rapide de l’influence de la gauche au sein du parti ?

J.-L.M. Les militants ont changé. Les plus conscients sont partis. Ils ont été découragés par la compétition électorale permanente et par l’idéologie de la gestion des collectivités comme méthode de transformation sociale. Les syndicalistes, hier présents par bataillons, ne sont plus là. Le PS apparaît comme un cheval fourbu, à contre-courant de l’opinion de gauche. Le parti a manqué tous les rendez-vous importants depuis six ans. Eliminé du second tour en 2002, il soutient en 2005 le projet libéral pour l’Europe et hier encore, en pleine crise du capitalisme, il ne rejette pas le plan du gouvernement pour renflouer les banques. Même l’analyse politique s’atrophie. On absolutise chaque scrutin, alors que les dernières élections locales ont connu un pic d’abstention, après le record de participation de 2007. En fait, le parti n’a pas vraiment d’autre argument que le vote utile, c’est-à-dire le vote par défaut, le vote pour « le moins pire ». Les nouveaux adhérents ont souvent déjà une culture de gauche, mais ils sont marqués par le poids des sondages et ils personnalisent beaucoup la politique. Il faut dire que, si l’on sait ce qui distingue la gauche du PS des trois autres motions, on a peine à identifier clairement les différences entre les motions Delanoë, Aubry, Royal. C’est pourquoi l’opinion n’y comprend rien… et les adhérents souvent pas davantage.

Vous disiez que le PS s’est souvent retrouvé isolé à gauche au sein de l’Internationale socialiste. Pourquoi le PS a-t-il fini par se ranger ?

J.-L.M. La pression sur le PS a été considérable. Toute la pensée des dirigeants socialistes est devenue institutionnelle. Ils ont cru que la stratégie de centre gauche était payante en raison des succès britanniques. Cet argument a tout embarqué. Ils ont tourné la page de l’exception du socialisme français dans l’Internationale dont le reste de la gauche n’a pas conscience. Il faut mesurer ce qu’il y avait d’audacieux à l’arrivée au pouvoir d’une coalition avec les écologistes et les communistes, en 1997. Le programme d’alors était unique parmi les partis membres de l’Internationale socialiste. Vous imaginez, une réduction du temps de travail sans perte de salaire ! C’est pour cela que j’ai qualifié ce gouvernement de « plus à gauche du monde ». Ceux qui ne le comprenaient pas ne connaissaient pas le monde à ce moment-là. Mais notre isolement était complet. L’alliance de Blair, Schröder et d’Alema fabriquait une hégémonie culturelle à l’intérieur de la social-démocratie. Quand les socialistes français ont commencé à céder à ces sirènes, ils ont dévalé toute la pente. L’échec brutal de Jospin a été analysé par ses successeurs comme la preuve qu’il en avait trop fait à gauche. Avec la stratégie du « vote utile », le PS dirige aujourd’hui toutes les grandes agglomérations de plus de

500 000 habitants, toutes les régions sauf deux, la majorité des départements et des villes de plus de 30 000 habitants. Il est devenu une énorme machine qui éprouve un besoin d’ordre réfractaire au débat et à l’engagement de ses membres hors du cadre des institutions. L’idéologie gestionnaire étouffe la flamme du socialisme. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Il faut relire l’histoire…

Qu’est ce qui vous retient encore dans ce parti ?

J.-L.M. Il faut penser pour toute la gauche… Je ne fais pas le pari du pire. Le pire serait de considérer que le PS a changé de camp. Ce serait absurde de ne pas mener la bataille pour l’ancrage à gauche du PS. Mais je sais aussi que cette fois, si nous perdons, le centre dirigeant ne sera pas le même que les fois précédentes… Le déplacement vers la droite sera considérablement approfondi. Et c’est vrai aussi que ma pensée évolue. J’ai longtemps été partisan d’un seul parti pour toute la gauche. Ce n’est plus mon point de vue. Si un tel parti se créait à cet instant, il serait totalement dominé par les sociaux-libéraux. Je crois désormais qu’il faut d’abord un rééquilibrage à gauche. Le déséquilibre actuel entre un PS très puissant et l’autre gauche en miettes réduit la base électorale de la gauche, atrophie sa pensée politique et amenuise sa capacité de contestation de l’ordre établi. C’est pour cela que je suis partisan d’une politique nouvelle d’union de la gauche ; une union conflictuelle avec le PS dynamiserait toute la gauche. C’est la base des larges convergences que j’ai avec les communistes qui, comme moi, veulent une gauche à la fois diverse, unitaire et gouvernementale.

Donc vous allez rester pour mener ce combat de l’ancrage à gauche du PS ?

J.-L.M. Je participe activement au congrès du PS, en effet. Si la gauche du parti perdait une nouvelle fois, si elle était réduite à choisir entre rechercher la synthèse avec le gagnant des trois autres motions ou maintenir une motion de témoignage qui sert de caution, alors on serait dans l’impasse. Chacun sera obligé de reformuler son point de vue, sa stratégie. Pour définir la mienne, je ne me satisferai pas d’un honorable résultat de la gauche du parti. Je regarderai surtout qui a gagné. C’est cela qui donnera le signal de la réponse du PS français dans la crise au moment où il va aller à la rencontre du suffrage universel aux élections européennes dans sept mois. Je ne peux pas occulter le fait qu’Aubry, Delanoë et Royal ont tous les trois appelé à voter « oui » lors du référendum sur le projet de constitution européenne, soutenu le traité de Lisbonne, empêché que le peuple français soit à nouveau consulté par référendum sur le nouveau traité européen, dénoncé le vote des Irlandais… Comment imaginer un programme honnête sur cette base pour les prochaines élections européennes ? Je n’imagine pas, dans les circonstances actuelles, continuer les guerres de tranchées pour gagner des places à la direction et des strapontins dans les listes de candidatures pour continuer de faire bouillir ma marmite. Les enjeux ne sont plus de cet ordre.

Vous dites vouloir penser pour toute la gauche. On ne peut pas dire que la gauche hors du PS soit plus flambante que la gauche du PS… Avez-vous une proposition politique pour cet espace ?

J.-L. M. La culture politique française a toujours intégré un courant radical et syndical. Cela demeure. Mais je me rends compte que rien ne peut cristalliser sans des éléments de la gauche du PS. Je ne vois pas pourquoi ne se produirait pas, en France, ce qui s’est produit en Hollande, en Allemagne, en Norvège, en Grèce – même si je connais moins bien ce dernier cas. Cette interminable double impasse du communisme d’Etat et de la social-démocratie a fini par appeler une alternative à gauche. Certains pensent qu’Olivier Besancenot occupe désormais cet espace. C’est en partie vrai à cette heure. Mais je sais aussi que le mouvement qui amène quelqu’un à gauche n’est pas une simple demande de témoignage mais la recherche d’une possibilité de résultats concrets. Donc on ne peut pas séparer le programme de la stratégie pour le rendre majoritaire. Le NPA tourne le dos à l’union de la gauche. Dès lors, rien de ce qu’il propose ne peut être autre chose qu’un vœu pieu. Cela dit, je note que de nombreux ex-socialistes exercent une pression très forte pour que se prennent des initiatives en dehors du cadre du PS. L’exemple de Die Linke, en Allemagne, avec ses succès, a un grand impact sur les militants. De toute façon, la réinvention globale de la gauche est à l’ordre du jour. Je crois qu’elle ne surgira pas du néant ni d’un cerveau génial mais de l’action concrète collective et de réponses précises sur les trois fronts de crise qu’affronte la société humaine : la crise écologique qui va nous prendre tous à la gorge, la crise sociale aggravée par la récession en cours, la crise de la participation des citoyens aux décisions qui les concernent. Je pense que notre période historique est si propice aux catastrophes qu’elle produira aussi les moyens de s’y opposer. Ce trimestre est celui des quatre congrès : socialistes, Verts, communistes, NPA. Il va y avoir nécessairement de grands changements.

Entretien réalisé par Catherine Tricot le 16 octobre.

Paru dans Regards n°56


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