La référence à la caste continue d’influer sur la politique indienne

mercredi 13 mai 2009.
 

C’est une constante de la politique indienne. L’appartenance à la caste continue de motiver l’acte électoral en Inde, même si les mutations sociales contemporaines - notamment l’urbanisation - tendent à éroder quelque peu les identifications communautaires de jadis. La campagne pour les élections législatives qui s’achèveront le 13 mai - n’a pas dérogé à la règle. Elle a confirmé à quel point le critère de caste, outre celui de la religion, pesait dans les combinaisons électorales, en particulier dans les zones rurales.

L’ordre socio-religieux hindou comprend quelque 3 000 castes, subdivisées en 25 000 sous-castes, se rattachant à quatre grandes catégories appelées varnas (« couleurs »), hiérarchisées selon leur degré de pureté supposée. Cette structuration du monde découle des Lois de Manu, un des textes fondateurs de l’hindouisme, établissant que l’Etre suprême créa les hommes à partir de son propre corps.

De sa bouche (qui proclame) sortirent les brahmanes, les prêtres gardiens des temples, quintessence de la pureté et élite trônant au faîte de l’édifice. Du bras (qui saisit l’arme) surgirent les kshatriya, la classe des guerriers mais aussi des princes. De la cuisse (qui s’active dans le labeur) naquirent les vashiyas, la classe des agriculteurs et des marchands. Du pied (dessous de l’édifice) émergèrent les shudras, la classe des serviteurs. Il existe bien une cinquième catégorie, la plus dégradée, porteuse d’une impureté absolue qui la condamne à l’effacement. Mais elle n’a pas de statut formel. Il s’agit des intouchables. Parce que les Lois de Manu les ignorent, ils sont hors système, ou encore « hors castes ». Apitoyé par cette sous-humanité, Gandhi les avait baptisés harijans ou « fils de Dieu », un qualificatif jugé aujourd’hui dédaigneux.

DISCRIMINATION POSITIVE

Ce modèle est bien sûr théorique. La démocratisation de la société indienne ainsi que les politiques de discrimination positive entamées sous l’ère coloniale britannique, et poursuivies après 1947 par l’Inde indépendante, ont permis une promotion partielle des basses castes.

La Constitution de 1950 réserve 15 % des postes dans l’administration, les assemblées locales et l’éducation aux intouchables, soit une proportion correspondant à leur poids dans la population (16,2 % selon le recensement de 2001). Pour leur part, les groupes tribaux et aborigènes, autre catégorie marginalisée, se voyaient allouer des quotas à hauteur de 7,5 %.

L’Inde est donc pionnière en matière d’« affirmative action ». Son chantier est non seulement le plus ancien du monde, mais il est surtout le plus radical. L’expérience est souvent tumultueuse, car elle attise les rivalités entre groupes aspirant à la sollicitude de l’Etat. Les passions s’étaient ainsi enflammées à la suite de la décision du premier ministre V. P. Singh en 1990 d’élargir la politique des quotas aux castes intermédiaires - appelées « other backward castes » (autres classes arriérées, ou OBC) - en leur réservant 27 % des postes administratifs. Les étudiants brahmanes, hostiles au rétrécissement de leurs débouchés, avaient violemment manifesté.

La montée en puissance de ces OBC depuis une vingtaine d’années a aussi multiplié les frictions avec les intouchables. Cette tension est la clé du succès politique de Behan Kumari Mayawati, la « reine des intouchables ». Mme Mayawati a conquis en 2007 l’Uttar Pradesh à la suite d’un rapprochement avec les brahmanes. Cette convergence entre l’élite et la plèbe, a priori paradoxale, avait sa logique : les deux groupes partagent la même inquiétude quant à la percée des castes intermédiaires.

Frédéric Bobin


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