Depuis Jean Paul II, la porte de l’Eglise catholique s’est refermée (par Bernard Langlois, Politis)

lundi 5 novembre 2018.
 

« Le pape, combien de divisions ? » On connaît la célèbre apostrophe de Staline, ironisant cyniquement sur la force militaire du Vatican comparée à celle de l’URSS. Certes, Armée rouge contre Garde suisse, il n’y avait pas photo ! Sauf que Staline est mort, l’URSS n’est plus qu’un souvenir, alors que l’Église catholique a toujours pignon sur rue. Créée voici deux mille ans par le fils du patron, fondé de pouvoir de son père et de son actionnaire associé Saint-Esprit, la firme reste prospère malgré la crise. Pourtant, la politique de l’actuel gérant, qui tient d’une main de fer son conseil d’administration, commence à inquiéter sérieusement un nombre croissant de petits porteurs.

Si bien que la question se pose à nouveau, dans une autre acception : « Le pape, combien de divisions ? »

Les récentes saillies dudit pontife dans l’avion qui le transportait vers l’Afrique (les hommes publics devraient décidément se garder des déclarations en altitude) concernant l’usage du préservatif, présenté comme un facteur aggravant de la transmission du sida alors qu’il est au contraire le seul moyen connu de s’en protéger, ont provoqué un hourvari (en tout cas en Occident, et en France singulièrement – où, ça tombait mal, se déroulait justement la campagne annuelle dite du « Sidaction ») qui a retenti jusque dans les sacristies, où les punaises ont eu des vapeurs, et au fond des bénitiers, d’où sont montés des coassements indignés. La presse nous en a fait des tartines (le pape contesté par ses ouailles, c’est bon ça, coco !) avec sondages à l’appui et annonce d’une vague jamais vue de demandes de résiliation (du baptême). Tout juste si, en ce début de semaine, alors que le successeur de Pierre, apparemment peu sensible à l’émotion soulevée par ses propos, regagne benoîtement ses pénates romains, tout juste donc si, dans les journaux sérieux – ceux qui n’oublient pas que la France est tout de même la fille aînée de l’Église –, s’amorce la contre-attaque sous la plume de quelques fidèles, clerc ou laïcs, patentés.

À ce chaud débat, on permettra au chroniqueur, qui, s’il a depuis lurette abandonné la pratique religieuse de son enfance, n’en garde pas moins d’assez solides réminiscences, d’ajouter son grain de sel. Ah mais !

Boutique mon cul

Pourquoi les propos du pape sont-ils particulièrement scandaleux ? Parce qu’il les a tenus lors d’un voyage vers l’Afrique, un continent où le sida fait des ravages et où parler d’abstinence ou de chasteté revient à inviter un aveugle à admirer le coucher du soleil.

Je veux dire : qui connaît un peu l’Afrique subsaharienne sait que les rapports sexuels y sont plutôt « libérés » et que, sauf peut-être dans des milieux très cathos, très bourgeois et très protégés, hommes et femmes commercent volontiers dès la puberté sans un grand sentiment de culpabilité. Les enfants des missions eux-mêmes n’adoptent pas nécessairement les positions… des missionnaires. Les forts restes d’animisme, qui se mêlent aux monothéismes importés, tempèrent sérieusement l’importance que ceux-ci donnent à la notion de péché. Sans compter l’influence d’un islam conquérant (lui aussi tempéré par les douceurs coutumières), qui considère la polygamie comme un signe de réussite sociale. Entre les braves filles qui font gaillardement « boutique mon cul » et viennent taper à la porte des chambres des toubabs (« C’est l’amour qui passe ! ») et les hommes qui fréquentent leur « deuxième bureau » sans trop se cacher du premier, et sans même parler de la réalité bien moins plaisante des violences faites aux femmes dans les zones troublées (délinquance des mégalopoles, guerres intestines…), le sida est chez lui en Afrique, et seul l’emploi systématique du condom est à même d’en enrayer la progression.

Benoît XVI s’est donc montré gravement irresponsable en en stigmatisant l’usage. Car sa parole garde toute sa valeur prescriptive, sinon auprès des masses insouciantes, du moins pour le clergé local qui les encadre : paroisses, écoles, patronages, dispensaires…

Dogmatisme

Mais il est d’autres raisons à la forte poussée de colère qui s’est emparée, chez nous notamment, de bon nombre de catholiques : c’est l’accumulation, en quelques semaines, de signes d’une montée de l’obscurantisme romain et de l’affirmation d’un dogmatisme qu’on croyait (bien à tort) révolu.

D’abord la réintégration des « lefevbristes », ces disciples de l’évêque schismatique fondateur de la « Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X », excommunié en 1988 pour avoir sacré quatre évêques sans l’aval de Rome : ces quatre prélats ont donc été récemment réadmis au sein de l’église de Rome, nonobstant la persistance de leurs opinions dites « traditionalistes », mais qui vont bien au-delà de leur goût des messes en latin, comme les naïfs ont pu le réaliser en prenant connaissance des propos négationnistes de l’un d’eux, l’évêque Richard Williamson, mollement condamnés par le Vatican, mais jugés intolérables par nombre de fidèles : « Shame and scandal in the family ! » ; s’ajoute à ce tohu-bohu l’affaire de la fillette brésilienne avortée (9 ans !) à la suite d’une double grossesse provoquée par un viol incestueux (le beau-père) : excommunication, par l’évêque de Recife, des protagonistes (la mère et les médecins avorteurs, mais pas le beau-père violeur, car le viol, c’est tout de même moins grave que l’avortement, pas vrai ?). Et là, le catholique lambda se gratte pensivement l’occiput, avec ou sans tonsure, et l’hostie de la dernière messe a du mal à passer…

Odeurs d’encens

Mais vous savez tout cela, qui n’est que rappel d’une actualité récente. Où voulais-je en venir ? À ce qui suit, dont les lecteurs (les jeunes surtout) sont peut-être moins conscients. On a beaucoup entendu dire (soupirer, déplorer…) que le présent pape Ratzinger « n’a pas le charisme du précédent », Jean-Paul II, qu’il est « un théologien de haut niveau, mais à coup sûr pas un communicant », comme l’était Wojtyla. On en conviendra bien volontiers : la personnalité du pape polonais – outre qu’il était le premier pontife non italien depuis des lustres, outre qu’il est arrivé relativement jeune sur le trône de Pierre (58 ans) et y est restée longtemps (plus de vingt-six ans), outre qu’il venait de l’Est et joua un rôle non négligeable dans la chute du communisme, outre qu’il échappa par miracle à un attentat, ce qui, ajouté au calvaire (physique) de ses dernières années de pontificat, complaisamment étalé dans les médias, lui donnait l’aura du martyr aux yeux des croyants – était sans conteste celle d’un meneur qui entraînait les foules (sentimentales, qui ont soif d’idéal…) dans son sillage aux odeurs d’encens. Au vrai, depuis Jean XXIII, Angelo Giuseppe Roncalli, le bon pape Jean, celui du Concile Vatican II, jamais chef de l’église catholique n’avait été si vénéré et autant célébré.

Parfum et grandes orgues médiatiques, dans un cas comme dans l’autre, assurément. Mais les médias ne créent pas de grands hommes (durables) ex nihilo.

Phares

Or, mes biens chers frères lecteurs, mes douces sœurs lectrices, jamais deux papes n’ont été aussi opposés que ces deux phares de l’Église catholique, apostolique et romaine dans son histoire récente (un demi-siècle quand même) que sont Roncalli et Wojtyla : Jean le vingt-troisième, et Jean-Paul le second (successeur du premier du nom, au règne écourté par le bouillon de onze heures ; avant lui, Paul VI – Montini – avait prolongé le règne de Jean XXIII en restant en gros dans ses traces : il fut le premier à quitter le Vatican pour voyager dans le vaste monde).

Car Jean XXIII fut en toutes choses le pape de l’ouverture au monde, de l’œcuménisme actif, de la main tendue, de la charité évangélique – toutes ces bonnes paroles et pratiques dont il construisit le Concile à chaux et à sable, dans l’enthousiasme d’une jeunesse chrétienne qui aspirait à édifier un monde meilleur. Ce fut l’époque de ce qu’on appelait « la théologie de la libération », qui professait « l’option préférentielle des pauvres » et s’épanouissait, notamment, dans les bidonvilles de l’Amérique latine. Par exemple à Recife, au Brésil, fief de Dom Helder Camara (prix Nobel de la Paix), dont l’actuel successeur vient de se distinguer dans cette affaire d’avortement et d’excommunication, comme s’il avait pissé sur la tombe de son illustre prédécesseur. Ah ! Cette Église-là prenait des risques ; elle flirtait parfois avec les révolutionnaires, jusqu’à porter quelquefois le fusil, comme Camillo Torres ; ou elle s’engageait en politique, comme les trois prêtres du gouvernement sandiniste, au Nicaragua ; et tombait aussi parfois en martyre, comme Mgr Romero, assassiné en sa cathédrale de San Salvador par un nervi à la solde du régime (et de la CIA)… Comme bien d’autres, prêtres ou religieuses, torturés et assassinés sous les diverses dictatures qui fleurirent ces années-là.

Une porte doit être ouverte ou fermée, celle de l’Église romaine s’est refermée. Non depuis l’avènement du « Panzer Kardinal » au poste suprême, en 2005. Mais dès les années 1980, Jean-Paul II regnante, et Ratzinger, déjà, au poste clé de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Inquisition), haut lieu des procès en sorcellerie et des instructions à charge contre les déviants de tout poil. Nommé là par le pape polonais et confirmé à ce poste jusqu’au bout du pontificat, jouissant de toute la confiance du pontife, véritable homme fort du Vatican, surtout pendant les dernières années où Jean-Paul II n’était plus que ce pauvre corps souffrant qu’on supportait à peine de voir sur les écrans. C’est donc en parfait accord entre les deux hommes que fut menée la chasse à ces prêtres et religieuses (ou même ces laïcs engagés) qui avaient trop cru en l’esprit du Concile et s’étaient rangés aux côtés des pauvres, œuvrant à soulager leurs misères, sans attendre l’avènement d’un royaume « qui n’est pas de ce monde ». Chasse aux théologiens de la libération, nomination d’évêques intégristes, montée en puissance des ordres et congrégations ou confréries réactionnaires (genre Opus Dei), durcissement du discours sur les mœurs, condamnation des rencontres œcuméniques d’Assise, etc. Toutes ces manifestations d’un autisme et d’une fermeture au monde qui révoltent les fidèles progressistes ne datent pas des trois derniers mois.

Et l’indignation qui s’empare de tant de beaux esprits au sujet du pape d’aujourd’hui tout en continuant de vénérer celui d’hier me fait doucement rigoler.

Voilà ce que j’avais envie de dire sur ce sujet qui occupe fort les gazettes, le grain de sel que je voulais ajouter au brouet. En espérant n’avoir point trop barbé les mécréants purs et durs, qui n’ont rien à cirer des états d’âme des calotins ! .


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