Je rentre du congrès du Parti Communiste

samedi 20 décembre 2008.
 

Il neigeait sur Paris. Je pensais à ce que j’avais vu. Pendant ce temps, le métro cahotait. Je faisais le bilan de la journée avec Eric Coquerel, le secrétaire national aux relations extérieures du Parti de Gauche. Autour de nous les gens parlaient des course de Noël ! Bon. Faisons le bilan.

Tout ce que disent et discutent les communistes nous concerne, pour peu qu’on soit de gauche. Tout simplement parce que ce dont ils traitent c’est de la vie , la terrifiante crise qui s’avance, la politique pour changer l’ordre injuste des choses. Vu ? ça n’a rien à voir avec leurs scores aux élections, le bilan de l’Union soviétique et ainsi de suite. C’est de la pensée.

Un chapitre particulier de leur discussion nous implique. Impliquer c’est plus fort que concerner. C’est le chapitre sur les élections européennes et la stratégie du PCF à ce propos. Et les congressistes communistes ont délibéré. Incroyable Parti Communiste. Ils votent ligne à ligne (elles sont numérotées), page par page, amendement par amendement avec des boitiers de vote. Ca dure. Mais pas trop. Mais quand même. Un pour, un contre, pour chaque amendement ! Donc il faut être patient. Il leur faut trois jours pour venir à bout de leur texte…

Cela peut faire sourire. Moi ça me stupéfie. Rien à voir avec l’incroyable foire qu’est un congrès socialiste où trois mille personnes parlent en même temps pendant que défilent à la tribune des rangées de camarades qui font des vocalises. J’ai terriblement pratiqué et aimé ça. Mais en voyant ces communistes, leur « ruches », leurs amendements et leurs votes ligne à ligne, j’étais pétrifié. Comme par un retour au réel. A la pudeur après l’obscénité. Si j’étais encore membre du PS je courrai dire aux camarades ce que j’ai vu. « Camarades, vous êtes devenus fous ! Un congrès appartient aux congressistes » Bon.

Je perdrai mon temps, je le sais bien. Les socialistes se fichent totalement de leurs propres textes. Ils ne les lisent pas. Même quand ils les signent. A la suite de cette introduction je vais vous faire lire ce qu’en écrit le bulletin de Julien Dray, à propos du dernier « texte d’orientation » du conseil national du PS. Même « Libération », qui fonctionne souvent (mais pas toujours, et je citerai des noms le jour où je voudrai leur nuire) comme l’organe central de la droite du PS, avait trouvé ce Conseil National nul à pleurer. Même eux n’en peuvent plus ! Mais les socialistes se fichent tellement des textes qu’ils ne se donnent même plus la peine de traduire ceux qu’ils signent en anglais. En anglais ! Ca ne les dérange pas. En fait ils doivent avoir honte de ce qu’ils signent. Donc ils ne le traduisent pas.

Donc les prolétaires qui le souhaitent peuvent aller lire le texte du communiqué des sociaux démocrates réunis à Madrid sur le site de leur parti préféré… en anglais. Ca les respecte ! Ils sont traités comme des cadres supérieurs du PS. Ils lisent l’anglais. Un jour ils arriveront eux aussi à penser en anglais et ce sera le paradis libre et non faussé. « L’Europe c’est important, c’est vital, c’est un projet en soi » et gna gna ! En anglais. Je publie donc aussi à la suite. Quelqu’un fera l’effort de traduire ça pour nous ?

Bon les communistes ont voté à plus de soixante dix pour cent en faveur de la ligne qui propose un Front de gauche aux élections ; ça c’est le fait politique du week-end. Mais comme ils sont plus forts en discussion qu’en médias, les communistes ont oublié de dire quel était l’objet de leur congrès. Quel en était le but ? Donc ils se sont mis à la merci du premier venu capable de fournir un sujet médiatique aux médias. Suivez mon regard. Un bon sujet médiatique est : « le PC est mort, la preuve ce sont des communistes qui le disent ». Et ainsi de suite. Gardons notre sang froid. Ca dure juste quelques heures. Puis revient la parole au terrain. Ca nous laisse une chance de nous faire entendre au contact. Juste pour dire qu’il existe enfin une alternative à la droite et aux sociaux démocrates libéraux. Le front de gauche des communistes et du parti de gauche. Un front ouvert, bien sûr. Incomplet, bien sûr. Mais un Front. Il existe vraiment. C’est un point d’appui vital ; ça va fonctionner. Les rieurs vont changer de camp !

Jean Luc Mélenchon


Et voici ce qu’écrit le bulletin de Julien Dray, l’ancien porte parole du PS à propos du texte du Conseil national du PS.

« Le conseil national de samedi dernier a mis un terme au congrès de Reims. Pour que ce terme soit positif et permette de relancer une dynamique de travail collective, il fallait que l’expression qui en découle – le texte d’orientation de la nouvelle direction – soit lui-même un modèle, et de la méthode, et de l’orientation politique, à suivre pour les prochaines années. Force est de constater qu’il échoue sur les deux tableaux. Pire encore : il constitue une régression notable par rapport à ce que le parti avait produit ces dernières années. Et un démenti flagrant à la volonté proclamée de rassemblement de Martine Aubry et des camarades qui la soutiennent.

Passe la forme, la graphie – les nombreux coquilles, fautes d’orthographe et autres anglicismes, que certains camarades ont sévèrement pointés, et qui sont sans doute à mettre sur le compte de la précipitation qui a présidé à l’élaboration de ce manifeste. Même si il aura fallu attendre l’ouverture du conseil national, samedi matin, pour qu’il soit diffusé aux membres des instances nationales du PS !

Passent encore les facilités oratoires nombreuses, les satisfécits vagues, les exhortations velléitaires, les condamnations morales, qui donnent l’impression, à tort ou à raison, de témoigner de l’impuissance de ceux qui les profèrent, ou de leur incapacité à formuler clairement une position sur un sujet donné. A ce titre, on aurait sans doute pu se passer de l’évocation de « défis sans précédents dans l’histoire de l’Humanité », de l’appel à une « transformation réelle et profonde » de la République, à une « politique de l’immigration humaine et digne », sans beaucoup plus de précisions. On aurait pu s’abstenir aussi de proclamer solennellement, et non sans un certain ridicule, que « le moment est venu que se lève une nouvelle génération d’hommes et de femmes de gauche », ou d’asserter doctement que « la rénovation doit être profonde » – surtout pour conclure quelques lignes plus loin sur les bénéfices d’un « parti campé sur ses valeurs de toujours » ! On aimerait quand même savoir ce que sont « des réformes audacieuses », même si on apprécie l’audace. On espère qu’on ne peut pas « combattre la droite » autrement que « vigoureusement ». Pour tout dire, si on aime bien la « nouveauté », on persiste à penser qu’elle ne constitue pas un qualificatif si définitif qu’il suffise de le placer plusieurs dizaines de fois dans un texte pour en garantir la qualité.

Passent donc ces défauts de forme, même si, à force de s’accumuler, ils finissent par grever le fond. En particulier, il est difficile de ne pas être préoccupé par l’incapacité de ce texte à définir autrement sa vision du socialisme du XXIème siècle que par une formule au contenu pour le moins imprécis : « un socialisme de gouvernement clairement ancré à gauche ». Ou par des slogans dans l’air du temps, laborieuse tentative de calquer les tics de langage de l’UMP – le « socialisme décomplexé ».

On aurait pu faire l’impasse sur tout cela, si la vision développée dans ce manifeste avait été prometteuse, « ambitieuse », pour reprendre un adjectif qui y est souvent utilisé. Mais ce ne sont pas précisément ces qualités qui frappent d’abord le lecteur. C’est l’impression désagréable de lire une compilation, plate et atténuée, de tout ce que le parti socialiste a pu faire de convenu ces dernières années. L’impression, pour être précis, de tourner en rond, de ne pas échapper à une pensée sans doute pleine de bonnes intentions, mais déjà dépassée – et pour cause, puisqu’elle a accompagné nos derniers échecs aux élections nationales. Soyons honnêtes, cette impression de doux ronronnement quelque peu soporifique est parfois démentie – mais non pas pour de bonnes raisons.

L’attention du lecteur est soudain alertée quand, parvenu au chapitre, quand même cardinal, des relations internationales, il lit une longue envolée sur la nécessité pour l’Europe de « faire entendre une voix forte contre l’unilatéralisme américain et son discours de choc des civilisations », autrement dit de s’opposer au bushisme … plus d’un mois après l’élection d’un certain Barack Obama à la Maison Blanche. Ce président des Etats-Unis qui est prêt à entamer des discussions avec l’Iran. On sait gré à la nouvelle direction du PS de ne pas céder à l’emballement parfois irrationnel de l’obamania. Mais avouons qu’à ce degré de sang-froid, on n’est pas loin de l’autisme pur et simple … L’attention du lecteur est à nouveau sollicitée quand il se rend soudain compte de grands absents, expédiés en une ou deux phrases : la culture, uniquement évoquée comme « dimension essentielle de notre projet », ou encore l’enseignement supérieur et la recherche, convoqués de manière périphérique sur leur apport à la croissance et la seule question de leur démocratisation.

Admettons, enfin, que l’on tolère les coquilles, le style alternativement emphatique et technocratique, les insuffisances sur l’éducation et la culture, les bourdes sur l’international. Admettons. On n’en serait pas moins en droit d’attendre une grande pertinence, une puissance de proposition inattaquables dans le domaine économique et social. Cette direction ne se revendique-t-elle pas de la « vraie gauche » du parti ? Le lecteur indulgent se concentre donc sur ces volets du texte. Mais il n’est pas certain que son indulgence résiste longtemps à cette dernière épreuve. Car il devra s’infliger la douteuse opposition entre « économie réelle » (le bien) et finance (le mal), comme si le patron de « PME », parangon (dans ce texte) de la première, était toujours un apôtre de la question sociale, comme si par ailleurs on pouvait imaginer une économie de marché sans capitaux ! Il se confrontera, surtout, à la régression politique majeure que constitue le retour à une vision misérabiliste d’un monde coupé en deux, entre les inclus, et les exclus – dont le PS doit exclusivement s’occuper. C’est ainsi que l’on parle de politique salariale sans proposer autre chose que l’augmentation du SMIC ou la « revalorisation des petites retraites ». C’est ainsi, surtout, que l’on tombe dans le piège grossier qui nous est tendu par la droite, en délaissant totalement les classes moyennes, sans chercher à créer une vision de la société qui rétablisse leur alliance objective avec les classes les plus démunies.

Mais ce n’est pas tout. Ce qui décourage définitivement le lecteur le mieux attentionné, le plus ouvert, de valider ce texte, c’est sa destination véritable, qui apparaît progressivement au fil de la lecture, et qui explique peut-être d’ailleurs pourquoi tant de thématiques sont bâclées. Cette destination est limpide : c’est l’empêchement. Ce texte a été écrit pour empêcher une certaine catégorie de socialistes de le voter. D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, il ne devient précis et anguleux que quand il s’attache à des positions inverses de celles de la motion E. Tout y passe : les critiques voilées contre la supposée présidentialisation du parti (« le débat argumenté plutôt que la démarche personnelle ») ; la réactiva­tion de l’opposition stérile entre parti de militants et parti de supporters (« nous n’admettrons pas de voir notre parti […] au service d’une candidature ») ; le refus de l’allègement du prix de la cotisation ; le refus proclamé de toute alliance avec le MoDem (tout en précisant de manière ambiguë que ce parti prône « aujourd’hui » une politique économique et sociale opposée à la nôtre, sans aller jusqu’au bout de ce qu’implique cet aujourd’hui). On ne reviendra pas sur ce qu’a de comique cette vertueuse interdiction, au regard des alliances pratiqués ça et là par ses propres promoteurs.

(…) Curieux objet que ce texte qui fait le choix formel de l’inventaire, plutôt que de se concentrer sur quelques points nodaux d’un projet d’ensemble, et qui échoue en définitive à être détonnant, conquérant, ou même simplement un tant soit peu précis et convainquant, sur la grande majorité des sujets abordés.(…).


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message