L’eau, notre bien commun (Par Danielle Mitterrand, présidente de France Libertés)

mercredi 1er avril 2009.
 

Pourquoi le dernier forum d’Istanbul a-t-il renoncé à agir pour le droit inaliénable d’accès à l’eau potable ?

La participation ou non de France Libertés au Forum et aux contre-forums d’Istanbul a fait l’objet de longues concertations et échanges avec nos partenaires, acteurs de l’eau, différentes ONG, faisant débat jusqu’en interne. Mais, d’expérience, j’étais intimement convaincue qu’il était vain de rebondir sur cet événement qui revêt les habits d’un forum ouvert à des fins philanthropes alors qu’au fond il s’agit bien d’une réunion factice que notre présence ne ferait que cautionner, même involontairement. C’est ainsi que le 10 mars dernier, nous avons annoncé publiquement notre refus de participer à ce Davos de l’eau.

À l’instar des quatre forums précédents, l’événement d’Istanbul est organisé par le Conseil mondial de l’eau, institution contrôlée par des organismes privés, et dont le président n’est autre que le président de la Société des eaux de Marseille (qui appartient pour moitié à Veolia et pour moitié à… Suez (sic)). Cette institution est porteuse d’une idéologie fondamentalement néolibérale et peu à même de répondre aux problématiques vitales de l’ensemble de l’humanité et aux enjeux provoqués par la crise mondiale de l’eau. Est-il nécessaire de rappeler qu’un milliard et demi de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable dans le monde et deux milliards et demi d’individus sont privés d’assainissement ? Dans le système qui nous gouverne (la pensée unique capitaliste), que cette instance existe, soit ! Mais alors qu’elle se désigne pour ce qu’elle est : une organisation de marchands d’eau qui proposent leurs produits dans une foire commerciale.

Lors du Forum de Mexico en 2006, nous nous sommes associés à la formidable mobilisation des mouvements sociaux pour la défense et la revendication du droit à l’eau. Celui-ci a permis en effet d’établir un pont avec l’institution et faire entendre notre résistance à la marchandisation de cette ressource vitale à des fins de profits. La déclaration issue de ce contre-forum a eu le mérite de dégager trois principes fondamentaux : que l’eau, sous toutes ses formes, était un bien commun et que l’accès à l’eau potable était un droit inaliénable de l’homme et du vivant ; que chaque être humain devait avoir accès à une eau de qualité en quantité suffisante ; que la gestion de l’eau devait relever du domaine public et être gérée dans l’intérêt général.

Trois ans après, le 5e Forum aboutit à une déclaration suffisamment vague pour être appliquée à discrétion, et exclut surtout le principe que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est résolument un « droit » humain fondamental et non pas seulement un « besoin » comme cela a été retenu. Or un besoin, aucun État n’est tenu de le satisfaire, à l’inverse du droit qu’il doit respecter. La nuance n’est pas mince.

Nous entendons aujourd’hui l’amère déception des ONG et des militants unanimement reconnus de l’eau (je pense notamment à Maud Barlowe, présidente nationale du Conseil des Canadiens, le plus important groupe de défense des intérêts publics du Canada et qui participait activement aux discussions), celle aussi de certains pays (l’Espagne, la France mais aussi de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine ont réclamé la reconnaissance de la notion de droit) qui ont fait, il faut le reconnaître, preuve de détermination en se rendant à Istanbul.

Mais je veux positiver cette déception, peut-être nous permettra-t-elle enfin de cesser de nous aligner sur le rendez-vous de ces marchands d’eau, de contribuer à réclamer un autre organisme de gestion mondiale de l’eau, qui devra offrir des garanties de transparence, de démocratie et qui serait placée sous l’égide des Nations unies.

J’invite tous les déçus à se mobiliser pour contribuer à élaborer un « protocole mondial de l’eau » (coordonné notamment par Riccardo Petrella, fondateur de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau), protocole qui sera porté à la connaissance des responsables de l’United Nations Frame Work à l’occasion de la conférence sur le changement climatique prévue à Copenhague en décembre prochain.

J’invite également les élus, les usagers, les militants, les citoyens à clamer haut et fort que l’eau est un bien commun de l’humanité qui ne peut appartenir à personne, et de fait ne peut être une marchandise.


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