L’occupant définit les règles et juge (journal israélien Haaretz)

samedi 2 septembre 2006.
 

Rue Jabotinsky à Jérusalem, face à la résidence présidentielle, une plaque, pas très grande, est fixée sur une grille fermée derrière laquelle se trouve un vaste bâtiment avec un charmant jardin : « Dans ce bâtiment était installé la cour militaire suprême du gouvernement du mandat britannique. C’est ici qu’ont eu lieu les procès des combattants des organisations juives clandestines - Hagana, Etzel et Lehi ».

Cette plaque est ornée des emblèmes de la municipalité de Jérusalem et des trois organisations clandestines. Il y est encore écrit : « Les combattants des organisations clandestines refusèrent de reconnaître l’autorité du tribunal à les juger et exigèrent d’être reconnus comme prisonniers de guerre ».

Or, le Président du parlement palestinien, Aziz Doueik, que les forces israéliennes ont arrêté il y a une quinzaine de jours, a lui aussi refusé de reconnaître l’autorité du tribunal militaire israélien à le juger. C’est apparemment ce que déclareront également les deux dernières personnes arrêtées dont Israël a décidé que la détention était la réponse adéquate devant son impuissance dans l’affaire de la libération de son soldat enlevé, Gilad Shalit. Nasser A-Din A-Shaer, Ministre palestinien de l’enseignement et vice-premier ministre, et Mahmoud Ramahi, secrétaire général du parlement palestinien, ont été arrêtés samedi et dimanche. Signalons en passant que depuis peu, les Palestiniens ont cessé d’utiliser le verbe « arrêter » pour parler de l’arrestation de Palestiniens par des soldats israéliens, et lui substituent le verbe « enlever ».

Ces trois personnes arrêtées/enlevées ont rejoint la dizaine de milliers de détenus et prisonniers palestiniens. Comme pour les membres des organisations clandestines juives gardés prisonniers, qui se considéraient comme des prisonniers de guerre sans rapport avec leurs actes (assassinat de soldats britanniques ou de civils arabes), il y a des Palestiniens qui exigent que leurs prisonniers soient reconnus comme prisonniers de guerre. D’autres préfèrent la qualification de prisonniers politiques. Laissons là les définitions. De toute façon, depuis l’infraction jusqu’à l’emprisonnement, Israël, en tant que puissance occupante, joue comme il veut avec les définitions.

Dimanche, à quatre heures et demie du matin, des soldats de l’armée israélienne ont ouvert le feu sur un ouvrier de 26 ans, Jalal Odeh, le tuant et blessant encore trois civils palestiniens. Cela s’est passé non loin du barrage de Hawara, au sud de Naplouse. La « scène du crime », lit-on dans les journaux palestiniens. Les jeunes gens se déplaçaient en taxi sur des chemins contournant les barrages. Cela fait plusieurs semaines que l’armée interdit de nouveau aux jeunes de moins de 32 ans de sortir de Naplouse. Mais les gens ont besoin de gagner leur vie et c’est par milliers qu’ils cherchent les petits chemins dérobés. Une infraction passible de la peine de mort, semble-t-il. Les soldats ont agi comme plaignants, juges et bourreaux. Selon les règles de l’occupation, lorsque des soldats tuent des civils palestiniens, ils ne sont, ni eux ni ceux qui les envoient, jamais des criminels, ni des suspects, ils ne sont ni accusés, ni condamnés. Le commandant de régiment qui fixe l’âge de ceux qui peuvent sortir de la prison qu’est Naplouse, ne peut, du fait même de son appartenance à l’armée de défense, être criminel, suspect, accusé ni condamné.

Lorsqu’un Palestinien tue un Israélien - soldat ou civil - son nom, sa photo et les détails de son acte d’accusation seront aussitôt diffusés. Il sera automatiquement condamné à la prison à vie et le chef de son gouvernement ou le dirigeant de son organisation sera tenu pour responsable et pourra dès lors être la cible d’une arrestation ou d’un attentat. Les soldats qui tuent des civils palestiniens s’abritent sous le large tablier de l’armée d’occupation. Leurs noms ne seront pas connus du public et leurs commandants ainsi que le chef de leur gouvernement ne seront pas tenus pour responsables.

Les détenus palestiniens sont conduits devant un tribunal militaire : cette même structure militaire qui occupe, détruit, opprime la population civile, décrète que résister à l’occupation - y compris par des manifestations populaires ou en hissant des drapeaux, et pas seulement en tuant ou en transportant des armes - constitue un crime. C’est cette même structure militaire qui lance des poursuites judiciaires et qui juge. Ses juges sont dévoués aux intérêts de la défense de l’occupant et du colon.

Chaque Palestinien est soi-disant jugé, condamné et emprisonné en tant qu’individu ayant commis un acte criminel. Mais une discrimination flagrante dans les conditions de détention démontre que le prisonnier de sécurité palestinien est puni non pas à titre individuel mais comme représentant d’un groupe, dans le cadre de l’oppression générale à l’encontre de celui-ci. En violation du droit international, une majorité décisive des prisonniers et détenus palestiniens ne sont pas emprisonnés en territoire occupé mais en Israël. Contrairement à la légende, Israël ne respecte pas le droit à des visites, fixes et régulières, par les familles. L’armée fait tout ce qu’elle peut pour désorganiser l’aménagement des visites, par diverses justifications techniques et sécuritaires. Seuls des proches au premier degré (parents, frères, sœurs et enfants) sont autorisés à rendre visite aux prisonniers mais des centaines d’entre eux n’ont eu droit à aucune visite depuis plusieurs années. Le droit d’utiliser quotidiennement un téléphone est accordé aux prisonniers de droit commun, même les plus dangereux d’entre eux, mais est refusé aux prisonniers de sécurité palestiniens, dont des civils et des habitants d’Israël. Et cela, pour des motifs de sécurité à la fois vagues et non convaincants avancés par les services de sécurité qui disposent de systèmes d’écoute perfectionnés et efficaces. Le chemin de la réduction de peine et de l’amnistie s’ouvre devant le Juif (en particulier si c’est un colon) et est presque hermétiquement fermé devant le Palestinien.

Rien d’étonnant à ce que des Palestiniens soutiennent tout acte - comme l’enlèvement de soldats - qui cherchera à briser les règles de ce jeu discriminatoire. Tout détenu palestinien illustre par son histoire personnelle la liberté qu’Israël s’octroie d’implanter une sous-culture extrémiste, fanatique, de double standard, de distinguo entre un sang et un sang, entre un homme et un homme, entre un peuple et un peuple.

Amira Hass

Haaretz, 23 août 2006


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