30 janvier 1968 Les étudiants polonais entrent en contestation

lundi 16 février 2009.
 

Le Mars 68 polonais a commencé en réalité en janvier, avec l’interdiction par les autorités du spectacle Dziady (Les Aïeux) au Théâtre National à Varsovie. La pièce, écrite par le plus grand poète polonais Adam Mickiewicz [1], contient des accents anti-tsaristes et antirusses. Les autorités ont trouvé que la mise en scène de Kazimierz Dejmek en faisait une pièce « antisoviétique ».

Le 16 janvier, la censure a fait savoir à Dejmek que la présentation du 30 janvier allait être la dernière et que le spectacle allait être retiré d’affiche par la suite.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe. La présentation du 30 janvier s’est transformée en une véritable manifestation politique. Le public, outré d’apprendre que le pouvoir osait s’en prendre à Mickiewicz lui-même (pour les Polonais, c’était comme si la police interdisait une pièce de Molière à la Comédie Française), scandait « Nous voulons de la culture sans la censure ! », « Indépendance sans la censure ! », « Nous exigeons d’autres présentations ! ». Environ 200 étudiants se sont ensuite dirigés vers le monument de Mickiewicz, situé non loin de l’entrée principale de l’Université de Varsovie. C’est là qu’ont eu lieu les premières arrestations.

Neuf étudiants ont été condamnés par les tribunaux de police. Deux d’entre eux – Adam Michnik et Henryk Szlajfer – ont été renvoyés de l’Université pour avoir rendu compte des événements du 30 janvier aux correspondants de la presse française. Ces événements ont déclenché – surtout dans les milieux intellectuels et universitaires – une vague de protestations, de pétitions et de collectes d’argent pour ceux qui ont été condamnés aux amendes.

Les dirigeants étudiants décident le 22 février de convoquer un meeting à l’Université de Varsovie pour protester contre le renvoi de Michnik et Szlajfer. Ils veulent l’organiser une semaine après l’Assemblée générale de l’Union des écrivains polonais, prévue pour le 29 février. L’Assemblée condamne la politique culturelle des autorités, exige la suppression de la censure et le rétablissement de la liberté de création. Le pouvoir réagit en arrêtant préventivement les dirigeants du mouvement étudiant, en espérant rendre ainsi impossible le meeting à l’Université qu’ils comptaient organiser le 8 mars. Malgré ces arrestations, le meeting commence bien à midi à la date prévue et se déroule dans le calme.

Les assaillants matraquent les femmes enceintes

Les étudiants sortant du meeting sont brusquement attaqués par les policiers anti-émeute et les « activistes ouvriers » en civil, armés de matraques. L’intervention est particulièrement brutale. Les assaillants n’hésitent pas à matraquer même des femmes enceintes. Les réactions dans le pays ont dépassé toutes espérances des organisateurs du meeting.

Après une manifestation de solidarité à la Polytechnique de Varsovie, une vague de manifestations et d’émeutes des étudiants, des lycéens et de jeunes ouvriers déferle sur Cracovie, Wroclaw, Lodz, Poznan, Torun et Gdansk. Le pouvoir réagit, lui, par une vague d’arrestations, de répressions et de meetings dans les usines, minutieusement préparés dans les moindres détails pour éviter toute spontanéité.

Campagne antisémite

Sur fond d’une lutte féroce entre différentes fractions du parti communiste qui veulent profiter de la situation pour reprendre le pouvoir, une nauséabonde campagne « antisioniste » est organisée. Ses inspirateurs veulent ouvertement manipuler les attitudes antisémites toujours présentes dans une partie de la population pour « purger » l’appareil du parti de leurs rivaux – souvent d’origine juive. La campagne antisémite déclenche en réaction une nouvelle vague de protestation aux universités, mais le pouvoir a déjà repris la situation en main et les résultats sont terribles : environ 20’000 Polonais d’origine juive sont contraints à l’exil suite aux licenciements et autres formes de répression. L’intelligentsia polonaise ressent et condamne cela comme une véritable honte nationale, mais cela n’a aucun effet sur le comportement des autorités qui continuent leur campagne antisémite jusqu’au mois de juillet.

Plus jamais on n’évoquera cette campagne antisémite. Ce n’est qu’après la chute de communisme en 1989 qu’un véritable, et d’autant plus difficile et douloureux, débat sur les relations polono-juives et sur l’antisémitisme polonais pourra commencer.

Mars 68 en Pologne a superficiellement renforcé le régime communiste, mais en même temps il a permis de créer les bases intellectuelles et humaines de futures structures d’opposition.

Les vagues de protestations qui ont suivi, en 1970 et 1976, ont permis, à leur tour, de rapprocher les milieux d’opposition parmi les intellectuels et parmi les ouvriers – facteur décisif pour la création du syndicat Solidarnosc en 1980 et pour la chute du communisme…

Piotr Moszynski

* Article publié sur le site de RFI, le 7 mai 2008, mis à jour le 21 août 2008.


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