Salvador : la fiesta !

samedi 21 mars 2009.
 

La joie qui déborde, les drapeaux rouges qui dominent, les chants qui ne cessent plus, c’est San Salvador la capitale en fête suite à la victoire de Mauricio Funes le candidat du FMLN en ce 15 mars 2009. Dans dix jours, c’est un anniversaire émouvant : voici 29 ans, l’archevêque Romero était assassiné sur les marches de sa cathédrale.

Le Salvador ne fait que 21 400 km2, la moitié de ma région Midi-Pyrénées ou le quart de Cuba ! Un pays si petit et pourtant voici un article un peu long car j’ai envie d’aller au-delà de la simple actualité pour prendre du recul car, comme pour toutes les élections, la victoire du gagnant n’est pas seulement une victoire sur l’adversaire, mais une victoire du parti gagnant sur lui–même, et celle-ci débuta le 2 février 2006.

Ce jour-là, je découvre à San Salvador, Adan Chávez en chair et os, le frère du président Hugo Chávez, qui fait alors fonction d’ambassadeur du Venezuela à Cuba et qui représente son pays à l’enterrement du « Che salvadorien », décédé d’une crise cardiaque dans un aéroport, au retour de la célébration de l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales. Schafik Hándal, commandant du FMLN (Front Farabundo Marti de Libération nationale), un mouvement né sur le modèle sandiniste en se référant à un Salvadorien de légende Farabundo Marti, est un héros mythique et un des artisans de la paix de 1992 qui mit fin à la guerre civile (désolé pour la faute de frappe de mon précédent article… mais entre Sandino et Marti le lien fut très fort). Cette ancienne guérilla vient donc d’accéder au pouvoir dix-sept ans après la fin de la lutte armée.

De ce fils de Palestinien égaré comme plusieurs autres au Salvador, les dirigeants de son parti disent qu’il laisse des enseignements rendant chacun plus fort que jamais. En 2004, à l’élection présidentielle, il était une nouvelle fois opposé à un autre candidat d’origine palestinienne, et une fois encore Schafik perdit.

Malgré cet échec de 2004, une immense foule était rassemblée à San Salvador, le 25 mars 2005, pour faire vivre la mémoire d’Oscar Arnulfo Romero abattu le 24 mars 1980 par les paramilitaires. Comment ne pas avoir en tête, une salsa de Rúben Bladès à propos de cet homme devenu, sans autorisation du Vatican, un saint pour son peuple. J’avais alors écrit un petit texte : « Arnulfo Romero, je t’appelle Oscar. En la belle Italie, Morozzo della Rocca, publie ta biographie. Tué par des sicaires, frères de militaires, 25 ans que tu vis, dans le cœur de ton peuple. Viva el Salvador. Des milliers dans les rues, se chargent de mille fleurs ; à Rome on se demande, qui est-ce qui les commande ? Cher archevêque Oscar, combattre l’injustice, sa sainteté le Pape, ne l’admettra jamais. Salvador Juarez, écrivain de son état, nous répète à présent, que tu portas la voix de millions de sans-voix. Viva el Salvador. Tout pour l’intégrité, tout pour l’humilité, telle était ton option, pastorale et sociale. La curie complota, le Vatican s’énerva, donc saint, tu ne seras pas. C’est beaucoup mieux ainsi, car il est des honneurs qui tuent les bonnes mœurs. Viva el Salvador. Monseñor Romero, ton amour pour les pauvres illumina ta vie, voici pourquoi je t’offre quelques lignes perdues, d’un beau présent chargé de tant de libertés ».

Schafik était encore là en 2005 avec un parti qu’il rapprocha de l’Internationale socialiste (observateur au Congrès de 2003 à Sao Paulo) dont l’hymne se fit entendre pour son grand départ. Dès le 26 janvier 2006, date du décès, Patrick Le Hyaric, directeur de L’Humanité, rendit compte de l’événement mais sans mentionner l’Internationale socialiste et en terminant ainsi son article : « Schafik restera dans nos cœurs. Son combat, sa pensée nous serons toujours utiles ».

De partout sont venus des discours pathétiques pour pleurer sur la fin brutale de cet homme né le 14 octobre 1930 (il avait donc 75 ans). A vingt ans, il entre dans la lutte aux côtés des étudiants. Dès 1952, il doit s’exiler et choisit le Chili où il reste jusqu’en 1956. Les liens tissés dans ce pays le suivent pour toujours car c’est là qu’il se lie d’amitié avec le mouvement communiste. Il revient au Salvador en 1959, doté de moyens lui permettant d’accéder aussitôt au Comité central du parti communiste placé dans l’orbite soviétique. Il se fait connaître dans le pays par une action parlementaire régulière et deux candidatures aux présidentielles en 1972 et 1977, deux candidatures placées sous le signe du parti d’union démocratique nationaliste, la couverture légale du parti communiste. Le passage à la lutte armée le conduit à la direction du FMLN. Le parcours politique de cet homme lui permet de retomber toujours sur ses pattes afin de rester à la direction des affaires. C’est vrai, la longévité en politique est très fréquente car la longévité appelle la longévité. Au bout d’un moment, celui qui connaît tout le monde est le mieux placé pour continuer, jusqu’à mourir à son poste.

Bien que son parti soit minoritaire au parlement, trois jours de deuil national furent décrétés ! Au début des années 80 Handal avait eu un grand entretien avec Marta Harnecker, la philosophe chilienne car il était hanté par ce pays. Pour Handal, Allende est tombé parce que les questions économiques primaient sur les questions de contrôle du pouvoir, et parce que les démocrates chiliens auraient dû appuyer dès le début le militaire Prats. Marta Harnecker ne fut traduite en français qu’aux temps glorieux des années 60 (temps glorieux pour la présence latino américaine en France) avec « Cuba : Dictature ou démocratie ? » Maspéro, 1976. Admiratrice de Louis Althusser, son effort philosophique constant aurait pu susciter une attention plus soutenue. On y découvre l’unité impossible de l’Amérique latine. Unité oui sur un point, car, comme pour Handal, les dirigeants et intellectuels appartiennent davantage à tout le continent qu’à leur seul pays, mais unité non sur l’essentiel, car chaque pays à une histoire si forte que les rapprochements restent circonstanciels. Vouloir créer aux Amériques « dix, vingt Vietnam » c’était importer un modèle extérieur dans un cadre où même des modèles « intérieurs » étaient sans effet !

Même le puzzle de l’Amérique centrale n’est pas prêt à s’unir : à Managua dès qu’on voit un immeuble neuf en construction, on trouve quelqu’un pour dire : « Ce sont les Salvadoriens ». Le Nicaragua c’est le pays des pauvres pris entre deux pays aux bourgeoisies plus fortes : Costa Rica et Salvador.

Donc, politiquement, la page Schafik Handal ayant été tournée pour le FMLN qu’elle est la nouvelle page en cours ? Mauricio Funes vient des médias télé et il a averti les électeurs : « celui qui est élu c’est moi et non le FMLN » ! Voici un des points en débat : maintien ou non de la dollarisation ? Le nouvel élu a été clair : après six ans d’existence le dollar s’est imposé et il n’est pas question de revenir en arrière. Victoire d’une gauche réaliste ou d’une force tranquille ? Inutile de faire des rapprochements rapides avec les autres expériences si ce n’est pour pointer une soif populaire de changements sociaux. Mais lesquels ? A suivre comme élément d’une expérience spécifique.

19-03-2009 Jean-Paul Damaggio


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