Entretien avec Jean-Luc Mélenchon dans le Magazine La décroissance

dimanche 26 avril 2009.
 

1) Que pensez-vous des idées de la décroissance et d’antiproductivisme ?

Je n’ai jamais cru que la croissance du PIB était une mesure neutre. Dans les années 1970 cet indicateur faisait déjà l’objet de rudes critiques pour son indifférence au contenu social de la production et de l’échange. Plus tard, je crois avoir vite compris qu’il n’était guère pertinent non plus pour mesurer le degré de développement humain. Dès 1991, dans mon livre « A la conquête du Chaos » je propose que l’action gouvernementale soit pilotée sur la base de l’indicateur de développement humain que le PNUD venait de mettre au point, en intégrant les objectifs du « développement durable », sur la base d’une lecture du rapport de madame Brundtland que j’avais faite dans une édition canadienne ! Ces concepts furent introduits dans le texte de congrès de la « gauche socialiste » que j’avais rédigé pour le congrès de Bordeaux du PS en 1992. Au conseil général de l’Essonne j’ai ainsi rendu majoritaire un temps l’idée de bâtir les politiques sectorielles à partir d’un indicateur de ce type. Pour autant, je ne crois pas non plus que le mot d’ordre de décroissance suffise à rendre compte de l’ensemble des nécessités de rupture dans notre mode de développement. Mais j’admets la force d’interpellation du terme et donc son contenu heuristique. Je suis donc attentif à ce que les points de vue exprimés sous cette terminologie ne soient pas éliminés du débat ou de ma propre réflexion.

Notez que dès ses premiers pas le Parti de Gauche a affirmé sa volonté de rompre avec le productivisme. Nous ne sommes pas d’accord pour continuer à proposer de produire n’importe quoi, n’importe comment, en créant des besoins qui n’existent pas, en fabriquant des surproductions que l’on étanche ensuite par de la dette privée toujours augmentée, alors que les besoins sociaux et culturels élémentaires du plus grand nombre ne sont pas couverts.

Nous avons donc entrepris notre bifurcation idéologique. Le Parti de gauche est, à sa manière républicaine un parti partie prenante de l’écologie politique. Non dans le but de prendre des voix aux partis écologistes. Notre ambition est plutôt d’étendre notre compréhension de la réalité de notre temps et de radicalement changer la société, la production et les modes de consommation. On ne peut le faire sans penser l’humanité dans son écosystème. Je veux indiquer qu’avec nous, arrive une nouvelle forme de l’approche écologique, l’écologie républicaine. Celle-ci formule l’idée qu’il existe un intérêt général commun à tous les êtres humains : la protection et la culture de l’environnement et de l’écosystème qui rend la vie humaine possible. Cet intérêt général est fondateur d’une légitimité de la contrainte légale au nom de la maintenance vitale de l’écosystème. Cela signifie qu’une classe étendue de domaines entre dans le champ de l’action politique, de la délibération et de la loi. En même temps, dans la mesure où le thème entre dans le domaine de la délibération raisonnée, cela exclut bien sûr les approches écologiques de type millénariste ou mystique. Non seulement l’écologie politique ne nous paraît jouable qu’au prix de la laïcité de l’espace public mais j’ajoute que je ne partage pas les a priori contre les sciences, les techniques et l’idée de progrès du savoir que professent certains écologistes que j’ai pu rencontrer. Il s’agit ici d’une écologie des lumières si je peux me permettre cette expression. Je persiste donc à penser que la solution de nos problèmes est dans l’extension des savoirs et le renouvellement des techniques autant que dans la seule prise de conscience de la nécessité de vivre autrement. Enfin, nous nous distinguons aussi d’une partie des écologistes en ceci que nous avons la ferme conviction qu’on ne sortira pas de la crise écologique sans rupture avec le capitalisme. Un certain environnementalisme qui postule l’écologie comme « ni de droite ni de gauche », incarné aux élections européennes par les listes de Cohn-Bendit, est encore plus illusoire aujourd’hui qu’hier. Car le lien est désormais manifeste entre la nature capitaliste du mode actuel de développement et la gravité de la crise écologique.

2 ) Seriez-vous prêt à défendre des revendications comme l’abandon des programmes autoroutiers, le démantèlement des grandes surfaces, l’interdiction de la publicité à l’école ou l’adoption d’un revenu Maximum autorisé... ?

J’ai déjà défendu certaines de ces idées de longue date. Je pense en particulier à l’interdiction de la présence de la publicité à l’école que j’ai décidée comme ministre de l’enseignement professionnel, par exemple en interdisant le jeu boursier du CIC « les Masters de l’économie » dans les filières professionnelles et de BTS. Au-delà de l’école, je suis favorable à une décontamination publicitaire de l’espace public. En marchandisant l’espace public, la publicité le privatise et le met au service des intérêts de quelques uns, les firmes capitalistes, qui imposent leurs messages à tous. C’est pourquoi les mouvements antipub, injustement criminalisés, contribuent à défendre l’intérêt général. Derrière l’invasion publicitaire c’est la question d’une laïcité étendue qui est posée. Le mercantilisme qui enferme les populations dans la domination des marques et creuse les inégalités est une forme de communautarisme tout aussi dangereuse que l’ethnicisme, l’intégrisme religieux ou le régionalisme. C’est aussi un enjeu de partage des richesses car la publicité est devenue dans certains secteurs une source d’immense gaspillage financier, je pense par exemple aux télécoms, au détriment de la satisfaction des besoins élémentaires du plus grand nombre. Je crois de plus que l’idée même de publicité doit être interrogée. Comment ne pas voir sa place centrale dans la production méthodique des frustrations qui sont à la base de l’extension du productivisme et fournissent l’implicite légitimité de sa domination. Intellectuellement lié au stoïcisme, je me fais un devoir de vous citer Sénèque pour appuyer ce constat moderne : « les besoins naturels sont bornés. Ceux qui naissent d’une opinion fausse n’ont pas où s’arrêter ; le faux en effet n’a pas de limite ». Ainsi en va-t-il selon moi des désirs fabriqués par la publicité.

Quant au revenu maximum autorisé, le Parti de Gauche en a formulé sa propre déclinaison parmi les 29 mesures d’urgence face à la crise adoptées lors de notre congrès de Limeil Brévannes le 1er février. Nous sommes pour imposer un écart maximum de 1 à 20 entre les plus bas et les plus hauts salaires dans chaque entreprise. Même si nous sommes aujourd’hui le seul parti parlementaire à défendre ce plafonnement des hauts revenus, je pense qu’il s’agit d’une revendication sociale et démocratique qui peut emporter l’adhésion du plus grand nombre. Et d’un levier important de partage des richesses.

Les programmes autoroutiers et les grandes surfaces posent notamment la question du tout automobile dans nos modes de vie. L’automobile devra radicalement changer. Je ne pense pas qu’on pourra complètement s’en passer. Est-ce le même débat si elles prennent leur énergie dans les piles à combustibles et en particulier celles à hydrogène ? Reste que s’impose tout de suite un rééquilibrage urgent et massif entre le routier et le rail. La condition de base pour cela est de stopper la libéralisation ferroviaire actuelle qui est une machine à augmenter le nombre de camions. La relocalisation de la production au plus prés des besoins sociaux sera aussi un levier de long terme pour limiter le routier au strict nécessaire. Quant aux grandes surfaces, je mesure la complexité du sujet avant de trancher. Elles participent d’une logique d’aménagement urbain et d’un système de distribution indissociable du reste du modèle productiviste capitaliste. Il va de soit bien sûr que je suis hostile à leur prolifération sauvage actuellement impulsée par le gouvernement. C’est une fausse réponse à la crise du pouvoir d’achat, tout comme l’obsession du discount qui est une machine à dumping social, sanitaire et environnemental. Pour autant cela ne nous dispense pas d’avoir à dire que la distribution à tous, à prix raisonnable, de produits surs et de qualité pour satisfaire les besoins essentiels n’était pas mieux assurée du temps de la petite boutique du passé ! La question d’un autre modèle de distribution n’est pas épuisée par l’hostilité à la prolifération des grandes surfaces.

3) Le PG s’est déclaré contre la construction de la centrale nucléaire de type EPR à Flamanville et pour la sortie du nucléaire. D’un autre côté, vous faites pour les européennes liste commune avec le PC, dont les positions productivistes et nucléophiles sont connues, n’y a t il pas une contradiction politique ? De la même façon quelle est votre position sur la question emblématique des OGM ? Est-ce que cela créé des difficultés avec les positions du PCF ?

Des débats de fond sont ouverts à gauche, notamment sur le nucléaire, entre les partis mais aussi en leur sein. Mais nos divergences ne doivent pas nous faire perdre de vue les objectifs d’intérêt commun que partage aujourd’hui de fait toute l’autre gauche. Reste que le Parti de Gauche a effectivement dénoncé la décision non démocratique de Sarkozy de lancer la construction d’un 2ème EPR à Penly. C’est une surenchère dans la logique du tout nucléaire au détriment de la diversification urgente de nos modes de production d’énergie. La question non résolue des déchets montre qu’y compris avec l’EPR, le tout nucléaire ne donne pas au pays une énergie propre. Il ne permet pas non plus de garantir l’indépendance énergétique puisqu’il nous rend étroitement dépendants des gisements et des cours du principal combustible, l’uranium dont notre sol est dépourvu. De plus, au vu des énormes dérapages financiers de l’EPR soi disant expérimental de Flammanville, il nous semblerait logique de réorienter une partie importante de ces dépenses vers des secteurs socialement utiles et écologiquement responsables. Surtout en plein contexte de crise économique et sociale. Notre parti est favorable à une sortie maîtrisée du nucléaire. Pour ma part je suis certain que nous saurions compenser, avec la géothermie essentiellement, les besoins. Je suis partisan d’un plan de relève énergétique par ce moyen. C’est pourquoi notre parti attache tant d’importance au concept de planification écologique. Gérer la transition d’un modèle a un autre telle est la tache concrète de l’action politique.

Concernant les OGM, face aux risques agricoles et sanitaires aujourd’hui non maîtrisés, le Parti de Gauche défend un moratoire sur leur mise en culture, leur commercialisation et donc aussi leur importation. C’est une position de prudence. Mais je ne lui ferai pas dire ce qu’elle ne veut pas dire. De nombreux camarades pensent que l’accès aux organismes génétiquement modifiés n’est ni pervers, ni mauvais en soi. C’est mon devoir de mentionner leur avis.

4) Vous parlez de "planification écologique", de "volontarisme politique"... Comment ses mots sont perçus dans le climat de dépolitisation ambiant et comment concilier ce souci de planification avec le refus du dirigisme centralisateur ?

Face aux défis de la mutation écologique du mode de production et d’échange à engager, le Parti de Gauche a proposé la mise en œuvre d’une planification écologique. Bien sûr le mot planification est provocateur aujourd’hui. Il a donc une qualité d’interpellation qui nous intéresse. Que veut-il dire au cas précis ? Cela signifie l’organisation à l’échelle qui est celle des problèmes à traiter, celle du long terme d’une transition politique, économique et culturelle. Il s’agit d’organiser de façon démocratique, délibérée et techniquement maîtrisée, la transition du modèle productiviste actuel vers un autre modèle compatible avec la préservation de l’écosystème et la réponse aux besoins sociaux. Selon moi, cette perspective offre une alternative stimulante pour la recherche et l’industrie.

Nous sommes attachés au terme de planification car il pose l’enjeu d’une réorientation globale et radicale de la production, de la consommation et de l’échange. Et la planification, à condition d’être démocratique et porteuse d’implication populaire, peut permettre au peuple de redevenir maître du temps long. Aujourd’hui le temps long de la planète et des populations est dominé par le temps court des marchés, des actionnaires et des médias. La planification écologique doit permettre d’inverser cette domination. L’implication populaire est aussi la condition du succès car les changements de mode de vie induits ne se feront pas sans assumer une nécessaire bataille culturelle de masse face aux normes consuméristes et mercantiles du capitalisme.


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