Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem, par Jean-Moïse Braitberg

lundi 2 février 2009.
 

Monsieur le président de l’Etat d’Israël,

Je vous écris pour que vous interveniez auprès de qui de droit afin que l’on retire du mémorial de Yad Vashem dédié à la mémoire des victimes juives du nazisme, le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg gazé à Tréblinka en 1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en déportation dans différents camps nazis durant la deuxième guerre mondiale.

Je vous demande d’accéder à ma demande, Monsieur le président, parce que ce qui s’est passé à Gaza, et plus généralement, le sort fait au peuple arabe de Palestine depuis 60 ans, disqualifie à mes yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs, et donc à l’humanité toute entière.

Voyez-vous, depuis mon enfance, j’ai vécu dans l’entourage de survivants des camps de la mort. J’ai vu les numéros tatoués sur les bras, j’ai entendu le récit des tortures ; j’ai su les deuils impossibles et partagé leurs cauchemars. On m’avait dit que celui qui sauvait un homme sauvait l’humanité tout entière, aussi suis-je en droit de penser que celui qui humilie un seul homme humilie toute l’humanité.

Il fallait, m’a-t-on appris, que ces crimes plus jamais ne recommencent ; que plus jamais un homme, fort de son appartenance à une ethnie ou à une religion n’en méprise un autre, ne le bafoue dans ses droits les plus élémentaires qui sont une vie digne dans la sûreté, l’absence d’entraves, et la lumière, si lointaine soit-elle, d’un avenir de sérénité et de prospérité.

Or, Monsieur le président, j’observe que, malgré plusieurs dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré l’évidence criante de l’injustice faite au peuple palestinien depuis 1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois réaffirmé par l’Autorité Palestinienne, les seules réponses apportées par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le sang versé, l’enfermement, les contrôles incessants, la colonisation, les spoliations.

Vous me direz, Monsieur le président, qu’il est légitime, pour votre pays, de se défendre contre ceux qui lancent des roquettes sur Israël, ou contre les kamikazes qui emportent avec eux de nombreuses vies israéliennes innocentes. Ce à quoi je vous répondrai que mon sentiment d’humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes.

Par contre, Monsieur le président, vous dirigez les destinées d’un pays qui prétend non seulement représenter les juifs dans leur ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme. C’est cela qui me concerne et m’est insupportable. En conservant au mémorial de Yad Vashem, au cœur de l’état juif, le nom de mes proches, votre Etat retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les barbelés du sionisme pour en faire l’otage d’une soi-disant autorité morale qui commet chaque jour l’abomination qu’est le déni de justice.

Je n’ai pas de prétention à vous faire la morale. Votre Etat, comme tout Etat, portera devant l’Histoire la responsabilité de ce qu’il fait, dans le bien comme dans le mal. Mais, de grâce, ne cherchez pas à légitimer des actes qui bafouent les valeurs humanistes les plus élémentaires, en conservant au sein de votre Etat, une mémoire qui n’appartient pas à Israël mais à l’humanité tout entière. Alors, s’il vous plait, retirez le nom de mon grand-père du sanctuaire dédié à la cruauté faite aux juifs afin qu’il ne justifie plus celle faite aux Palestiniens. Et puisque le sionisme, dit-on, s’inscrit dans la vision des prophètes, méditez aussi la parole d’Amos le prophète témoin des iniquités d’Israël :

« Puisque vous piétinez le faible

Et que vous prélevez sur lui un tribut de froment,

Ces maisons en pierres de taille que vous avez bâties,

Vous n’y habiterez pas ;

Ces vignes délicieuses que vous avez plantées, vous n’en boirez pas le vin.

Car je sais combien nombreux sont vos crimes, énormes vos péchés, oppresseurs du juste, extorqueurs de rançons, Vous qui, à la Porte, déboutez les pauvres. » [2]

Veuillez agréer, Monsieur le président, l’assurance de ma respectueuse considération.

Jean-Moïse Braitberg, écrivain

Notes

[1] Le mémorial Yad Vashem (יד ושם) a pour mission de préserver à Jérusalem la mémoire des victimes juives de la Shoah perpétrée par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

[2] Amos : 5-11 et 5-12.

Le Monde a publié dans son édition du 29 janvier 2009 un texte de Jean-Moïse Braitberg intitulé Effacez le nom de mon grand-père de Yad Vashem [1], extrait d’une lettre ouverte qu’il a adressée à Shimon Pérès.

Nous reprenons, avec la permission de Jean-Moïse Braitberg, la version intégrale de cette lettre ouverte.

Ligue des Droits de l’Homme Toulon


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