Gaza : La vie et la mort de mon père (Par Fares Akram, journaliste The Independent à Gaza)

jeudi 8 janvier 2009.
 

L’appel téléphonique est arrivé vers 16h20, samedi. Une bombe a été larguée sur la maison de notre petite exploitation agricole qui se trouve au nord de la Bande de Gaza. A ce moment-là, mon père marchait depuis la barrière de la ferme. C’était notre endroit chéri, cette ferme et sa maison blanche à deux niveaux, avec son toit rouge. Nichée dans une plaine fertile au nord-ouest de Beit Lahiya, elle avait des vergers de citronniers, d’orangers et d’abricotiers, et nous avions récemment acquis 60 vaches laitières...

Mais très peu de temps avant le coucher de soleil, dimanche, alors que les fantassins et les chars israéliens envahissaient Gaza au prétexte de fermer les sites de tirs de roquettes du Hamas, la tranquillité de cet endroit a volé en éclat et la vie de mon père s’est éteinte à l’âge de 48 ans. Des avions et des hélicoptères de combat sont arrivés en grand nombre, bombardant et tirant pour ouvrir l’espace aux chars et aux forces terrestres qui suivaient dans l’obscurité. Ce fut l’une de ces attaques aériennes par les F-16 qui a tué mon père.

La maison a été réduite en miettes et il ne restait pas grand chose de papa. « Juste un tas de chair », a dit plus tard, avec une honnêteté brutale, mon oncle, qui l’a retrouvé dans les gravats.

Comme la plupart des Gazéens, ma mère, mes sœurs, ma femme – qui est enceinte de neuf mois – et moi-même avons passé la dernière semaine du massacre israélien, blottis dans notre appartement en ville. Mais mon père avait décidé de rester à la ferme ; il savait qu’il serait impossible d’y retourner pour s’occuper du bétail, si l’invasion prévue commençait. Mais il nous appelait tous les jours.

La dernière fois que je l’ai vu, c’était jeudi, lorsqu’il a amené de l’argent et un sac de farine. Nous avons discuté de la naissance imminente de mon premier enfant et comment nous conduirions ma femme, Alaa, à l’hôpital au milieu des bombardements et du chaos. Bien sûr, le samedi soir il n’y avait aucun espoir d’obtenir qu’une ambulance se rende à la ferme, parce que les routes avaient été coupées par les Israéliens. Mon oncle et mon frère ont donc fait les 8 km en voiture et le reste d’entre nous est resté dans l’appartement sombre, grelottant et en état de choc, sous des couvertures pour nous maintenir au chaud, avec le bruit incessant des tirs d’obus des chars autour de nous. Au fond de nous-même, nous savions tous que papa était mort. Il aurait été dans la maison ou à côté de celle-ci, et si un F-16 frappe directement votre maison vous savez ce que cela signifie.

Ils sont arrivés pour découvrir une pile fumante de gravats. La plupart des vaches gisaient inertes ; les autres qui n’étaient que blessées se s’étaient enfuies. Mahmoud, un jeune cousin, se trouvait avec mon père lorsque la bombe israélienne a fait sauter la maison. La force de la frappe aérienne l’a projeté à 300 mètres. Ils ont découvert le corps de Mahmoud dans le champ d’un voisin.

Nous avons enterré mon père et Mahmoud hier matin dans des funérailles rapides, sachant que les chars israéliens se trouvaient seulement à 3 km de là, à la périphérie de la ville. Nous pouvions entendre le crépitement des mitrailleuses qui accompagnait les chars. Les Israéliens diront peut-être qu’il y avait des activistes dans la zone près de notre ferme, mais je ne le croirais jamais. Le point le plus avancé pour les lanceurs de roquettes est à 6 km au sud. Plus haut, à la frontière, ce n’est que de la terre agricole en openfield avec nulle part où se cacher.

Mon père, Akren al-Ghoul, n’était pas un partisan de la lutte armée. Né à Gaza, il a fait ses études en Egypte et il était avocat et juge, travaillant pour l’Autorité Palestinienne. Après la prise de Gaza par le Hamas, il a démissionné et s’est tourné vers l’agriculture. Le père de papa, Fares, qui avait été chassé de sa maison en 1948, dans ce qui est maintenant la ville israélienne d’Ashkelon, avait acheté cette terre dans les années 60.

Durant la deuxième Intifada et jusqu’à ce que les Israéliens se retirent de Gaza en 2005, cette ferme avait été prise par des colons israéliens, mais, après 2005, nous y allions à chaque vacances. A Gaza, le seul moyen d’évasion est la plage ou, si vous êtes assez chanceux, la ferme. Mon père détestait ce que le Hamas faisait au système judiciaire de Gaza, introduisant la justice islamiste, et il était totalement opposé à la violence. Il aurait travaillé dur à un règlement juste avec Israël et à un meilleur futur pour les Palestiniens. Lorsque l’Autorité Palestinienne a pris le contrôle de la Cisjordanie, il s’est installé à Ramallah pour aider à y établir les tribunaux.

Mes griefs ne portent aucun désir de vengeance, que je sais être toujours vaine. Mais, en vérité, en tant que fils dans la peine, je trouve difficile de faire la distinction entre ce que les Israéliens appellent des terroristes et les pilotes et les équipages de chars israéliens qui envahissent Gaza. Quelle est la différence entre le pilote qui a réduit mon père en miettes et l’activiste qui tire des petites roquettes ? Je n’ai aucune réponse, mais juste au moment où je vais devenir père, j’ai perdu le mien.


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