Du 15 février au 18 mars 1910 : Long mouvement social en Guadeloupe cassé par deux tueries

dimanche 19 février 2023.
 

Mardi 15 février 1910 : déclenchement de la grève dans les habitations dépendant de l’usine Darboussier.

Les ouvriers des habitations Bois Vynière cessent le travail ; très vite, ils sont rejoints par ceux des habitations voisines.

Au directeur de la SIA PAP (société à capitaux français propriétaire des usines Darboussier Retraite et un grand nombre d’habitations dans la région des Abymes), ils réclament une augmentation de salaire de 2 francs pour les hommes, de 1.50 Fr. pour les femmes, et de 1.25 pour les enfants.

Dans la journée du jeudi 17, LAURENT, directeur de Darboussier se rend sur les habitations pour y rencontrer les grévistes. Il repousse les revendications des travailleurs.

A partir samedi 19, le mouvement commence à s’étendre à d’autres habitations des Abymes ; puis dans la semaine du lundi 21 février il embrase toute la Grande-Terre.

Elle prend la forme de rassemblements de travailleurs sur les habitations et autour des usines, en particulier celles de Blanchet et de Duval.

Dans l’après-midi du lundi 21, les grévistes investissent l’usine Blanchet et séquestrent le directeur. A Beauport, le directeur, lui aussi séquestré par les petits planteurs doit s’engager à augmenter le prix de la tonne de canne en la faisant passer de 11.50 Francs à 19.50 Frs.

Mardi 22 février, plusieurs centaines d’ouvriers partis des Abymes marchent sur Darboussier où les attend GAUTRET, gouverneur de la colonie ; les directeurs de l’usine ayant préféré se réfugier en lieu sûr. Après avoir lancé un appel au calme il s’engage à ouvrir sur le champ des négociations avec les représentants de Darboussier.

Suivant le cortège du gouverneur, la foule se dirige vers l’Hôtel du Gouvernement où doivent se dérouler les négociations. Entamées à la fin de la matinée, les négociations laborieuses aboutissent à 17H00 à la signature d’un accord faisant droit aux revendications des ouvriers : le travail à la tâche est supprimé ; les augmentations de salaires acceptées telles que proposées par les grévistes. La liesse qui s’en suit fait oublier que cet accord n’est valable que pour la durée de la présente récolte.

Pourtant, au moment même où sont conclus les accords de Pointe à Pitre, à l’usine Sainte-Marthe de Saint-François, les frères PAUWERT choisissent volontairement la violence.

La fusillade de Sainte-Marthe

Ce même mardi 22, à l’usine Sainte-Marthe, on attend les grévistes de pied ferme. La rumeur veut qu’une bande formée dans la matinée et parcourant la campagne soit composée d’individus excités, armés de coutelas et d’armes à feu. Aux 3 gendarmes qui protègent l’usine, vient se joindre une partie du personnel de maîtrise . Elle est armée.

Les grévistes arrivent devant l’usine aux grilles et portes fermées. Un gendarme fait feu ; une salve ininterrompue suit le premier tir. Bilan de la tuerie froidement exécutée : 3 morts, six blessés.

Les frères PAUWERT jubilent : L’usine Sainte-Marthe ne s’arrêtera pas. Et pour faire faire bonne mesure, la Fédération des Elus Socialistes de Guadeloupe lance un appel aux grévistes intitulé :"Continuez, s’il le faut, la grève, mais trêve aux excès".

Dédouanant ainsi les frères PAUWERT pour la boucherie à la laquelle ils ont fait procéder et pris part ; et préférant s’en prendre aux grévistes "ivres de haine et de rhum bu à Gentilly et à Courcelles".

L’extension de la grève à Capesterre

Entre le mardi 22 février et le jeudi 3 mars 1910, le mouvement s’étend : Marie-Galante, le Nord de la Guadeloupe proprement-dite (Lamentin, Sainte-Rose) puis Capesterre sont touchés. Deux questions restées sans réponse favorisent l’extension du mouvement :

o La rémunération des ouvriers autres que les coupeurs et surtout celle des petits planteurs ;

o L’extension aux autres coupeurs de canne des augmentations décidées le 22 février à Pointe à Pitre.

A Capesterre, le 28 février, les ouvriers dépendant de l’usine Marquisat cessent le travail et réclament l’alignement de leurs salaires sur ceux de leurs camarades de Pointe à Pitre .

Le lendemain, une foule de plus d’un millier de manifestants se rend à l’usine "Les Mineurs" pour obtenir du directeur, MEYNARD, des négociations. Furieuse de constater son absence, des manifestants pillent les magasins de l’usine et la maison de propriétaire. La maréchaussée n’intervient pas.

Le samedi 5 mars, des négociations s’ouvrent en présence du préfet et du directeur de la Banque de la Guadeloupe. Un accord semble trouvé entre représentants des planteurs, ceux des ouvriers et les usiniers.

Le mercredi 9, le préfet tout en assurant à sa hiérarchie que le calme est revenu et que le "travail a repris sur toute la Guadeloupe", fait venir une centaine d’hommes de troupe de la Martinique.

Ce renforcement militaire est suivi d’une vague d’arrestations de prétendus meneurs. L’une d’entre elles sera à l’origine d’une violente échauffourée.

Vendredi 18 mars : Les habitants de Carangaise se pressent devant la gendarmerie de Capesterre pour réclamer la libération de leur conseiller municipal, BALON, arrêté pour sa participation à la grève.

La riposte est immédiate : la troupe de militaires ouvre le feu. On relèvera 1 mort et 6 blessés.

L’heure est à la répression, froide, implacable, meurtrière.


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