Du supercapitalisme mondialisé au socialisme : quelle transition ? (par Paul Boccara, économiste et historien)

dimanche 16 novembre 2008.
 

POSTCAPITALISME « Pour un modèle néomarxiste », par Paul Boccara

Les milieux dirigeants considèrent que cette crise financière n’est pas celle du capitalisme, mais d’un système non régulé, « dévoyé », selon François Fillon, ou « devenu fou » pour Nicolas Sarkozy. Ils affirment qu’il faut revenir au vrai, au pur, au propre, au sain capitalisme. C’est qu’ils ne veulent pas toucher aux règles fondamentales. Or, les solutions, je le montre dans mon livre, doivent s’en prendre aux règles mêmes du capitalisme. Nous sommes dans un supercapitalisme mondialisé qui a exacerbé ses logiques fondamentales. Cela renvoie à des révolutions profondes et irréversibles – technologique et informationnelle, monétaire, écologique… – qui empêchent de revenir au capitalisme de grand-papa. Il faudrait aller plus loin, avancer. Et cela vers un système radicalement mixte, qui conserve des éléments actuels, mais qui commence à s’émanciper du capitalisme par de nouvelles règles et institutions pour aller vers un autre type d’économie de croissance, de développement, de pouvoirs, vers une autre civilisation de toute l’humanité, libérée de l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. Cela peut reposer sur le rapprochement des groupes sociaux dominés : tous les salariés, qu’ils soient plus ou moins qualifiés, les femmes, les personnes âgées, les jeunes, les minorités ethniques, tous les pays et aires culturelles de la planète.

L’idée de l’intervention publique remonte. Mais le renforcement de l’Etat ne suffit pas. Celui-ci forme un couple solidaire avec le marché. Il faut une autre construction politique allant au-delà de l’Etat délégataire : une démocratie participative et d’intervention, du local au mondial, qui donne aux citoyens le pouvoir de participer aux décisions. Au-delà de notre société de concurrences exacerbées, il s’agit d’avancer vers une société de partage des pouvoirs, des moyens financiers, des objectifs sociaux, de la créativité. Cette démocratie doit s’exercer depuis l’entreprise, les services publics, la ville, la région, la nation, jusqu’à l’Union européenne et dans le monde. On ne va pas sauter d’un coup dans le non-marchand. Mais il faut un marché maîtrisé qui comporte des éléments non marchands comme la Sécurité sociale, la formation rémunérée ou l’expansion de nouveaux services publics.

Pour le système monétaire et financier, je défends l’idée d’un autre crédit bancaire. Des phrases vagues sur les investissements « réels », ou « utiles », ou les « besoins sociaux » n’ont pas de portée pratique. Je suggère de mettre en place des crédits sélectifs, à taux d’intérêt très abaissés, zéro, voire négatifs (avec remboursements diminués), pour les investissements réels, matériels ou de recherche. Et cela avec des taux d’autant plus abaissés que sont programmés de bons emplois et formations. Il faut décliner cette proposition : depuis des Fonds régionaux (avec des fonds publics prenant en charge tout ou partie des intérêts des crédits bancaires, selon les modalités déjà définies), un pôle public du crédit au niveau national, étendu par des nationalisations bancaires, jusqu’à un autre rôle de la Banque centrale européenne et un autre FMI, avec une monnaie commune mondiale remplaçant le dollar. Il faut des services publics d’encadrement et de promotion du système monétaro-financier sur les plans national, européen et mondial. J’appelle à une révolution d’ensemble des services publics, socialisés, où les usagers auraient autant de pouvoirs que les personnels, jusqu’à instituer des Services et Biens communs publics de l’humanité, faisant reculer la domination des multinationales. Il faut renverser la prédominance de la monnaie et des moyens matériels monopolisés afin que prédominent partout le développement des êtres humains.

Paul Boccara est économiste et historien communiste, auteur de Transformations et crise du capitalisme mondialisé, Quelle alternative ?, éd. Le Temps des cerises, 2008

Paru dans Regards n°56, novembre 2008


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