Sarkozy Berlusconi

vendredi 1er août 2014.
 

PETIT LEXIQUE COMMUN « Il y a une situation qui voit la magistrature idéologisée et très bien classifi ée, qui s’appelle magistrature démocratique (organisation syndicale de juges – NDLR), qui déploie une action subversive contre le pays. » Silvio Berlusconi, 16 mars 2013.

« Je suis l’homme politique le plus persécuté de toute l’histoire, de toutes les époques du monde, avec 2 500 audiences. » Silvio Berlusconi, octobre 2009.

« J’ai été exposé au public moqueur sans motif (au travers des écoutes téléphoniques). (…) Nous sommes dans un pays où il n’y a plus de liberté. » Silvio Berlusconi, décembre 2007.

« Ils décident (…) de transformer en scandale international des enquêtes (…) dignes de la traque d’espionnage à (la manière du fi lm) la Vie des autres. » Silvio Berlusconi au quotidien Il Foglio, février 2011.

« Il est tout à fait invraisemblable qu’il se soit trouvé des magistrats qui nomment, pour s’occuper d’une affaire où mon nom est cité, un magistrat appartenant au Syndicat de la magistrature quand on connaît son engagement. » Nicolas Sarkozy, mardi 1er juillet 2014 sur TF1.

« Cela fait trente-cinq ans que je fais de la politique. Jamais aucun responsable politique n’a été autant examiné par des magistrats, des policiers. » Nicolas Sarkozy, mardi sur TF1.

« Est-il normal que je sois écouté dans mes conversations les plus intimes depuis le mois de septembre de l’année dernière ? » Nicolas Sarkozy, mardi sur TF1.

« Vous lisez bien. Ce n’est pas un extrait du merveilleux film la Vie des autres sur l’Allemagne de l’Est et les activités de la Stasi. Il s’agit de la France. »

Nicolas Sarkozy au Figaro, 21 mars 2014.

Décryptage. L’ancien président de la République est passé à la contre-offensive, mardi soir, sur TF1, réagissant rapidement à sa mise en examen. Dans une argumentation toute berlusconienne sur le fond, il a multiplié les approximations et les attaques contre la justice, son bouc émissaire favori.

Non, il ne s’agit pas exactement d’un «  catenaccio  ». Non, il ne s’agit pas de cette tactique footballistique italienne, qui s’assoit sur une défense ultrasolide avant de lancer des contre-attaques fulgurantes. Il s’agit plutôt de son pendant politique, inventé par Silvio 
Berlusconi, qui consiste à faire oublier l’absence totale de défense en multipliant les grigris avec la baballe. Mardi soir, sur TF1, Nicolas Sarkozy s’est illustré en pleine démonstration de «  cavaliérisme  » à la française. L’exubérance et les références christiques en moins, l’ancien président de la République a imité point par point un maître italien auquel il a déjà tant emprunté. Passons sur le goût du luxe ostentatoire, sur les tentations de césarisme hégémonique et sur le peu de cas fait à la gent féminine – Nicolas Sarkozy réduisant souvent dans son intervention les juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut à un désinvolte «  ces deux dames  » – pour nous intéresser à la pierre angulaire de sa stratégie partagée avec le Caïman transalpin  : des mensonges et des approximations distillés tout au long d’une charge incessante contre la justice.

1. Une garde à vue 
abusive  ?

À entendre l’ex-premier flic de France, rien ne serait «  normal  » dans ce qui lui arrive. Sa mise en examen pour «  corruption active  », «  trafic d’influence  » et «  recel de violation du secret professionnel  » ne serait due qu’à une «  instrumentalisation politique d’une partie de la justice  ». Ce qu’il a cherché à démontrer point par point, sans aucune rigueur. Ainsi, sa garde à vue l’a «  profondément choqué  », lui qui ne réclame «  aucun privilège  »  ? Le chantre de la «  tolérance zéro  » se contredit immédiatement  : il aurait préféré se faire «  convoquer  ». Sauf que seule la garde à vue simultanée de Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et du premier avocat à la Cour de cassation Gilbert Azibert, eux aussi mis en examen, permet aux personnes concernées de ne pas communiquer entre elles. Cette solution s’avère qui plus est parfaitement légale. Elle démontre justement que le président de la République est bien, au final, un justiciable comme les autres. À ce détail près que les juges d’instruction, en le convoquant à deux heures du matin, lui ont évité de passer la nuit au dépôt, comme c’est généralement le cas après une garde à vue.

2. Des écoutes téléphoniques illégales  ?

«  Est-il normal que je sois écouté dans mes conversations les plus intimes  ?  » s’indigne Nicolas Sarkozy. Il semble oublier qu’il avait lui-même rendu cette procédure banale lorsqu’il était Place Beauvau. Est-il normal que l’on puisse écouter les échanges avec son avocat  ? ajoute-t-il. Oui, si l’on en croit l’article 100 du Code de procédure pénale, qui spécifie ainsi  : «  En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications.  »

3. Une revanche de magistrats syndiqués  ?

Et patati et patata. Sur toutes les ondes, les lieutenants de la Sarkozie ont attaqué en masse, instrumentalisant cette question. «  Est-il normal qu’on choisisse pour instruire une affaire un magistrat qui appartient au Syndicat de la magistrature  ?  » a lancé l’ancien maire de Neuilly. Eh bien oui. Se syndiquer est un droit constitutionnel. Les juges y ont droit, et les dossiers leur sont attribués indépendamment de leur adhésion à l’un ou à aucun des trois syndicats de magistrats existants  : l’USM, FO et le SM. Quant à la lettre adressée au candidat-président par le SM pendant la présidentielle de 2012, Sarkozy aurait mieux fait de s’abstenir de la lire, tant elle rappelle son œuvre avec une cruelle précision  : «  Qui plus que vous, monsieur Sarkozy, aura davantage violé la séparation des pouvoirs, dégradé la loi, travesti la réalité judiciaire, dénigré le travail des professionnels de la justice  ? En réalité, tout au long de votre double quinquennat, vous n’avez cessé d’affaiblir l’autorité judiciaire et d’attiser la haine de la justice, du moins êtes-vous parvenu à diffuser la vôtre.  »

4. Pas de trafic 
d’influence  ?

Au sujet de leur échange de bons procédés supposé, Nicolas Sarkozy a rappelé que Gilbert Azibert n’a pas obtenu son poste à Monaco, et que lui-même avait reçu une réponse négative de la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt. «  Où est le trafic d’influence  ? Où est la corruption  ?  » argumente-t-il. Sauf que le seul fait de proposer un poste contre usage d’un pouvoir, au-delà du résultat final, constitue en lui-même un trafic d’influence. C’est là-dessus que les magistrats tentent de faire toute la lumière. À ce sujet, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui avait parlé de «  présumé coupable  » en 2011 dans l’affaire Meilhon, a bon dos de rappeler à tous le principe si important de la présomption d’innocence.

5. Rien à voir 
avec Bygmalion  ?

Plusieurs fois aidé par un Jean-Pierre 
Elkabbach ultracomplaisant, Nicolas Sarkozy s’est également esquivé sur l’affaire Bygmalion, malgré les lourds aveux de Jérôme 
Lavrilleux, le directeur adjoint de sa campagne présidentielle de 2012. Au passage, il a aussi assumé de façon totalement grotesque sa volonté d’être placé au-dessus des lois  : «  En vertu de quoi, pour la première fois dans l’histoire de la République, alors que j’avais rassemblé sur mon nom près de 19 millions d’électeurs, nous n’avons pas eu un centime de remboursement  ?  » Eh bien parce que les comptes de campagne n’ont pas respecté les règles, et ont été invalidés par la Cour des comptes, tout simplement.

6. La théorie 
du complot  ?

Faussement muet depuis sa défaite à l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy donnait mardi sa première interview télévisée, dans ses propres locaux de la rue de Miromesnil, en retransmission directe sur Europe 1 et TF1. De quoi s’assurer une sacrée défense médiatique. À chaque fois qu’il s’apprête à revenir sur le devant de la scène politique, la justice essaie de décapiter le champion soi-disant rêvé des Français, lancent ses soutiens à l’UMP. Et si c’était l’inverse  ? L’ancien occupant de l’Élysée donne surtout l’impression de jouer les victimes pour asseoir sa stratégie de retour à chaque fois qu’il est inquiété. Un tour de passe-passe flamboyant, maintes fois utilisé, avec réussite, par Silvio Berlusconi. À trop jouer le coup du pyromane qui se sert du feu pour éteindre l’incendie, il Cavaliere a fini par perdre des plumes. Comme quoi, n’est pas Phénix qui veut.

Aurélien Soucheyre, L’Humanité


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