La domination du dollar en question. La Chine propose une solution

mercredi 1er avril 2009.
Source : L’Humanité
 

Le débat sur le besoin de s’émanciper de la tutelle du dollar s’cxacerbe à la veille du G20 de Londres. Le gouverneur de la Banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan, a jeté un pavé dans la mare, mardi, en contestant le bien-fondé du statut du billet vert, à la fois devise nationale et monnaie de réserve internationale. Il en appelle à l’adoption d’une vé­ritable monnaie commune mondiale qui se substituerait au dollar, dans un système placé sous la houlette du Fonds monétaire internatio­nal (FMI). Cela serait le moyen, précise-t-il, de com­battre la crise et « les vulnéra­bilités comme les risques systémiques inhérents au sys­tème monétaire international existant »

Les privilèges du dollar constituent la pièce essentielle de la domination états-unienne sur la planète. Leur contestation confirme autant la montée en puissance de la Chine dans le concert mon­dial que le besoin d’un tout autre ordre économique et monétaire international.

Quasiment au même ins­tant un comité d’expert des Nations unies s’apprête aussi à recommander d’écarter la devise US comme monnaie de réserve. « C’est le bon mo­ment pour évoluer vers une monnaie de réserve parta­gée », souligne l’économiste Avinash Persaud, l’un des principaux animateurs de ce comité. Il explique que sa pro­position vise à recréer quelque chose qui ressemble à l’écu européen (monnaie commune de l’UE qui a précédé l’avè­nement de l’euro).

Plusieurs des gouverne­ments progressistes d’Amé­rique latine envisagent la création d’une monnaie commune et d’une « banque du Sud » pour échapper aux pressions et à l’influence de l’Oncle Sam. Le défi est iden­tifié de longue date par l’éco­nomiste communiste français Paul Boccara qui évoque la possibilité d’asseoir une mon­naie commune de « coopéra­tion et de développement sans domination » (1). Les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, pointe-t-il en substance, constituent une sorte d’embryon de monnaie planétaire partagé incluant les devises des différents pays (panier de monnaies).

Zhou Xiaochuan avance également l’existence des DTS du FMI comme argument pour montrer que les bases de la création d’une véritable de­vise de réserve internationale existent bel et bien. Dans le schéma proposé par le gouver­neur de la Banque centrale chi­noise, « le panier de monnaies formant la base des DTS pour­rait être étendu pour inclure les devises de toutes les économies majeures » au prorata de leur produit national brut. L’ob­jectif, précise le grand argentier chinois, serait de créer « un nouveau système économique mondial, qui ne soit pas facile­ment influencé par les poli­tiques de certains pays ».

Cette intervention illustre aussi les craintes qui se font jour, ici et là, d’un possible ef­fondrement du dollar qui ajouterait au krach financier une formidable crise moné­taire internationale. Grâce aux privilèges du dollar, Wa­shington peut en effet s’en­detter à bon compte auprès du reste de la planète. Mais jusqu’où ? Tous les acteurs de l’économie US sont surendet­tés et l’administration Obama a décidé de lâcher la bride sur des déficits qui explosent (ils devraient largement dépasser les 10 % du PIB durant la pé­riode 2009-2010). Et d’aucuns de commen­cer à envisager ce qui parais­sait impensable il y a encore quelques mois : des défauts de paiement états-uniens en cas d’aggravation de la crise, ou plus vraisemblablement la tentation de Washington de laisser filer le dollar. Le re­cours à l’inflation, en faisant fonctionner la planche à billets (ce que Washington a commencé à faire), permet en effet de réduire mécanique­ment la facture de la dette.

Dans ces conditions il n’est pas étonnant que la Chine a constitué d’énormes réserves de change en monnaie US (plus de 2 000 milliards de dollars, 1 380 milliards d’euros), manifeste la plus forte inquié­tude et pointe la première le besoin d’un changement. Les autorités chinoises se trouvent en effet dans une position très inconfortable. En dépit de leurs besoins internes grandis­sants pour financer des me­sures anticrise, elles ont été conduites à assurer à Hillary Clinton, lors d’une récente vi­site officielle, qu’elles conti­nueraient d’acheter des bons du Trésor US (dont Pékin est le premier détenteur mondial). Car un tarissement du flux d’épargne chinoise vers les États-Unis décuplerait un ef­fondrement économique états-uniens dont pâtirait forcément les gigantesques avoirs chinois outre-Pacifique.

La réponse de Washington ne s’est pas fait attendre. Tim Geithner, le secrétaire au Tré­sor, et Ben Bernake, le prési­dent de la Réserve fédéral, ont fait part aussitôt de leur « op­position » la plus résolue lors du G20 aux propositions de Zhou Xiaochuan. Barack Obama est intervenu en per­sonne pour plaider tout à la fois la réaffirmation du leader­ship US et le bien-fondé d’un dollar impérial car, a-t-il justi­fié, « les investisseurs considè­rent que les États-Unis ont l’économie la plus forte au monde, avec le système poli-tique le plus stable au monde ». Il n’empêche, au-delà du bras de fer sino-états-uniens, un débat fondamental peut bel et bien s’engager pour un autre monde économique et monétaire.

Bruno Odent

(I) Notamment dans Transformation et crise du capitalisme mondialisé, quelle alternative ?, de Paul Boccara. Le Temps des cerises, 2008. 20 euros.


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