Inde : les intouchables paralysent Bombay

dimanche 10 décembre 2006.
 

Des centaines de milliers de parias ont commémoré, hier, leur héros mort il y a 50 ans.

Des centaines de milliers d’hindous hors-caste ont déferlé sur la ville d Mumbai (Bombay), hier, afin de rendre hommage à leur leader historique Bhimrao Ramji Ambedkar, à l’occasion du cinquantième anniversaire de s mort. Estimée à plus de 800 000 personnes, une véritable marée humaine en effet convergé tout au long de la journée vers le quartier de Dadar, a centre-ville, pour se recueillir sur le mémorial d’Ambedkar, le héros incontesté des 170 millions de dalits , ou intouchables, qui constituent le plus bas échelon du système social hindou. Considérés comme impurs par les hautes castes, les dalits (littéralement les « opprimés ») sont traditionnellement chargés des tâches les plus ingrates au sein de la société, du nettoyage des latrines à l’incinération des cadavres en passant par l’évacuation des déchets.

Ville bloquée. Parmi les rares membres de cette communauté à avoir pu étudier sous la colonisation britannique, Ambedkar fut l’un des leaders du mouvement d’indépendance, et le principal architecte de la Constitution indienne. Ayant lui-même largement souffert de l’oppression des hautes castes à l’école, il devait assister au cours depuis l’extérieur de la classe il avait obtenu que le texte fondateur de la République indienne interdise toute discrimination de castes. Afin de protester une dernière fois contre l’injustice que réserve l’hindouisme aux dalits, il avait fini par se convertir au bouddhisme, peu avant sa mort, entraînant avec lui des centaines de milliers d’admirateurs. « Nous le respectons du plus profond de notre âme, il est un dieu pour nous », résumait hier un jeune manifestant.

D’ordinaire grouillante, la capitale financière indienne était paralysée pour l’occasion. Les écoles et de nombreux bureaux avaient fermé leurs portes et la circulation était réduite au minimum. Des centaines de policiers et de paramilitaires avaient également été déployées à travers la mégapole de dix-huit millions d’habitants, les autorités craignant de nouvelles violences après les émeutes qui ont fait quatre morts et plus d’une centaine de blessés, la semaine dernière, dans cette région de l’ouest. Vendredi, des foules de dalits avaient brûlé une centaine de bus et avaient forcé les magasins à fermer dans différentes villes de l’Etat du Maharashtra, dont Bombay est la capitale, afin de protester contre la profanation d’une statue d’Ambedkar, dans le nord du pays.

Cet incident, toujours non élucidé, avait provoqué un violent soulèvement au Maharashtra où une famille intouchable avait été attaquée fin septembre. Des membres de hautes castes avaient sauvagement tué quatre membres d’une famille de paysans parce qu’ils avaient osé s’opposer à la construction d’une route sur leurs terres. La mère de famille et sa fille avaient auparavant été violées. Un crime banal dans ce pays où le système des castes, vieux de trois millénaires, continue de rythmer la vie des campagnes.

Puits séparés. Depuis l’indépendance, l’introduction de la discrimination positive au sein de l’éducation et de l’administration a, certes, permis à une petite minorité de dalits d’améliorer leur statut social. Mais, ni la Constitution d’Ambedkar ni la création de partis politiques de basses castes, n’ont pour autant réussi à mettre un terme aux atrocités commises à leur encontre. Selon les statistiques officielles, la communauté a été victime de près de 70 000 agressions entre 2003 et 2005, dont de nombreux viols et meurtres, commis le plus souvent en toute impunité. Dans la plupart des villages, ceux que Gandhi appelaient les harijans (« les enfants de Dieu ») continuent de devoir prendre leur eau dans des puits séparés, et n’ont pas le droit d’entrer dans les temples des hautes castes. Même dans les écoles publiques, les enfants sont souvent obligés de manger à part, comme Ambedkar dans son enfance.

PRAKASH Pierre


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