4 août 1914 : Discours de Léon Jouhaux (CGT) lors de l’enterrement de Jaurès

samedi 6 août 2011.
 

Devant ce cercueil où gît froid, insensible désormais, le plus grand des nôtres, nous avons le devoir de dire, de clamer avec force, qu’entre lui et nous, classe ouvrière, il n’y eut jamais de barrière. On a pu croire que nous avions été les adversaires de Jaurès. Ah ! Comme on s’est trompé ! Oui, c’est vrai, entre nous et lui, il y eut quelques divergences de tactique. Mais ces divergences n’étaient, pour ainsi dire, qu’à fleur d’âme. Son action et la nôtre se complétaient. Son action intellectuelle engendrait notre action virile. Elle la traduisait lumineusement dans les grands débats oratoires que soulevaient, dans les pays, les problèmes sociaux. C’est avec lui que nous avons toujours communié.

Jaurès était notre pensée, notre doctrine vivante ; c’est dans son image, c’est dans son souvenir que nous puiserons nos forces dans l’avenir.

Passionné pour la lutte qui élève l’humanité et la rend meilleure, il n’a jamais douté. Il a rendu à la classe ouvrière cet hommage immense de croire à sa mission rénovatrice. Partisan du travail, il était pour l’activité, estimant que même dans ses outrances l’activité recèle toujours des principes bons.

Penché sur la classe ouvrière, il écoutait monter vers lui ses pulsations, il les analysait, les traduisait intelligiblement pour tous. Il vivait la lutte de la classe ouvrière, il en partageait les espoirs. Jamais de mots durs à l’égard des prolétaires. Il enveloppait ses conseils, ses avertissements du meilleur de lui-même.

Sa critique, aux moments de difficile compréhension, à ces moments où l’action déterminée par les nécessités de la vie rompt brusquement avec les traditions morales et où il faut pour saisir avoir vécu ces nécessités, se faisait tendre, s’entourait de toutes les garanties de tact et de sincérité, pour ne pas froisser ceux qu’il savait ardemment épris de leur indépendance.

C’était le grand savant humain qui se penchait plus encore anxieux, hésitant à formuler son jugement, ayant peur, par un mot qui choque, d’arrêter ne fut-ce qu’une minute ce gigantesque travail d’enfantement social.

Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. [1]

Cette guerre, nous ne l’avons pas voulue, ceux qui l’ont déchaînée, despotes aux visées sanguinaires, aux rêves d’hégémonie criminelle, devront en payer le châtiment.

Source :

— « A Jean Jaurès », Discours prononcé aux obsèques par Léon Jouhaux, Paris, La Publication sociale, 1915, pages 6-7 ;


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