Respect du droit et liberté pour Julien Coupat et Yldune Lévy, prétendus "terroristes" du Limousin (9 articles)

mercredi 31 décembre 2008.
 

1) Liberté pour Julien Coupat et Yldune Lévy incarcérés sans aucune preuve

"Ce qui me choque aujourd’hui, c’est de voir comment le pouvoir politique, et en particulier le parquet, manipulent et instrumentalisent la justice, et ça, je ne veux pas parler du tout en tant que père de Julien, mais uniquement en citoyen, réagit Gérard Coupat au rejet de la demande de liberté pour son fils par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Les trois magistrats qui devaient juger Julien avaient également une vingtaine de dossiers à traiter en même temps, vous vous rendez compte ? Moins d’une demi heure par dossier. Et pire que ça... Parce qu’on est en période de vacances judiciaires, les trois magistrats étaient des novices. C’est-à-dire, si on travaillait dans le privé, on appellerait ça des intérimaires. Ces gens ne connaissaient pas le dossier."

Vous qui avez passé Noël parmi vos proches et vous apprêtez à fêter le nouvel an, ayez une pensée pour ces deux victimes de l’acharnement d’État, qui s’applique à fabriquer l’épouvantail de "l’ultra-gauche anarcho-autonome". "C’est clair, on veut casser mon fils ainsi que sa compagne Ylunde, il y a une volonté de les humilier", accuse Gérard Coupat, qui "a exprimé tout à la fois sa "consternation", sa "colère" et "sa grande peine" devant les "humiliations infligées" à son fils, notamment lors des fouilles à corps, "nu devant des policiers hilares", résume L’Obs.com. Au chapitre du traitement inommable infligé aux deux mis en examen, appelons à la barre Le Canard enchaîné, qui expose les conditions de détention d’Yldune Levy à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis : la nuit, toutes les deux heures, la lumière s’allume dans sa cellule pour officiellement « la protéger d’elle-même » mais il s’agit selon l’hebdomadaire, qui cite les juges, d’« attendrir la viande » de cette « dangereuse terroriste ». Il s’agit du mode de surveillance des « détenus particulièrement surveillés », reporte Wikipédia.

Le leader présumé de la fantômatique "Cellule invisible" et sa compagne sont accusés d’avoir saboté des caténaires, hypothèse farfelue selon son père, comme il l’explique dans une interview accordée à l’Humanité : "C’est grâce à des syndicalistes que j’ai pu rencontrer des techniciens qui m’ont expliqué combien il est farfelu d’imaginer que Julien et Yldune puissent arriver à arrimer des fers à béton sur une caténaire. C’est une manipulation qui ne peut être faite que par des gens très bien entraînés et en aucun cas à deux personnes. Sans parler des problèmes d’électricité résiduelle dans des câbles où circule du 25 000 volts. D’où l’hypothèse que la police n’a jamais retenue - parce qu’elle contrecarre ses plans : celle, connue depuis le début, des écologistes allemands qui utilisent cette technique depuis vingt ans. (Une revendication venant d’Allemagne existe en effet, Nda) Autre hypothèse : tout cela n’est qu’une barbouzerie de plus. Cela ne me surprendrait guère car je ne vois pas d’où peuvent sortir les gilets pare-balles qui ont été retrouvés à la ferme de Tarnac. Une ferme qui, soit dit en passant, doit être la seule de Corrèze où il n’y a jamais eu d’armes à feu ! Heureusement que la personne à qui on a voulu faire signer les scellés a refusé de le faire."

Et quand bien même Julien et Yldune seraient coupables, la qualification d’entreprise terroriste est scandaleuse pour ce qui n’est qu’un acte de malveillance n’ayant jamais mis en danger la vie de quiconque. Alors comment interpréter l’attitude de la ministre de l’Intérieur et du procureur ? Là encore, Gérard Coupat parle d’or : "Depuis le 11 septembre 2001, on a affaire au marketing de la peur, analyse-t-il, toujours dans l’Humanité. C’est un mode de gestion politique. Et si, autour de la jeunesse de banlieue, a été dressé une sorte de « cordon sanitaire », là, à travers les jeunes de Tarnac, le pouvoir vise essentiellement les jeunes politisés issus de la classe moyenne, celle qui est en train de s’en prendre plein la gueule en ce moment. La classe politique sait qu’en janvier et en février, ça va péter. Parce qu’on ne peut pas accepter 150 000 chômeurs en plus et, dans le même temps, des milliards pour sauver les banques, ni des suppressions de postes dans l’éducation nationale alors que cela fait deux générations que l’école est en panne. Il va donc y avoir des manifestations dans lesquelles on trouve cette jeunesse issue des classes moyennes, qui commence à remuer parce que, ayant fait quelques études, elle sait qu’on est en train de l’envoyer dans le mur, qu’on est en train de mettre en place une société inacceptable pour elle. Comme le pouvoir ne veut surtout pas que cette jeunesse puisse être l’élément déclencheur d’une révolte, il la met en taule."

Qu’en dit pour sa part la Ligue des droits de l’Homme ? Elle regarde « avec inquiétude l’extension de l’accusation de terrorisme à toute forme de contestation sociale et politique alors même que, dans le cas présent et de l’aveu même de la ministre de l’Intérieur, aucune vie n’a jamais été mise en danger, ni même susceptible de l’être. Le terrorisme est une menace trop sérieuse pour que l’on cède en la matière à des instrumentalisations et à des gesticulations sécuritaires », juge la LDH, dénonçant « une procédure qui ne s’embarrasse pas du respect des libertés individuelles et se déroule sous l’oeil de médias alimentés d’informations uniquement à la charge des personnes mises en cause ».

Source : http://www.plumedepresse.com/spip.p...

samedi 27 décembre 2008, par Olivier Bonnet

2) Lettre ouverte des parents des neuf mis en examen du 11 Novembre

Lorsque la cacophonie s’accorde pour traîner dans la boue une poignée de jeunes emmurés, il est très difficile de trouver le ton juste qui fasse cesser le vacarme ; laisser place à plus de vérité. Certains médias se sont empressés d’accréditer la thèse affirmée par la ministre de l’intérieur dans sa conférence de presse, alors que les perquisitions étaient en cours : les personnes arrêtées étaient d’emblée condamnées.

Personne n’aura pu rater l’épisode de « police-réalité » que nous avons tous subi la semaine passée. L’angoisse, la peur, les pleurs nous ont submergé et continuent à le faire. Mais ce qui nous a le plus blessés, le plus anéanti, ce sont les marées de mensonges déversées. Aujourd’hui ce sont nos enfants, demain ce pourrait être les vôtres. Abasourdis, nous le sommes encore, paralysés nous ne le sommes plus. Les quelques évidences qui suivent tentent de rétablir la vérité et de faire taire la vindicte.

Les interpellés ont à l’évidence bénéficié d’un traitement spécial, enfermés pendant 96 heures, cela devait faire d’eux des personnes hors normes. La police les suspecte d’être trop organisés, de vouloir localement subvenir à leurs besoins élémentaires, d’avoir dans un village repris une épicerie qui fermait, d’avoir cultivé des terres abandonnées, d’avoir organisé le ravitaillement en nourriture des personnes agées des alentours. Nos enfants ont été qualifiés de radicaux. Radical, dans le dictionnaire, signifie prendre le problème à la racine. A Tarnac, ils plantaient des carottes sans chef ni leader. Ils pensent que la vie, l’intelligence et les décisions sont plus joyeuses lorsqu’elles sont collectives.

Nous sommes bien obligés de dire à Michelle Alliot Marie que si la simple lecture du livre « L’insurrection qui vient » du Comité Invisible fait d’une personne un terroriste, à force d’en parler elle risque de bientôt avoir à en dénombrer des milliers sur son territoire. Ce livre, pour qui prend le temps de le lire, n’est pas un « bréviaire terroriste », mais un essai politique qui tente d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Aujourd’hui, des financiers responsables de la plus grosse crise économique mondiale de ces 80 dernières années gardent leur liberté de mouvement, ne manquant pas de plonger dans la misère des millions de personnes, alors que nos enfants, eux, uniquement soupçonnés d’avoir débranchés quelques trains, sont enfermés et encourent jusqu’ à 20 ans de prison.

L’opération policière la plus impressionante n’aura pas été de braquer cagoulé un nourrisson de neuf mois en plein sommeil mais plutôt de parvenir à faire croire que la volonté de changer un monde si parfait ne pouvait émaner que de la tête de détraqués mentaux, assassins en puissance.

Lorsque les portes claquent, nous avons peur que ce soient les cagoules qui surgissent. Lorsque les portent s’ouvrent, nous rêvons de voir nos enfants revenir.

Que devient la présomption d’innocence ? Nous demandons qu’ils soient libérés durant le temps de l’enquête et que soit evidemment abandonnée toute qualification de terrorisme.

PS : Nous tenons à saluer et à remercier les habitants de Tarnac qui préfèrent croire ce qu’ils vivent que ce qu’ils voient à la télé.

* Paru dans le quotidien Libération du 25 novembre 2008.


3) « C’est criminaliser la pensée » MICHEL ONFRAY Philosophe, auteur de la Philosophie féroce (Galilée).

Lorsque la presse a rapporté l’arrestation des présumés responsables des actes de sabotage des lignes TGV, la présomption d’innocence fonctionnait, certes, mais la présentation des faits par les médias, relayant à chaud,faute de mieux, la version policière, ne semblait faire aucun doute : il s’agissait là des personnes qui posaient les fameux fers à béton sur les caténaires.

Informé par cette seule source, dont la une de Libération, qui titrait « L’ultragauche déraille », j’ai rédigé mon billet hebdomadaire dans Siné Hebdo en déplorant les actes de sabotages, qui ne profitaient pas au peuple, mais qui, bien plutôt, le pénalisaient. Soit de manière individuelle, par les dommages causés ; soit de façon collective, par la légitimation d’une réponse répressive des gouvernements en place.

Or, comme toujours lorsque la presse annonce avec force une information réellement fausse (jadis, par exemple, le clonage d’un enfant chez les raëliens…), sinon incomplète, fragmentaire, parcellaire, donc partiellement fausse, il n’y a pas beaucoup d’autocritique ensuite. Dans le cas de Tarnac, par exemple, on constate que, le temps de la garde à vue et à défaut de plus amples informations, la presse est restée proche de la position du ministère de l’Intérieur, qui s’avère grandement fautive. Car le dossier ne comporte rien.

Ainsi, l’ADN des dits suspects, qui, habituellement, agit en maître de justice incontestable, n’a pas été retrouvé sur le lieu des forfaits. Les accusations sont portées sur des hypothèses qui ne tiennent pas : un passé de militant et d’activisme international, ce qui ne saurait constituer un délit ; un matériel qui aurait pu servir aux actes de sabotage, mais qui pourrait tout aussi bien s’expliquer par les besoins du pur et simple bricolage dans une maison ; des horaires de TGV, mais on peut en avoir besoin pour les prendre à l’heure sans vouloir les stopper ; mais aussi, et surtout, des livres ! Péché mortel, une bibliothèque subversive ! Et la présence de l’Insurrection qui vient, un ouvrage sans nom d’auteur dont on dit qu’il a peut-être été signé par le principal protagoniste, transformé en « chef ».

Devant un dossier vide et une totale absence de preuves, que peut faire la police pour ne pas se déjuger ? En appeler au terrorisme et à la possibilité d’un acte terroriste potentiel induit par le profil intellectuel. Autrement dit : criminaliser la pensée. Une version du délit de sale gueule : ils auraient pu le faire, donc ils l’ont fait. Le terrorisme, sauf cas avéré - les attentats qui ont visé Bombay, par exemple - est souvent le mot qu’on utilise pour fustiger l’ennemi quand on a envie de le condamner sans preuves ou avant même instruction du dossier. Fasciste, stalinien et pédophile servent selon les mêmes logiques.

Devant un dossier vide et une totale absence de preuves, que peut le journalisme pour ne pas se déjuger plus que de raison ? En appeler au débat et aux dossiers - plus tard…

J’y contribue d’autant plus volontiers que, dans Siné Hebdo, j’ai moi-même donné le change en emboîtant le pas aux journalistes d’en face ! Le temps d’une chronique, certes, mais quand même. Une leçon sur le journalisme qui est un pouvoir comme les autres et que le libertaire que je tente d’être ne se rappelle probablement pas assez…

* Paru dans le quotidien Libération du 3 décembre 2008.


4) « Il faut refuser les lois d’exception » JEAN-CLAUDE MONOD philosophe, auteur de « Penser l’ennemi, affronter l’exception » (La Découverte)

Dans un de ses derniers entretiens, Jacques Derrida soulignait combien il était important, à propos des usages de la notion de terrorisme, de pouvoir « faire plus d’une phrase », c’est-à-dire de pouvoir affirmer « ensemble » différents principes fondamentaux, différentes exigences éthiques, politiques, juridiques et critiques irréductibles.

Tout en condamnant sans équivoque tout usage du terrorisme compris comme acte visant à tuer délibérément des civils et à répandre la terreur, il importe de déconstruire l’unité douteuse de ce que la « guerre contre le terrorisme » de l’administration Bush, tout comme les récentes législations antiterroristes américaine, britannique et française, ont réuni sous le nom englobant et délibérément flou « du » terrorisme. C’est ainsi que la guerre en Irak a pu être présentée comme participant de la « guerre contre le terrorisme », malgré l’absence de tout lien avéré avec Al-Qaeda, et que l’administration Bush a légitimé par avance toute attaque « préventive » contre un Etat en le qualifiant d’Etat « terroriste » ou « voyou »…

On peut admettre la nécessité de renforcer certaines mesures de sécurité dans un contexte de menace terroriste et, en même temps, combattre l’autonomisation des dispositifs de sécurité par rapport à l’Etat de droit (garanties de défense, présomption d’innocence, exigence de preuve…) ou encore refuser les lois d’exception. Celles-ci ont abouti, aux Etats-Unis, à la création des monstrueux statuts de « détenus indéfinis » sans charges précises, de « combattants ennemis » soustraits aux conventions de Genève et au final à l’autorisation de la torture.

Nous n’en sommes pas là en France, mais les lois Perben II conduisent aujourd’hui à qualifier de terroristes des actions politiques délictueuses mais nullement meurtrières comme le blocage de trains, et à appliquer à leurs auteurs présumés et à leur entourage des procédures d’exception. Si l’on cherche à qualifier juridiquement la dégradation de caténaires de la ligne Paris-Lille, pourquoi y voir autre chose qu’une « dégradation de bien appartenant à l’État » ? Peut-on sérieusement ranger cet acte sous le chef d’inculpation d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » ? De nombreux citoyens ont vu là une extension illégitime et disproportionnée de la notion de terrorisme, intuitivement associée à des attentats meurtriers, des assassinats de civils, tels que ceux qui ont ensanglanté Bombay ces derniers jours.

Cette intuition, ce sens de la (dis)proportion, sont plus « justes » que ne le sont les lois Perben II. L’affaire du TGV montre la nécessité d’une abrogation de ces lois d’exception, dénoncées comme telles lors de leur promulgation par des juristes aussi peu « terroristes » que Robert Badinter ou Jean-Denis Bredin. Mais, on doit aussi déplorer la confusion de certains soutiens et pères spirituels des « neuf de Tarnac », comme le philosophe Giorgio Agamben, qui ne cesse de répéter que « plus rien ne distingue l’état d’exception de la norme » et que nos démocraties sont devenues de vastes camps de concentration (pour y opposer le messianisme vague d’un « véritable état d’exception » révolutionnaire). L’état d’exception n’est ni la fatalité ni la vérité de la démocratie.

* Paru dans le quotidien Libération du 3 décembre 2008.


5) « Ne pas oublier l’héritage du droit » STÉPHANE RIALS, professeur (universitaire de France-Paris-II). Auteur d’« Oppressions et résistances » (PUF)

En France, le 2 décembre n’est pas un jour faste… Une chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a partiellement suivi les réquisitions du parquet en maintenant en détention Julien Coupat et sa compagne. Il est trop tôt pour juger avec sérieux un choix dont les motifs sont ignorés. Mais, s’il s’agit des libertés et des droits, il est permis de ne pas se sentir très bien ces temps-ci.

Chacun admet qu’il n’est pas souhaitable - si la preuve en est administrée - qu’une poignée d’enfants tristes persistent à jouer au train électrique à un âge où ils devraient jouer en Bourse. Nul ne nie que le sabotage de caténaires avec des fers à béton ne doit pas être encouragé. Mais, à l’heure de Bombay, la conscience commune est troublée par la caractérisation de l’épisode du Lille-Paris comme « terroriste ». La presse audiovisuelle avait immédiatement évoqué des « actes de malveillance ». C’est bien de cela qu’il s’agissait : ni terreur, ni effroi, ni épouvante, rien qui évoquât une « entreprise terroriste », si les mots ont un sens.

Le parquet a d’ailleurs cru bon d’évoquer l’insoutenable violence programmatique des textes du Parti imaginaire et du Comité invisible. Ce qui frappe à la lecture de ceux qui sont accessibles, ce n’est pourtant pas un ton prometteur de sang. Ce sont plutôt des ambitions littéraires, philosophiques ou sociologiques, inégalement couronnées de succès. L’insurrection qui vient (titre laforguien car l’on refusera de croire qu’il s’agisse d’une pénible réponse à Alain Finkielkraut) amuse par ses « cercles » dantesques ou par son « en route ! » huysmansien… Quant à l’Appel, que certains évoquent avec un air entendu, l’on pourra juger inadaptée la présentation plus ou moins spinoziste retenue pour un texte peu serré. Mais pas qu’il s’agit d’un brûlot.

J’évoquais le sens des mots. Mais celui-ci est conventionnel (et pour finir soumis au rapport de forces). L’affaire du TGV n’est pas terroriste selon nos usages ordinaires. Mais autre est la langue du législateur (« au sens de la loi du », écrivent volontiers les juristes…) Les articles 421-1 et suivants du code pénal sont très préoccupants. Ils disposent en effet que « constituent des actes de terrorisme », non seulement beaucoup d’actes dont le lien avec toute perspective violente pourrait être ténu, mais nombre de situations objectives très vagues. En lisant l’article 421-2-1, ainsi, on se dit que le dimanche, ceux qui ne travailleront pas feront bien de consommer sagement et de fuir toute vie associative…

N’en doutons pas : il y a aujourd’hui un danger terroriste qui n’est pas le fruit de la seule imagination manipulatrice de certains gouvernants. Il n’est pas impossible qu’il ne faille des mesures particulières pour le combattre. Il est assurément préférable de prévenir des actions terroristes dont certaines pourraient emporter des effets qu’on ne saurait guérir. Nous n’aurions pas dû pour autant oublier l’héritage de notre culture du droit, renoncer à concilier plus justement les impératifs, à mieux proportionner les moyens aux fins et aux risques. En permettant qu’on applique un très sévère régime d’exception à des situations qui ne sont pas des situations d’exception, le législateur nous a conduits, nous le savons aujourd’hui, hors de toute modération.

* Paru dans le quotidien Libération du 3 décembre 2008.


6) La « gravité des faits » en question Christophe Chaboud, responsable antiterroriste, ne se « prononce pas » sur la qualification pénale.

Recueilli par Guillaume Dasquié

Les responsables de la lutte antiterroriste ont peut-être surévalué le danger représenté par le groupe de Tarnac. En ordonnant la libération de trois d’entre eux, la cour d’appel de Paris a contredit l’appréciation qu’en faisait le procureur de la République. D’un point de vue opérationnel, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) a étroitement suivi les investigations contre ces militants. Chef de l’Uclat depuis mai 2005, le contrôleur général Christophe Chaboud justifie les poursuites engagées, mais il nuance les charges et refuse de se prononcer sur la qualification pénale .

Quand et comment les services antiterroristes ont-ils perçu une menace émanant de l’ultragauche en France ?

D’abord en 2005. On a noté cette année-là une évolution lors des manifestations contre le contrat première embauche (CPE), avec une violence accrue contre les forces de l’ordre. Progressivement, cette évolution de la violence s’est étendue à la plupart des manifestations contre la mondialisation ou contre le capitalisme. Puis des actes criminels ont été relevés, en particulier la tentative d’attentat à l’engin incendiaire, en 2007, lors des universités d’été du Medef. Nous nous sommes ensuite intéressés aux personnes derrière ces phénomènes. Et nous avons découvert des cellules anarcho-libertaires qui développaient une stratégie commune d’affrontements contre l’Etat et ses représentants. Nous avons également remarqué qu’elles se distinguaient par leur goût de la clandestinité.

Comment s’expriment leurs velléités terroristes ?

De par leur attitude et leur mode de vie. Ces personnes recherchent une coupure totale avec la société. Ils souhaitent transcrire leurs pensées en actes violents tout en se préparant à une vie clandestine.

Comment la menace qu’ils représentent se manifeste- t-elle ? Se procurent-ils des explosifs ou des armes ?

En l’occurrence, non. Cependant, dans le cas du groupe Coupat, ils ont organisé des sabotages concertés, dans le but de perturber tout un réseau de communication. L’intention de paralyser le pays en s’attaquant à son réseau de voies ferrées ne faisait pas de doute. Et cette action s’inscrivait dans une logique dangereuse. Donc, il était justifié que l’on décide de les neutraliser de manière préventive, avant que l’irréparable ne soit commis.

Néanmoins, quand des opposants à la réforme des retraites coupent des câbles SNCF et interrompent le trafic TGV, quand Bové « démonte » un McDonald, ces dégradations ne sont pas assimilées à des « entreprises terroristes ».

Il faut avoir une vue d’ensemble et ne pas prendre les événements de manière isolée. La différence avec le groupe Coupat est une combinaison de comportements, de discours et d’actes, qui revendiquent tous une rupture avec la société. Concernant la qualification pénale, ce n’est pas à moi de me prononcer. Cependant, avec le travail que nous avons réalisé sur cette cellule, nous avons estimé qu’il était préférable de les arrêter avant qu’il ne soit trop tard.

N’était-il pas plus approprié de les poursuivre en justice au titre du simple délit de dégradation de biens publics ?

Ce n’est pas dans notre intérêt de dévoyer le dispositif antiterroriste. Certes, nous ne sommes pas confrontés dans ce cas à une gravité des faits comme on en rencontre souvent dans la lutte antiterroriste. Et les personnes visées n’encourent pas des peines trop lourdes. Toutefois, au stade de l’enquête préliminaire, nous avons estimé que suffisamment d’éléments permettaient de caractériser leurs activités dans le champ judiciaire défini par la notion d’« entreprise terroriste », comme la loi de 1996 nous y autorise [le concept d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », introduite par cette loi, ndlr].

Collectif-, ONFRAY Michel, MONOD Jean-Claude, RIALS Stéphane, CHABOUD Christophe, DASQUIE Guillaume

7) « Antiterrorisme » en Limousin : lois d’exception et violation des garanties constitutionnelles des libertés Communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme

Plusieurs personnes ont été arrêtées à Tarnac puis déférées à la Section antiterroriste du parquet de Paris après une garde à vue de 96 heures, c’est-à-dire le maximum autorisé par la législation d’exception dite « antiterroriste », le tout sous l’œil des caméras et des journalistes.

Les procès-verbaux des interrogatoires de garde à vue ont été rendus publics, comme certains rapports de synthèse des services de police, et la ministre de l’Intérieur a cru devoir porter des accusations de terrorisme contre les personnes mises en cause.

Une nouvelle fois, la Ligue des droits de l’Homme dénonce une procédure qui ne s’embarrasse pas du respect des libertés individuelles et se déroule sous l’œil de médias alimentés d’informations uniquement à la charge des personnes mises en cause. Cette violation, devenue permanente de la présomption d’innocence, y compris par des services de l’Etat ou par des responsables politiques, marque un affaiblissement inacceptable de l’Etat de droit.

La LDH regarde avec inquiétude l’extension de l’accusation de terrorisme à toute forme de contestation sociale et politique alors même que, dans le cas présent et de l’aveu même de la ministre de l’Intérieur, aucune vie n’a jamais été mise en danger, ni même susceptible de l’être. Le terrorisme est une menace trop sérieuse pour que l’on cède en la matière à des instrumentalisations et à des gesticulations sécuritaires.

La LDH dénonce la méthode de gouvernement qui conduit à exploiter chaque fait divers et à criminaliser toute critique de l’ordre établi pour réduire les libertés civiles et politiques.

8) "Ultragauche" de Tarnac : le dossier se dégonfle doucement Article de L’Humanité

La cour d’appel de Paris a ordonné mardi la remise en liberté de trois des suspects écroués dans l’enquête sur un sabotage des lignes de TGV de la SNCF. Alors que le parquet avait requis le maintien en détention. En revanche, la chambre de l’instruction a refusé la libération des deux autres suspects écroués, le supposé leader Julien Coupat et sa compagne.

Le parquet général avait requis vendredi dernier le maintien en détention des cinq suspects.

L’accusation dit disposer de nombreux indices, notamment des écrits et la présence de cinq suspects près de lignes sabotées au moment des faits, mais reconnaît n’avoir aucune preuve formelle.

Au total, cinq femmes et quatre hommes, âgés de 22 à 34 ans, sont mis en examen dans l’enquête qui porte sur le sabotage de caténaires de plusieurs lignes TGV avec des fers à béton, le 7 novembre.

Quatre d’entre eux ont été laissés libres sous contrôle judiciaire dès le 15 novembre.

Une trentaine d’intellectuels, des personnalités de gauche et d’extrême-gauche et les habitants du village corrézien de Tarnac, où résidaient la plupart des suspects, ont lancé une campagne de soutien. Ils protestent contre les méthodes utilisées et réfutent l’utilisation de la qualification terroriste contre les suspects.

9) Dérive sécuritaire. Communiqué de la LCR.

La remise en liberté de trois des cinq emprisonnés du groupe de Tarnac par la cour d’appel de Paris ne fait que démontrer l’inanité de l’accusation de terrorisme, complaisamment colportée par les enquêteurs et le pouvoir politique. Ces arrestations à grands renforts de forces policières et très médiatisés sont un des signes d’une dérive sécuritaire et liberticide, galopante, de plus en plus affirmées.

Que ce soit la scandaleuse et brutale arrestation d’un ancien directeur de publication de Libération, Vittorio de Filippis, accusé de diffamation, que ce soit la perquisition dans un collège du Gers avec des chiens policiers qui ne peut que traumatiser de jeunes collégiens, chacun de ces événements voient les libertés publiques mises à mal. N. Sarkozy porte une lourde responsabilité en la matière.

Le discours sécuritaire, qu’il véhicule depuis plusieurs années, agrémenté d’agressions verbales, visant à stigmatiser tous ceux et toutes celles qui portent une parole différente de la sienne ne pouvait que déboucher sur une police, et parfois une justice, à son image. Fréquemment, des sans-papiers, des jeunes sont victimes des mêmes agissements dégradants dans l’anonymat le plus total.

La LCR affirme sa totale solidarité avec les victimes de ces agissements inhumains. Les libertés publiques sont menacées. Il y a urgence à se rassembler pour les défendre. Le 2 décembre 2008.


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