RETOUR SUR LE VOYAGE DU PAPE EN FRANCE (Par le Mouvement politique d’éducation populaire M’PEP)

vendredi 5 décembre 2008.
 

Le vendredi 12 septembre 2008, le pape Benoît XVI s’est rendu en France pour une visite de quatre jours pendant lesquels il s’est exprimé successivement devant des personnalités (membres du gouvernement, maire de Paris, dignitaires religieux) à l’Elysée, puis devant des représentants du monde culturel au collège des Bernardins, devant deux cents académiciens à l’Institut de France et enfin devant 170 évêques et cardinaux à Lourdes. Sans compter les messes qu’il a célébrées devant des milliers personnes.

Cette visite est l’occasion pour le M’PEP de revenir sur la prise en compte et l’analyse d’une « ligne de front » particulière qui intéresse le champ politique à plusieurs titres. Il s’agit de la confrontation entre les catholiques non-laïques et les républicains (religieux ou non).

Certes, sur cette question le M’PEP a clairement indiqué dans sa déclaration d’intention politique ses positions républicaines et laïques. Mais au-delà de grands principes philosophiques, nous sommes persuadés que se mènent sur ce terrain de nouveaux combats idéologiques et stratégiques dont l’issue déterminera durablement le fonctionnement de nos institutions, de nos services publics et même l’établissement de nos lois futures. Le M’PEP en tant que mouvement politique tient donc à préciser son orientation au regard de ce rapport de forces qui semble, à la lumière de l’actualité, évoluer de façon rapide et inédite.

1.- Offensives contre les principes philosophiques et politiques républicains

Il serait insuffisant de ne considérer dans les discours du pape que les éléments strictement stratégiques à destination des classes populaires en quête d’espoir. Les concepts philosophiques, qu’il utilise d’ailleurs avec un talent qu’on doit lui reconnaître, visent en effet aussi à séduire les intellectuels du monde scientifique et culturel. Ils n’en sont pas moins, à les reprendre dans le détail, de nature sinon à saper les principes républicains, du moins à les affaiblir ou à les rendre, par un jeu sémantique subtil, remplaçables par des substituts religieux.

Ainsi, dans son discours à destination du monde de la culture au collège des Bernardins, il est frappant de remarquer que les thèmes évoqués par le pape auraient parfaitement pu être repris dans une allocution faisant la promotion de l’émancipation de l’individu par le processus républicain. Mais bien sûr l’approche et la terminologie diffèrent !

Ainsi, la culture de la parole, du livre, n’est plus un mode d’épanouissement individuel, elle se réduit à l’outil de la recherche de l’ordre divin, à l’entrée dans « la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi ». Ainsi, la création musicale n’est plus une démarche formelle originale, individuelle. Elle devient la reconnaissance « des lois constitutives de l’harmonie de la création divine ». Ainsi la raison qui tend à se délivrer du subjectif « entraînerait l’humanité à sa perte ». Encore plus inquiétant, le travail lui-même n’exprimerait pas un mode d’organisation humaine mais il serait l’expression particulière de « la ressemblance des hommes avec Dieu ».

Notre mouvement politique s’inscrit dans une ligne républicaine. Aussi, pour nous, l’écrit, la création, la raison, le travail, ne sont pas la projection sur l’individu d’un ordre supérieur qui le dépasse et qu’ils devraient révéler. Ce sont des outils fondamentaux que l’individu doit s’approprier et qui lui permettent de dépasser sa détermination sociale et parfois même de s’en extraire.

2.- Offensives contre la loi française de 1905

Pendant sa visite en France, le pape s’est bien gardé de rallumer le conflit sur la question laïque. Il n’a pas fait l’erreur de sous-estimer le poids politique et historique de l’opinion populaire française qui est attachée à la loi de 1905. Mais nous n’oublions pas ses précédents discours et prises de position, notamment en ce qui concerne la « laïcité positive ».

De quoi s’agit-il ?

Contrairement à ce qui est écrit parfois, cette doctrine a été élaborée au Vatican. Son but est d’affaiblir le concept français de la laïcité appuyé sur la loi de 1905. En effet celle-ci représente par son ossature universelle, un modèle, une aspiration pour de nombreux peuples en proie à des théocraties obscurantistes et par conséquent une menace pour les cléricaux de tout bord.

Benoît XVI s’exprimait en 2005, lors d’un colloque sur « Laïcité et liberté » en ces termes : « Un Etat sainement laïc devra logiquement reconnaître un espace dans sa législation à cette dimension fondamentale de l’esprit humain qu’est le sens du religieux. Il s’agit en réalité d’une « Laïcité positive » qui garantisse à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique y compris dans le domaine public. »

On voit bien ici la stratégie employée. Elle est de même nature que celle de la « Laïcité ouverte » utilisée en d’autres temps. Il s’agit de jouer sur le territoire de l’expression religieuse, sur son domaine de validité. La sphère privée pour le pape et le catholicisme anti-laïque n’est pas un lieu suffisant ; il faut pour eux reconquérir le domaine public, ensuite l’ensemble des services publics et à terme, certainement, les lieux même où se définit la loi.

Mais, à ce sujet, la loi de 1905 est très précise. Elle réaffirme une liberté fondamentale, la liberté de conscience et elle en précise son domaine : hors de la sphère publique. Car dans la sphère publique l’expression religieuse est par nature inégalitaire, elle établit des catégories aux droits différenciés, elle communautarise le vivre-ensemble (le croyant et l’incroyant, l’homme et la femme, le bien-pensant et le blasphématoire, le pur et l’impur, etc.). C’est pour cela que la République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte.

Il convient donc de rester très vigilant. Le M’PEP invite tous les citoyens à garder à l’esprit que le concept de « Laïcité positive » représente une attaque intellectuelle et politique sur la loi de 1905. Face aux offensives qui ne manqueront pas de se manifester, il sera résolument aux côtés des défenseurs de cette loi.

3.- Offensives contre les institutions : le lobbying

Lors de son discours à l’Elysée, le pape a réussi le tour de force d’évoquer les piliers de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité. On pourrait s’en réjouir. Mais là encore, derrière cette apparente déférence devant les institutions françaises et leur histoire, se cache une offensive majeure contre notre modèle républicain, dont le terrain s’est déplacé vers l’ensemble des institutions européennes.

En effet, à Bruxelles, à Strasbourg, certains décideurs européens tentent, à grands renforts de directives, d’imposer un modèle de société très éloigné de notre modèle social et laïque. Ils sont aidés dans cette entreprise par José Manuel Barroso, à la tête de la Commission européenne, et par Hans-Gert Pöttering, le président du Parlement européen, tous deux très proches des milieux conservateurs catholiques.

Ainsi en 2004 M. Barroso avait accepté la candidature de Rocco Buttiglione, ministre italien des Affaires européennes, à la commission des libertés publiques du Parlement européen. Or, ce M. Buttiglione considère l’homosexualité comme un péché, le rôle de la femme exclusivement dévolu à la garde des enfants et il enseigne dans un établissement confié à l’ « Opus Dei ». La polémique l’avait heureusement contraint à refuser le poste…

Dans le même registre, le commissaire tchèque Vladimir Spidla a présenté début juillet 2008 une proposition de directive qui vise à « protéger contre les discriminations », et au nom de laquelle, d’une part, il faudrait accepter au sein des pays membres de l’Union européenne les signes religieux dans les écoles publiques (en opposition avec la loi française de mars 2004 sur les signes religieux à l’école publique), et d’autre part un étudiant homosexuel pourrait se voir en toute légalité refuser l’entrée dans une université chrétienne (comme il en existe par exemple aux Pays-Bas).

N’oublions pas que le parti le plus important au Parlement européen est le Parti populaire européen (PPE), issu de la démocratie chrétienne allemande et renforcé par des catholiques ultra venus de Pologne. Sur des questions importantes, il relaie activement les orientations de l’Eglise qui sont promues par des lobbys très actifs comme, en particulier, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE). Parmi leurs thèmes de prédilection : l’hostilité à l’adhésion de la Turquie, le temps imparti aux religions dans les médias européens, une baisse de la TVA sur les articles de puériculture parce que la famille c’est sacré ( !), complaisance avec les sectes, mention de l’héritage chrétien dans les textes officiels, etc. Et bien loin décidément de notre conception de la nécessaire séparation entre l’Eglise et l’Etat, M. Barroso organise tous les six mois une conférence avec ces « experts » auto proclamés de la liberté religieuse.

Le M’PEP invite tous les citoyens lors des prochaines élections européennes à demander aux élus la transposition au plan européen du fonctionnement laïque de nos institutions. C’est-à-dire une position résolument inflexible face à toute forme de pressions cléricales.

4.- Offensives contre les services publics : l’exemple de l’école

Ce n’est pas le lieu ici d’ouvrir le dossier très lourd de l’école en France et en particulier de la co-existence de l’école privée sous-contrat et de l’école publique. Nous savons que cette concurrence a été savamment faussée par l’activisme de la droite catholique (notamment dans des réseaux comme « Enseignement et liberté », « Créateurs d’école », « SOS éducation ») et les renoncements d’une partie de la gauche : des fonds publics pour les deux, certes, mais des moyens insuffisants pour l’école publique et le droit à la sélection réservé à l’enseignement privé. Le but de cette opération, nous le connaissons aussi : faire perdre à l’école publique son crédit politique et social, qui était pourtant très important il y a encore moins de trente ans auprès des classes moyennes et populaires, et par là même ouvrir aux opérateurs privés le marché colossal de l’éducation. Le M’PEP sera bien sûr partie prenante du combat qu’il faudra mener contre cette évolution délétère.

Mais ce qui doit nous faire réagir à l’occasion de cette grand-messe médiatique et pontificale, c’est la convergence d’intérêt qui existe, dans le domaine des services, entre l’offensive libérale et l’offensive cléricale. Ainsi certains évêques, comme celui d’Avignon, saisissent ce nouveau rapport de forces comme une aubaine et, confortés dans leur démarche par un discours pontifical résolument réactionnaire, invitent les établissements privés catholiques à re-confessionnaliser leur enseignement et à faire ouvertement acte de prosélytisme. Il s’agirait bien là indirectement d’un contournement de la loi de 1905 : l’Etat et les collectivités locales financeraient du prosélytisme religieux par service public interposé.

C’est dans cette configuration que le M’PEP s’oppose à la logique gouvernementale du plan « Espoir Banlieues ». Celui-ci, porté par Fadela Amara dont le poste de secrétaire d’Etat est placé sous la tutelle de Christine Boutin, prévoit d’encourager « la contribution de l’enseignement privé catholique à l’égalité des chances » ainsi que la création d’un Fonds spécifique destiné à l’implantation de lycées privés catholiques dans les quartiers populaires au moment même où sont supprimés plus de 11 000 postes d’enseignants dans le public et notamment en ZEP (et au moins autant pour la rentrée 2009).

5.- Offensives sociétales

Parce que nous sommes laïques, nous reconnaissons évidemment à l’Eglise catholique et à son pape le droit de s’exprimer librement, d’organiser des manifestations publiques et de concevoir à sa manière son « éducation populaire » par des réseaux et des méthodes conformes à la loi républicaine. Nous avons aussi conscience que la plupart des catholiques, surtout en France, sont attachés à la laïcité et sont éloignés des positions radicales et intégristes de Benoît XVI, de son hostilité à l’œcuménisme et à l’esprit moderniste de Vatican II. Mais, opposés idéologiquement à la plupart des positions qui sont tenues par les dignitaires actuels de cette Eglise, nous invitons nos concitoyens à en faire une analyse critique sans complaisance à repérer les structures qui les portent et à contrecarrer point par point leurs effets politiques.

Les bras armés du fondamentalisme catholique

A seule fin de propager un mélange d’intégrisme catholique et d’idéologie sanctifiant le travail sur un mode ultra-libéral, les dirigeants de l’Eglise actuelle s’appuient sur des mouvements sectaires. Les deux principaux sont « Les Légionnaires du Christ » et l’« Opus Dei ».

La première de ces sectes a été fondée au Mexique, elle est présente dans 20 pays principalement en Amérique latine où elle mène une lutte contre la théologie de la libération et aux USA. Elle compte 500 prêtres, 2 500 séminaristes, 65 000 membres et gère 12 universités et près de 200 lieux de formation. Son implantation est encore faible en France mais elle dirige par l’intermédiaire de sa branche laïque Regnum Christi entre autres « le Chantier » (Paris XII), le centre « Flambeau » (Paris), le centre Esplanade (Roubaix), le Club Altior (Boulogne-Billancourt)…

Ses méthodes très particulières d’enrôlement de la jeunesse ont valu à ses prêtres des centaines de procès pour viols sans que cela remette en cause le moins du monde sa caution pontificale. Elle a témoigné devant l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) contre la laïcité française.

La deuxième est née en Espagne en 1928 où elle a prospéré sous Franco mais aussi au Chili sous Pinochet. Actuellement, le gros de ses troupes (85 000 membres environ) a été recruté via son réseau éducatif et professionnel comportant 15 universités, 7 hôpitaux, 11 écoles de commerce, 36 écoles, 97 établissements d’enseignement technique et 170 résidences universitaires. Son fondateur, Josemaria Escriva de Balaguer a été canonisé en 1992 par Jean-Paul II et Benoît XVI a accepté de devenir docteur honoris causa d’une des universités phares de l’ « Opus Dei » à Pampelune. Ses trois thèmes de prédilection : l’anti-communisme, l’opposition à l’émancipation des femmes et l’opposition au courant de pensée laïque. Tout un programme !

En Espagne, le gouvernement franquiste de 1973 comptait douze ministres opusiens sur dix-neuf. En 1982 près de soixante députés espagnols étaient membres de l’Opus Dei. Le 18 juin 2005 elle est aux commandes de la grande manifestation de protestation contre le mariage des homosexuels, par le biais du Forum espagnol de la famille, lui-même dirigé par le Conseil pontifical pour la famille présidé par un opusien.

En Angleterre, leur implantation est freinée par le poids de l’Eglise anglicane mais la ministre des Transports de Tony Blair était opusienne.

En France, elle gère l’école hôtelière Dosnon à Couvrelles en Picardie. Elle a orchestré les mouvements contre le droit à l’avortement, le droit à l’euthanasie et le PACS aussi bien au Parlement que dans la rue. De nombreux membres du gouvernement Sarkozy, dont Christine Boutin, sont proches de l’Opus Dei qui décline par ailleurs son action dans de nombreuses associations « filiales » comme « Evangile et société », « Cité catholique », « Liberté politique », etc.

L’ordre moral

Sans développer ici ces questions qui pourraient, à elles seules, être l’objet de très longs développements, le M’PEP invite les citoyens à repérer les différents « fronts » sur lesquels les intégrismes religieux cherchent à reprendre la main dans l’espace public en imposant un nouvel ordre moral. Ils concernent généralement la condition féminine, qui reste un bon « marqueur » du degré de laïcité d’une société. On citera donc la remise en question du droit à l’avortement, notamment par le biais du statut de l’embryon, du droit au divorce (Espagne, Portugal…) mais aussi de la liberté d’expression journalistique ou littéraire et de la liberté d’expression artistique (par le biais de la censure au nom du caractère blasphématoire d’une oeuvre). Parallèlement, on aurait tort de sous-estimer les progrès de l’idéologie créationniste aussi bien aux USA qu’en Europe où elle commence à bénéficier de l’appui de certains médias ainsi que du financement de fondations américaines.

6.- Un allié précieux du cléricalisme catholique : le chanoine de Latran

Vendredi 12 septembre 2008, Benoît XVI a donc été reçu à l’Elysée pour un entretien avec le chef de l’Etat.

Le M’PEP aurait préféré qu’en cette circonstance l’Etat français accorde moins de solennité et de fastes à cet événement en se rappelant que le statut étatique du Saint-Siège n’est qu’un reste anachronique des Etats monarchiques d’antan qui ne mérite pas l’enthousiasme spontané et inconditionnel d’une démocratie. Il rappelle à cette occasion que le chef d’Etat Benoît XVI, comme son prédécesseur, utilise essentiellement son siège d’observateur permanent à l’ONU pour faire reculer tout programme en faveur de la planification familiale, de droit des femmes et de lutte contre le sida.

Ainsi les frais de réception et de transport de la délégation, les 30 unités de gendarmes et de CRS (à Lourdes et à Paris), les 100 000 euros débloqués par Michèle Alliot-Marie pour la rénovation du stade de Lourdes auraient certainement pu trouver une autre utilité en ces temps où le gouvernement justifie sa politique anti-sociale par la nécessité d’assainir les fonds publics.

Mais c’est surtout l’occasion pour le M’PEP de revenir sur la position de N. Sarkozy vis-à-vis de la question religieuse.

Il est difficile en effet de ne pas avoir remarqué à quel point le discours catholique radical a trouvé depuis quelques années en N. Sarkozy un allié de choix. Que ce soit dans son livre de 2004 (La République, les religions, l’espérance) ou dans ses différents discours (de Latran au Vatican en 2007 ou à Ryad en Arabie saoudite), le chef de l’Etat a adopté à l’égard de l’Eglise catholique une attitude en rupture avec celle de ses prédécesseurs.

Quels en sont les grands traits ? Le M’PEP les présente ici dans leur enchaînement logique (les passages en italiques sont extraits de discours de N. Sarkozy).

Une instrumentalisation politique de l’histoire de France

L’histoire est une discipline complexe et passionnante, et au M’PEP nous sommes convaincus que toute approche sérieuse de la question politique doit impérativement s’appuyer sur une connaissance précise des idées qui ont traversé les siècles et qui structurent encore aujourd’hui les rapports de force de nos sociétés. Mais, à ce titre, nous récusons toute forme « d’histoire officielle » qui enfermerait la représentation du passé dans des schémas simplistes et réducteurs.

Ainsi, lorsque N. Sarkozy, dans des discours officiels, parle de Clovis comme « du premier souverain chrétien », lorsqu’il salue dans l’œuvre de Louis IX (canonisé et connu sous le nom de Saint-Louis) « la signification morale de portée universelle », lorsqu’il ne retient vis-à-vis de la loi de 1905 que « les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques » et pire encore lorsqu’il voit dans le siècle des Lumières l’origine des idéologies dans lesquelles « l’Europe s’est fourvoyée », nous sommes fondés à dire notre inquiétude légitime. Rappelons que les « inventaires » servaient seulement à permettre l’application de la loi de 1905, car à partir du 1er janvier 1906, les biens ecclésiastiques restaient dans les églises tout en appartenant à l’Etat, et les biens acquis par l’Eglise lui appartenaient en propre. Ces propos sont donc partiels, partiaux et reprennent presque mot pour mot des éléments de la pensée dogmatique du catholicisme élaborés au Vatican depuis Jean-Paul II.

Mais poursuivons le raisonnement du chanoine :

Un modèle : « La théorie du choc des civilisations »

Cette présentation historique n’est pas anodine. Elle sert à cautionner une doctrine plus générale qui est celle du « Choc des civilisations » formulée par S. Huntington et selon laquelle les nouvelles lignes de fracture entre civilisations sont religieuses. Selon cette doctrine, l’Occident chrétien serait menacé de déclin, il devrait s‘assumer, réagir et repartir en « croisade ». La France devrait en particulier préserver son identité au sein d’une « grande famille occidentale ».

La volonté de re-confessionnaliser la société

Et pour ce faire, la France devrait organiser le retour du religieux dans la société. Car le fait religieux serait le seul fait universel. Lui seul serait à la base de « la morale universelle, de la valeur universelle de la liberté et de la responsabilité… ». Il faudrait donc que « les cultes soient mieux représentés dans les instances officielles ».

L’affaiblissement du modèle républicain

Cette re-confessionalisation devrait venir se substituer au modèle républicain qui ne serait plus opérant. Car « Jamais l’instituteur ne pourra remplacer le curé ou le pasteur ».

Modifier la législation

Mais ce processus se heurte à la législation laïque et républicaine française, il faut donc s’y attaquer. D’une part en reprenant la lumineuse idée papale de « Laïcité ouverte » (« J’en appelle à une laïcité positive, une laïcité qui respecte, qui rassemble, qui dialogue ») en reconnaissant les communautés religieuses comme des interlocuteurs de premier plan avec l’exécutif (comme l’UOIF), et en proposant de « toiletter » la loi de 1905. Ce dernier point a été l’objet du rapport Machelon, commandé en 2006 par N. Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, qui prévoit entre autres d’autoriser les communes à subventionner les lieux de culte, de favoriser la délivrance de reçus fiscaux par les associations cultuelles, et l’extension du concordat d’Alsace-Moselle à l’islam alsacien et mosellan.

Face à cette stratégie, le M’PEP appelle de nouveau à une vigilance laïque sans concessions.

Pour le M’PEP, la théorie du « choc des civilisations » ne résiste pas à l’analyse. Elle entretient la confusion entre civilisation et religion, ce qui est extrêmement contestable. Elle stigmatise comme un bloc homogène et une menace la « civilisation islamique » en regroupant des pays et des peuples aussi divers dans leur fonctionnement politique et social que les Arabes, les Turcs, les Musulmans d’Indonésie etc. Ensuite, elle ne peut évidemment rendre compte de l’extrême complexité des intérêts économiques et politiques en jeu dans les conflits modernes (par exemple la guerre Iran–Irak entre deux pays islamiques, le conflit Tchétchène instrumentalisé par le pouvoir russe et les mafias, le conflit du Soudan où se jouent des intérêts géostratégiques, etc.). Enfin elle expliquerait difficilement le soutien financier et militaire apporté par les USA à l’Arabie saoudite connue entre autre pour sa théocratie islamique obscurantiste et pour avoir hébergé Al Caïda. Car dans ce cas la religion commune qui détermine les affinités est celle du « Dieu-pétrole »… Pour résumer, nous ne voyons dans cette pseudo-théorie qu’un prétexte pour justifier l’établissement d’un ordre sécuritaire parfaitement conforme aux intérêts libéraux, comme les USA nous en ont montré l’exemple chez eux depuis le 11 septembre 2001.

Pour le M’PEP, même si nous respectons dans la sphère privée la recherche individuelle de la transcendance et du divin, l’universel en politique n’est pas à relier au religieux. L’universel s’exprime dans les principes républicains, dans les institutions qui les portent et les services publics qui les traduisent dans la réalité de la vie de nos concitoyens. Pour nous, le mal des banlieues n’est certainement pas d’être devenues des « déserts spirituels » mais plutôt d’avoir été désertés par l’emploi et les services publics. Pour le M’PEP, le curé, le rabbin, le pasteur ou l’imam ne pourront jamais remplacer le juge, l’instituteur, le travailleur social ou le policier. Enfin, comme il a été déjà dit, le M’PEP est attaché à une laïcité sans adjectif, dont l’esprit est parfaitement énoncé dans la loi de 1905 que nous ne voulons voir modifier en rien.

7.- Un point de vue général

D’une façon générale, le M’PEP invite tous les citoyens à repérer la convergence d’intérêts qui existe entre l’ordre clérical incarné par Benoît XVI et l’ordre néolibéral dont N. Sarkozy est un zélé représentant. Les néolibéraux ont parfaitement conscience que leur politique crée un malaise social, une forme de désespoir principalement bien sûr dans les classes moyennes et populaires. Cette perte de confiance dans l’avenir est potentiellement une source d’instabilité sociale qui les inquiète. Pour la résorber, restaurer l’ordre moral par les communautés religieuses est, à leurs yeux, le plus efficace et le… moins coûteux !

Il s’agit pour eux de reproduire le modèle anglo-saxon et de s’appuyer sur l’ordre communautaire en lieu et place de l’ordre républicain. Pendant que le jeune juif et le jeune musulman sont en quelque sorte occupés à se vouer une hostilité réciproque, ils ne prennent pas conscience qu’ils sont les victimes d’un même ordre économique qui refuse de leur accorder une place dans la société par une éducation performante et un travail justement rémunéré. La façon dont N. Sarkozy a géré la crise des banlieues de 2005 est, en ce sens, très symptomatique.

C’est donc à la lumière de cette grande tendance qu’il faut maintenant lire l’orientation nettement cléricale qui transparaît dans les discours de N. Sarkozy et dans les décisions de son gouvernement.

Pour ensuite, bien sûr, mieux les combattre.


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