Peur du plombier polonais ? (récit )

samedi 7 mars 2009.
 

Ce n’était pas un plombier, c’était un manœuvre. Dans le bâtiment, il faisait de la démolition. Dans ce cas, c’était rue de la Cerisaie dans le 4e arrondissement de Paris. Refaire un appartement, c’est casser les cloisons, défaire les mauvais sols, arracher les tapisseries. Il était polonais sans papier, donc surexploité. On apprendra que cela faisait un mois qu’il travaillait clandestinement pour la même boite. D’après des notes retrouvées sur lui, c’était à hauteur de 12 h par jour, épuisé, il n’était même pas payé pour la moitié. Pas de feuille de paie, pas de protection sociale. Il ne logeait pas sur le chantier comme souvent dans ce genre de cas, il allait sûrement chez un marchand de sommeil qui lui prenait l’essentiel de son salaire. Ou bien il dormait dehors. Il ne pouvait pas survivre comme cela à la veille de l’hiver. Il avait une femme et un enfant en Pologne, il ne pouvait pas leur envoyer d’argent comme il l’espérait quand il était venu travailler à Paris. Il en devait même sûrement à son passeur.

Au fond, il faisait du Bolkestein sans Bolkestein : du nom de la fameuse directive qui n’a vu le jour qu’à moitié sous un autre nom (elle s’appelle Mac Creevy in fine). C’est cette directive qui prévoyait qu’on travaille dans n’importe quel pays européen, avec le salaire et le droit de son pays d’origine. La meilleure façon de casser le prix de la force de travail : on met en concurrence le plombier polonais avec le Français. Comment disaient les défenseurs du Traité Constitutionnel Européen à ceux qui le rejetaient (55 % des Français) : « C’est incroyable, vous voulez refuser le travail au plombier polonais ? ». On était accusé d’être des affreux protectionnistes, sinon racistes, en plus de frileux défenseurs des « acquis » et du bulletin de paie : Bernard Guetta et Jean-Marc Sylvestre sur France inter nous fustigeaient pour moins que cela en défense du libre-échange.

Nous, on disait que cela ouvrait la porte à tous les trafics de main d’œuvre, qu’on ne pourrait jamais contrôler, que l’exil des uns s’accompagnerait de la concurrence libre et faussée contre les autres. On disait qu’on aimait les plombiers polonais, « qu’on les aimait tellement qu’on voulait que leur salaire augmente sans que le nôtre baisse » ! On défendait un code du travail européen aligné sur le haut, avec des moyens de contrôle et de sanction contre les délinquants patronaux qui font fortune sur le malheur des manœuvres de tous les pays…

Un Code du travail européen, protecteur, renforcé, aligné par le haut, en voilà une belle exigence, tiens, un mot d’ordre central pour les élections européennes de juin 2009 ! Avec un Smic européen ! Contre le Livre Vert de décembre 2006 du commissaire tchèque Spidla promu par le Portugais Barroso qui proposait de détruire tous les codes du travail en les alignant par le bas…

Et sinon, on refusait une Europe du dumping social, la casse des codes du travail nationaux les plus avancés, les exils contraints, les délocalisations des patrons voyous et des actionnaires rapaces. On exigeait qu’ils doublent les effectifs de l’inspection du travail et renforcent le droit pénal contre la délinquance patronale.

Rue de la Cerisaie dans le 4e, le patron a avoué, il avait exploité le manœuvre polonais sans scrupule, sans protection, sans droit. Celui-ci n’y a pas survécu, il a été retrouvé pendu le 1er octobre 2008 sur le chantier. Il avait 26 ans. It’s a free world.

Gérard Filoche


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