A Calais, la situation des migrants est « inhumaine » (article de La Croix)

samedi 10 janvier 2009.
 

Un Afghan est décédé mercredi 7 janvier lors d’une rixe, dans un climat de plus en plus tendu entre les migrants qui cherchent à passer Outre-Manche

Dans la brume épaisse, les hommes sont rassemblés par petits groupes sur un terrain vague du quai de la Moselle. Quand la voiture de Sylvie, bénévole de l’association Salam, arrive, certains viennent aux nouvelles. Sous les bonnets de laine, les regards sont inquiets. Les Afghans ont peur. Après le meurtre de l’un des leurs, mercredi 7 janvier, ils craignent les opérations de police.

Quelques centaines de mètres plus loin, les voitures des forces de l’ordre quadrillent la « jungle », ces terrains boisés où les candidats au départ pour l’Angleterre se réfugient toutes les nuits. Sylvie tente de les rassurer : « C’est le meurtrier qu’ils recherchent, pas vous. » Selon les bribes de témoignages livrés par ces jeunes exilés, la victime est un Pachtoun de 25 ans, roué de coups puis poignardé par des Afghans d’une autre ethnie.

Voilà trois mois que la victime zonait à Calais. Le jeune homme était déprimé car il ne parvenait pas à embarquer vers l’Angleterre. Mercredi soir, une rivalité pour un territoire aurait dégénéré. Sylvie reprend sa voiture et montre l’endroit du drame. Juste après un stop où les camions sont obligés de s’arrêter, des branchages ont été installés en camouflage. L’endroit est stratégique pour tenter de se glisser dans ces véhicules qui partent vers le tunnel de Sangatte. Les réfugiés n’ont jamais été aussi nombreux

Depuis la mort d’un Érythréen, il y a deux ans, c’est la première fois que la rivalité entre des bandes de passeurs cause la mort d’un homme à Calais. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, alors que les bénévoles de Salam distribuaient le repas du soir dans le gymnase prêté par la municipalité. Le drame vient encore alourdir le climat alors que les associations, à pied d’œuvre depuis la fermeture du camp de Sangatte, il y a six ans, sont au bout du rouleau. « On est fatigué, se désole Sylvie. On en a vu passer des milliers et on a l’impression d’avoir obtenu si peu de chose. » Cette petite femme blonde d’une cinquantaine d’années, tous les réfugiés l’appellent « Mamy », comme une grand-mère protectrice.

Leurs récits, depuis six ans, sont toujours les mêmes. Des mois de voyages dans des conditions sordides pour gagner l’Angleterre. Or, depuis plusieurs mois, les associations tirent la sonnette d’alarme, car les réfugiés n’ont jamais été aussi nombreux. 500 à 700 dans la région de Calais. « On en voit maintenant des très jeunes qui n’ont pas plus de 12 ou 13 ans », précise Sylvie. Les associations, débordées, dénoncent l’aveuglement des pouvoirs publics qui cherchent surtout à ne pas créer de lieu de fixation. « Sangatte, c’était ingérable, reconnaît Sylvie. Mais entre trop et rien, il y a une marge. »

Fin novembre, le collectif Csur, dont fait partie le Secours catholique, a décidé d’abandonner la distribution de repas le midi. Le Secours catholique a également renoncé à offrir un service de douche. « Dans notre petit local, on n’avait que trois cabines », explique Myriam, une permanente. Pour faire face au froid, le Secours catholique a rouvert une permanence d’accueil de jour pour les plus fragiles. Dans ce pavillon anonyme, une vingtaine de personnes ont trouvé refuge autour d’une table. Une femme enceinte de huit mois dort sur un matelas, au côté d’adolescents afghans, de mères de famille et de jeunes filles venues d’Érythrée ou de Somalie. La situation sanitaire empire

Mais en dépit du dévouement des associations, avec le froid et l’impossibilité de se laver, la situation sanitaire empire. Un quart des réfugiés est atteint de la gale, estiment les bénévoles. Les épidémies de gastro-entérite ou de grippe se répandent, sans compter les blessures dues aux chutes hors des camions.

Dans le pavillon du Secours catholique, Azouz, 10 ans, ne quitte pas sa maman, Zeneb. Ils ont tenté une trentaine de fois d’embarquer pour l’Angleterre. Zeneb aurait déjà renoncé s’il n’y avait pas ses deux filles, de 14 et 15 ans, qui ont réussi et l’attendent maintenant à Londres. À côté de la pièce d’accueil, deux très grandes salles sont vides. Le Secours catholique a déposé trois permis de construire pour y installer des sanitaires. Demande à chaque fois refusée par l’administration.

« La dernière fois, on nous a dit qu’il n’y avait pas d’accès handicapé », s’indigne Myriam. Pour les responsables de l’association, les pouvoirs publics font tout simplement barrage. « Si on le leur proposait, certains de ces réfugiés accepteraient de déposer une demande d’asile en France. Il faut leur dire que l’Angleterre, ce n’est pas l’eldorado. Mais la France ne veut pas de ces gens. »

Sylvie fait la même analyse : « De nombreux réfugiés érythréens ont suivi des études, ils pourraient avoir leur place chez nous, être utiles au pays. » Dans l’esprit de la bénévole de Salam, la solution doit être européenne : les pays doivent s’entendre pour prendre en charge ces réfugiés. En attendant, Salam a obtenu du nouveau maire UMP de Calais, Natacha Bouchart, un gymnase pour, durant la période de grand froid, distribuer le repas du soir et héberger la nuit. Cette semaine, l’association qui accueille environ 200 réfugiés a dû refuser du monde.

Salam distribue aussi des sacs de repas froids. « Nous vivons d’abord des dons mais nous ne pourrons pas tenir longtemps », prévient Sylvie. Le Secours catholique offre des nuits d’hôtel pour ceux qui sortent de l’hôpital de Calais, où un centre assure près de 300 consultations par mois. Seul motif d’espoir, pour Sylvie, la solidarité. Les quarante bénévoles de Salam sont régulièrement rejoints par des personnes venues parfois de toute la France pour donner un peu de leur temps.

Bernard Gorce, à Calais


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message