Pour la première fois, un ancien membre des escadrons de la mort israéliens brise le silence.

jeudi 5 mars 2009.
 

Entretien avec Donald Macintyre

Pour la première fois, la politique d’assassinats ciblés de l’armée israélienne est décrite de l’intérieur. Dans une interview avec The Independent on Sunday, et dans son témoignage à une association d’anciens soldats, Breaking the Silence (Briser le Silence), un ancien membre d’un escadron de la mort raconte son rôle dans une embuscade contre deux militants palestiniens et qui a couté la vie aussi à deux passants.

L’opération s’est déroulée il y a un peu plus de 8 ans, au début de l’actuel intifada, ou soulèvement, et a laissé de profondes traces psychologiques chez cet ancien tireur d’élite. Jusqu’à ce jour, il n’a jamais raconté à ses parents sa participation à ce qu’il appelle « le premier assassinat face-à-face de l’intifada ».

Tandis que le soulèvement se déroulait, l’assassinat ciblé est devenu une arme régulièrement employée par l’armée israélienne, particulièrement à Gaza, où les arrestations allaient devenir moins faciles qu’en Cisjordanie. Les cibles les plus importantes ont été les dirigeants du Hamas Ahmed Yassin and Abdel Aziz Rantisi en 2005, et Said Siyam lors de l’offensive la plus récente. Mais les assassinats de militants de moindre envergure, comme celui tué lors de l’opération décrite par l’ancien soldat, sont devenues tellement courantes qu’ils ne soulèvement que peu de commentaires.

L’incident décrit par l’ex-soldat parait presque trivial en comparaison de tous les événements qui se sont déroulés à Gaza, dont l’opération « plomb endurci » du mois de janvier dernier qui a fait plus de 1200 victimes palestiniennes. L’incident aurait pu être oublié de tous, sauf par ceux qui étaient les plus directement touchés, si ce n’avait été pour le caractère tout à fait inhabituel de l’histoire qui a été racontée à Breaking the Silence, qui a recueilli des centaines de témoignages d’anciens soldats qui racontent ce qu’ils ont vu et fait – y compris des abus commis sur des Palestiniens – pendant leur service dans les territoires occupées.

L’histoire, présentée dans une interview avec l’Independant on Sunday et largement corroborée par le témoignage d’un autre soldat à Breaking the Silence, remis en cause des éléments de la version militaire officielle de l’époque tout en éclairant les tactiques employées pour mener les assassinats ciblés les Forces de Défenses Israéliennes. De même pour les commentaires du père d’un des Palestiniens assassinés et aussi celui d’un survivant que notre journal a retrouvé.

Notre source ne peut être identifiée par son nom, parce qu’en racontant son histoire, il pourrait théoriquement être inculpé à l’étranger pour son rôle directe dans un genre d’assassinat que la plupart des pays occidentaux considèrent comme une grave violation du droit international. Issu d’un bon milieu, aujourd’hui intégré dans la vie civile dans la région de Tel Aviv, l’ancien soldat a environ 30 ans. Intelligent et doté d’une bonne élocution, il se souvient bien de nombreux aspects mais tient à préciser que sa mémoire pourrait lui faire défaut sur certains détails.

L’ancien appelé dit que son unité spéciale s’était entrainée pour effectuer un assassinat, mais qu’on leur a dit ensuite qu’il allait s’agir d’une arrestation. Ils ne devaient ouvrir le feu que si la cible transportait des armes dans sa voiture. « Nous étions très contrariés d’apprendre qu’il s’agissait de procéder à une arrestation. Nous avions envie de tuer, » dit-il. L’unité se dirigea ensuite vers le sud à Gaza et prit position. C’était le 22 novembre 2000.

La principale cible était un militant palestinien du nom de Jamal Abdel Razeq. Il occupait le siège passager d’une Hyundai noire que son camarade Awni Dhuheir conduisait vers Khan Younis, au nord. Les deux hommes étaient totalement inconscients de l’embuscade qui les attendait prés du croisement de Morag. Cette portion de la route principale nord-sud de Gaza passait devant une colonie juive. Razeq avait l’habitude d’y voir un véhicule blindé garé au bord de la route mais ne se doutait pas que l’équipage habituel avait été remplacé par des hommes d’une unité d’élite spéciale comprenant au moins deux tireurs d’élite hautement entraînés.

Avant même qu’il ne quitte sa maison à Rafah ce matin-là, le Shin Bet - les services de renseignement israéliens – suivait chacun de ses moindres faits gestes grâce aux informations transmises sans interruption via les téléphones portables de deux Palestiniens collaborateurs, dont un de ses propres oncles. L’homme qui devait le tuer dit qu’il était « époustouflé » par le niveau de détail des informations transmises au commandant de l’unité du Shin Bet : « la quantité de café qu’il avait dans son verre, quand est-ce qu’il allait partir. Ils savaient qu’il avait un chauffeur (et) … ils ont dit qu’ils avaient des armes dans le coffre, mais pas dans la voiture. Pendant 20 minutes nous savions que nous allions procéder à une simple arrestation parce qu’il n’y avait pas d’armes dans la voiture. »

Puis, dit-il, les ordres ont soudainement changé. « Ils ont dit qu’il allait arriver dans une minute, et que finalement l’ordre était de l’assassiner. » Il pense que l’ordre est vendu d’un QG monté pour l’opération et que son impression était que « tous les grands chefs étaient là », dont un brigadier général.

Les deux militants ne se seraient doutés de rien à l’approche du croisement, même lorsqu’un gros camion de l’armée israélienne a surgi pour leur couper la route. Ils n’avaient aucun moyen de savoir que le camion était rempli de soldats armés, qui attendaient ce moment. Une 4X4 fut placée sur la route, mais uniquement au cas où « quelque chose tournerait mal ».

Les choses ont effectivement mal tourné : le camion a surgi trop tôt et a bloqué non seulement les militants dans leur Hyundai noire mais aussi le taxi blanc Mercedes qui roulait devant. Ce dernier transportait Sami Abu Laban, 29 ans, un boulanger, et Na’el Al Leddawi, 22 ans, étudiant. Ils se rendaient de Rafah à Khan Younis pour essayer de trouver du combustible pour leur four à pain.

Alors que le moment fatidique s’approchait, le tireur d’élite raconte qu’il a commencé à trembler des hanches jusqu’aux pieds. « A ce moment-là je suis en train d’attendre la voiture et je perds le contrôle de mes jambes. J’ai un M16 équipée d’une lunette spéciale. C’était une des expériences les plus étranges de ma vie. Je me sentais totalement concentré. Alors le compte à rebours commence, nous apercevons les voitures qui se dirigent vers nous, et nous constatons qu’elles sont deux, au lieu d’une seule. La première voiture était très proche de la deuxième et lorsque le camion a surgi, il est entré un peu trop tôt, et les deux voitures se sont arrêtées. Tout s’est arrêté. Ils nous ont donné deux secondes puis ils nous ont dit « Feu ! ». Qui a donné l’ordre, et à qui ? « Le commandant de l’unité… à tout le monde. Tout le monde a entendu « Feu » ».

La cible, Razeq, se trouvait sur le siege passager, le plus proche du véhicule blindé. « Je n’hésite pas, je le vois dans ma ligne de mire. Je commence à tirer. Tout le monde commence à tirer, et je perds mon contrôle. Je tire pendant une ou deux secondes. J’ai compté plus tard que je lui avais logé 11 balles dans la tête. Une seule aurait suffit. Les tirs ont duré cinq secondes. »

« Je regarde dans la visée et je vois la moitié de sa tête. Je n’ai aucune raison de tirer 11 balles. Peut-être par peur, peut-être à cause de tout ce qui arrivait, j’ai continué à tirer. » Selon sa mémoire, l’ordre d’ouvrir le feu n’était pas dirigé vers les tireurs d’élite du véhicule blindé. Il ne peut pas affirmer si les soldats dans le camion ont cru à tort qu’ils étaient sous des tirs venant des voitures. Mais après qu’il ait fini de tirer, « les tirs ont redoublé. Je pense que les gens dans le camion ont commencé à paniquer. Ils sont en train de tirer et une des voitures comme à rouler et le commandant fit « arrêtez, arrêtez, arrêtez, arrêtez ! » Il lui faut quelques secondes pour s’arrêter complètement et je vois que les deux voitures sont couvertes de trous de balles. La première voiture aussi, qui se trouvait là par hasard. »

Razeq et Dhuheir, les deux militants, étaient morts. Ainsi qu’Abu Laban et Al Leddawi. Miraculeusement, le chauffeur du taxi, Nahed Fuju, n’avait pas été touché. Le tireur d’élite ne se souvient que d’un seul des quatre corps allongés au sol. « J’étais choqué par ce corps là. On aurait dit un sac. Il était couvert de mouches. Puis ils ont demandé qui avait tire sur la première voiture (la Mercedes) et personne n’a répondu. Je crois que tout le monde était perdu. Il était clair que nous avions foiré mais personne ne voulait l’admettre. » Mais le commandant n’a pas tenu de « debreifing » avant notre retour à la base.

« Le commandant est entré et il a dit « Félicitations. Nous avons eu un coup de fil du Premier Ministre et du Ministre de la Défense et le Chef d’état major. Tous vous félicitent. Notre mission a été un succès total. Merci ». C’est là que j’ai compris qu’ils étaient très contents. » Il dit que la seule discussion a porté sur les risques courus par les soldats qui auraient pu être touchés par des balles dans des tirs croisés, et au moins un des véhicules de l’armée avaient été touché par des ricochets, et qu’au final un des soldats au moins est descendu du 4X4 et a tiré sur un corps inerte au sol.

Il dit qu’il avait l’impression « qu’ils voulaient faire savoir à la presse ou aux Palestiniens qu’ils étaient en train de radicaliser le combat », il ajoute : « le sentiment était celui d’une mission accomplie et j’attendais une réunion où toutes les questions seraient posées et où on reconnaitrait un échec même partiel, mais elle n’a jamais eu lieu. Moi j’avais le sentiment que les commandants savaient qu’il s’agissait pour eux d’une belle victoire politique. »

L’affaire provoqua quelques remous. Mohammed Dahlan, chef des forces de sécurité de Gaza, dirigé par le Fatah, le qualifia « d’assassinat barbare ». La version officielle fournie à la presse par le Général Yair Naveh, chef des forces israéliennes à Gaza, était qu’une tentative d’arrestation avait mal tourné lorsque Razeq a sorti un Kalashnikov pour ouvrir le feu et c’est là que les soldats auraient riposté. Razeq était la cible principale mais, selon la version officielle, les deux autres victimes dans le taxi étaient aussi de dangereux activistes « liés au Fatah ».

La semaine dernière, M. Al Leddawi a déclaré que la présence de son fils était un tragique concours de circonstances et que sa famille n’avait jamais entendu parler des deux autres hommes. « Leur présence était une coincidence », dit-il. « Notre famille n’a rien à voir avec la résistance. » Le chauffeur de taxi, M. Fuju, à part de dire qu’il n’avait rien reçu « même pas un shekel » en guise de dédommagement, n’a pas voulu nous parler à Rafah. « Vous voulez m’interviewer pour que les Israeliens bombardent ma maison ? »

L’armée israelienne, en réponse à des questions précises sur l’incident et les différences entre sa version à l’époque et celle des Palestiniens, et maintenant celle de l’ex-soldat, a déclaré qu’elle « trés au sérieux les violations des droits de l’homme » mais « regrettait que Breakink the Silence n’ait pas fournit des détails ou des témoignages sur les incidents en question afin de pouvoir mener une enquête approfindie ». Elle ajouta que « ces soldats et ces commandants n’ont pas exprimé de griefs auprès de leurs officiers supérieurs à l’époque. »”

Traduction VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info


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