Université, un enjeu de civilisation (par Marc Delepouve, secrétaire général d’ATTAC)

samedi 28 février 2009.
 

La volonté de transformer l’université remonte au début de la période néolibérale. Ainsi, en France, dès son retour au pouvoir en 1986, la droite s’y est essayée. La résistance des étudiants fut massive. Le 6 décembre le décès de Malik Oussekine, molesté par des policiers, provoquera la démission du ministre délégué Alain Devaquet. Le 8 décembre le gouvernement Chirac retirera son projet. Ensuite, jusqu’en 2002, des évolutions se feront, mais elles ne constituèrent pas la rupture néolibérale. Aucun gouvernement, quelles que soient ses orientations, n’osait affronter la résistance des universités françaises.

L’année 2003 marque un tournant. Le gouvernement décide alors de réduire les financements stables et récurrents des laboratoires de recherche. Objectif : augmenter les financements des projets à court terme et les distribuer sur la base d’évaluations selon des critères prétendant répondre aux besoins de l’économie, mais incompatibles avec la liberté intellectuelle indispensable à la recherche à moyen ou long terme. Indispensable donc au développement économique et aux réponses à apporter aux problèmes sociaux et environnementaux. Liberté intellectuelle indispensable enfin à la vie démocratique et plus largement à une société libre. Nous touchons là à un aspect peu débattu de la transformation néolibérale. Une société néolibérale est-elle compatible avec une université libre ? Avec une société libre ? L’empressement des entreprises multinationales à s’emparer des grands médias et de la culture de masse répond-il à leur seule cupidité ? Voire à la soif de pouvoir de patrons de grandes entreprises ? Où répond-il en outre à une nécessité stratégique : posséder une relative maîtrise des populations, influencer leurs valeurs, leur connaissance de la cité, leurs pensées et leurs comportements. Certes, il n’y a pas de bureau national ou mondial du conditionnement humain. Le système en place est plus subtil, plus discret, plus souple et sans centre.

Dans un monde où les inégalités ont pris une dimension démesurée, où une minorité bénéficie de privilèges exorbitants et suit un mode de vie d’hyperconsommation et hyper destructeur de notre environnement, alors que près d’un milliard d’enfants, de femmes et d’hommes souffrent de la faim, que le chômage frappe ou hante la plupart des salariés, dans ce monde néolibéral, la liberté intellectuelle et l’esprit critique doivent être canalisés, domptés et quelque peu étouffés. C’est à l’aune de cette nécessité de la société néolibérale qu’il faut en tout premier lieu lire la rupture néolibérale de l’université, déjà très avancée dans de nombreux pays d’Europe et du monde. Rupture amorcée en France en 2003, et précipitée par la présidence de Nicolas Sarkozy. Cela alors même que la recherche française est l’une des plus efficaces, voire la plus efficace du monde : cela si une telle qualification peut avoir un sens ! Pour l’exercice, prenons les critères du classement de Shanghai, souvent utilisés par les néolibéraux pour nuire à l’image des universités françaises, et appliquons-les aux systèmes d’enseignement supérieur et de recherche nationaux, et non pas aux établissements. La France se trouve alors en 6e position (chiffre donné entre autres par l’OCDE), alors que le financement est quant à lui au 18e rang pour la recherche et au 16e pour l’enseignement supérieur. Il n’y a aucune raison objective d’imposer à l’université française la rupture néolibérale, puisque les pays qui ont fait ce choix ne font pas mieux que nous. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille laisser l’université en l’état. C’est pourquoi dès 2004 la communauté universitaire avait tenu des états généraux conclus par un document d’une centaine de pages, présentant de très nombreuses propositions d’amélioration.

Aujourd’hui, la crise financière est une tragédie planétaire qui résulte de la croyance dans les dogmes néolibéraux. Le temps où l’on pouvait naïvement penser que soumettre la planète à la liberté et au pouvoir des seuls financiers et des seules entreprises multinationales est révolu. Cette « modernité » a montré toute son absurdité. Le temps n’est-il pas venu où la démocratie doit retrouver ses droits, au service d’un projet de civilisation ? Nous avons là le principal enjeu de la résistance qui aujourd’hui se développe dans les universités.

Par Marc Delepouve, secrétaire général d’ATTAC, membre de son conseil scientifique, enseignant en mathématiques à Lille-I.

Tribune libre parue dans le journal l’Humanité, édition du 18 février 2009


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