"Quelle alternative politique dans la mondialisation" (par Jean Pierre Chevènement)

samedi 24 octobre 2009.
 

Nous avons un devoir de lucidité. A moins de quatre ans de la prochaine élection présidentielle, la gauche française est-elle en état d’apporter une réponse convaincante au défi immense de la crise actuelle ? Maryse Dumas nous a demandé de créer la confiance. Mais les deux économistes nous ont alerté sur la profondeur de la crise. « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté », jamais l’exhortation de Gramsci n’a été plus actuelle.

I – D’abord comprendre

La crise actuelle n’est pas seulement celle du capitalisme financier. Elle s’enracine dans de profonds déséquilibres économiques et géopolitiques.

A) Le capitalisme financier a pris le pas sur le capitalisme industriel à la faveur de la « globalisation » voulue par les Etats-Unis. La crise actuelle clôt un cycle entamé dans les années soixante-dix avec le flottement des monnaies et poursuivie, sous l’impulsion de Mme Thatcher et de M. Reagan, par une dérégulation progressivement généralisée de l’économie mondiale. De cette dérégulation, l’Europe libérale a été le relais à travers l’Acte Unique négocié en 1985 et ratifié en 1987, et le traité de Maastricht signé en décembre 1991.

Le capitalisme financier a peu à peu imposé sa loi, celle de « l’acquisition de valeur pour l’actionnaire », avec l’ouverture généralisée des marchés notamment ceux des capitaux (France 1990), les privatisations, la fin de toutes les protections (OMC), la mise en concurrence des territoires et des mains d’œuvre et son cortège de délocalisations. Des politiques d’abaissement du coût du travail, qu’a stigmatisées Maryse Dumas, en ont naturellement résulté. A la faveur d’une véritable dictature de l’actionnariat, l’habitude s’est prise d’exiger des taux de rentabilité mirobolants, évidemment impossibles à satisfaire à long terme.

Cette frénésie d’enrichissement sans cause s’est traduite par des « bulles financières » successives : 1997-98 (crises asiatiques et russe), 2000 (éclatement de la bulle technologique) 2007-2008, crise des subprimes, la plus grave de toutes car elle touche le système en son cœur. C’est la fin d’un cycle de trente ans.

B) Cette crise traduit non seulement les excès du capitalisme financier lui-même (la « titrisation ») mais des déséquilibres économiques et géopolitiques plus profonds.

• Déséquilibres économiques : fuite en avant dans l’endettement et les déficits aux Etats-Unis ; excédents et thésaurisation en Chine, au Japon, dans les pétromonarchies, mais aussi en Allemagne dont l’excédent commercial (200 Milliards d’euros) a ceci de particulier qu’il se fait à 75% sur ses voisins de l’Union européenne.

• Déséquilibres géopolitiques aussi : la « surextension » de l’Empire américain décrite par Paul Kennedy est devenue évidente : les Etats-Unis vivent au-dessus de leurs moyens et n’ont plus les moyens de dominer seuls le monde. L’enlisement au Moyen-Orient le démontre.

C) La récession risque d’être longue car ces déséquilibres ne se corrigent pas en un jour : épargne des ménages US (moins de 1 % de leurs revenus) – mode de vie américain dispendieux et énergétivore – le rétablissement des comptes par la réindustrialisation ne peut se faire que dans la durée.

Le rétablissement des équilibres de l’économie américaine n’est guère compatible avec le libre-échangisme déséquilibré qui prévaut aujourd’hui entre des pays de niveau économique et social hétérogène. Ce retour au protectionnisme peut être limité par un plan de relance coordonnée à l’échelle mondiale où les pays excédentaires : Chine-Japon. Allemagne, donc Europe, serviraient de « locomotives ». Mais l’instauration de protections est aussi inévitable que souhaitable aux Etats-Unis et en Europe pour des raisons sociales et environnementales.

Quant aux pays émergents il est probable qu’ils devront privilégier davantage le développement de leur marché intérieur et la prise en compte de leurs besoins sociaux. C’est un nouveau modèle de développement qu’il faut inventer, avec notamment le souci de limiter les émissions de gaz à effet de serre.

La lucidité s’applique aussi à l’action. Sachons nous défier des chimères et garder les yeux ouverts.

II – La réponse à la crise est et ne peut être qu’à la fois nationale et internationale. Elle remet en cause toutes les sacrosaintes règles du néolibéralisme.

A) La réponse est d’abord nationale.

• Les Etats-Unis ont donné le branle avec le Plan Paulson d’abord amendé par le Congrès puis par l’Administration américaine elle-même ;

• L’Europe a suivi par un enchaînement de décisions nationales progressivement coordonnées : G4, le 4 octobre, puis dans les jours suivants : Eurogroupe à quinze + Grande Bretagne ; Union européenne à 27.

C’est une Europe des cercles qui s’est mise en mouvement. Les modalités et l’ampleur de la réponse diffèrent d’un pays à l’autre pour des raisons diverses et souvent légitimes (RFA : système bancaire décentralisé).

Le fait national a ainsi éclaté en plein jour : Seuls les Etats nationaux ont la légitimité démocratique pour agir par gros temps.

Les « autorités » européennes sont condamnées à suivre ou à s’effacer : Commission – Banque Centrale européenne qui a dû baisser ses taux, contrairement à la volonté de M. Trichet exprimée quelques jours auparavant.

La désuétude des règles européennes inscrites dans les traités est justifiée au nom de « circonstances exceptionnelles » (Jouyet, 3 octobre, interview aux Echos) :

• Principe de la concurrence libre et non faussée (le principe que rappelait encore le protocole n° 6 du traité de Lisbonne) ;

• Prohibition des aides d’Etat.

Les critères de Maastricht en matière de dette et de déficit sont « explosés ». Bref, « nécessité fait loi ».

Une contradiction majeure apparaît ainsi entre le texte et la philosophie des traités telle que la Commission les interprétait et la nécessité urgente de l’intervention des Etats. Les idéologues du libéralisme et les dirigeants patronaux se dressent contre les remises en cause qu’ils observent ou plus encore, devinent à l’horizon.

B) Les décisions nationales doivent être et ont été jusqu’ici internationalement coordonnées.

Un nouveau Bretton Woods ?

Il est difficile de revenir à des parités stables sans corriger les déséquilibres économiques de fond.

Le contenu d’un nouveau Bretton Woods ne peut se borner à quelques corrections comptables ou prudentielles. La « régulation » doit aller beaucoup plus loin jusqu’à l’interdiction des paradis fiscaux. Surtout un nouveau Bretton Woods implique d’abord un plan de relance coordonné pour corriger les déséquilibres économiques fondamentaux. Ensuite, on pourra fixer des fourchettes aux parités monétaires si la volonté politique est au rendez-vous et réformer l’ensemble des institutions internationales.

C) Une nouvelle redistribution du pouvoir est inévitable.

Elle n’ira pas sans tensions :

1. La tentation d’une fuite en avant dans la guerre doit être conjurée (Iran, Pakistan, Russie, Chine).

2. Les Etats-Unis doivent redevenir la grande nation qu’ils sont : Ils n’ont plus les moyens d’une domination universelle, mais ils restent « la nation indispensable » que Mme Allbright évoquait, sans s’y être vraiment résignée, comme on l’a vu dans les Balkans en 1999.

3. Le monde multipolaire est déjà une réalité. Sachons l’organiser sur la base du droit, c’est-à-dire dans le cadre de l’ONU et d’institutions internationales rénovées, FMI, Banque Mondiale, OMC, OIT, Organisation mondiale de l’environnement, etc.

La France et l’Europe doivent y trouver leur place car il serait paradoxal que la France et l’Europe cessent d’être un pôle dans un monde devenu multipolaire. La France a un rôle particulier à jouer pour combattre l’idée d’un « choc des civilisations ».

III – La gauche a un très bel espace à occuper et une tâche historique à remplir

1. Pour renouer à la fois avec l’idée de progrès social et avec les couches populaires,

L’idée de service public n’a jamais été aussi moderne (hôpital public, logement, éducation, mais aussi eau et ressources rares, crédit car la recapitalisation des banques par l’Etat doit se traduire par des participations publiques au capital et par une politique de transformation de l’épargne au profit de l’investissement, avec un changement inévitable des équipes dirigeantes). Un nouveau modèle de développement est à construire : plusieurs révolutions technologiques sont devant nous. Sachons en prendre les moyens.

2. Mais la gauche ne pourra devenir hégémonique qu’à une condition impérative : qu’elle reprenne le drapeau du patriotisme républicain qu’elle a laissé échapper, qu’elle se réapproprie l’idée nationale (≠ nationalisme). C’est une gauche refondée sur une base républicaine qui peut à nouveau faire aimer la France à tous ceux qui l’habitent. C’est parce que nos élites ont abandonné le patriotisme, le drapeau et la Marseillaise à Le Pen, que la signification même des symboles nationaux s’est perdue et pas seulement chez les immigrés. Comment en effet faire aimer par d’autres un pays qui ne s’aime pas lui-même, qui laisse piétiner son Histoire et son identité par tous les communautarismes, par les contempteurs de l’idée nationale et par tous ceux qui voient dans la France un obstacle à leurs ambitions ? Oui, la gauche, pour être audible, doit se remettre à la hauteur de la France car l’Histoire de la France n’est pas finie. On peut être européen sans renvoyer la France aux oubliettes.

3. L’avenir, en effet, n’est pas à une Europe libérale et technocratique. Il n’est pas non plus à une Europe fédérale dont ni la Grande-Bretagne, ni les PECO, ni les pays nordiques ni même l’Allemagne ne veulent (je ne parle pas du peuple français auquel on ne demande plus son avis). Il est à une Europe des peuples, des nations donc des Etats (autant de gros mots), une Europe à géométrie variable et s’assumant comme telle.

Sans être fédéraliste, mais seulement euroréaliste, on peut souhaiter un gouvernement économique de la zone euro, pour le jour où l’Allemagne l’acceptera. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, mais on peut toujours espérer. Cultivons le principe : « Autant d’Europe que possible, mais autant de France que nécessaire ».

Le problème de l’Europe c’est en grande partie le problème de l’Allemagne. Il faut aider celle-ci à penser l’intérêt européen en même temps que l’intérêt du monde du travail en Allemagne. Cela n’est sans doute possible en Allemagne que par le rapprochement entre le SPD et « Die Linke ». Une victoire ou même un redressement de la gauche en France dynamiserait ce processus.

4. Je voudrais terminer sur une idée simple.

La gauche doit créer un électrochoc, si elle veut devenir majoritaire dans le pays. Il n’y a aucune raison pour que nous ne nous retrouvions pas tous dans un même parti. Nos divergences sont réelles, mais elles n’empêchent nullement la coexistence dans une même organisation démocratique de sensibilités radicales au sens étymologique du terme, et de sensibilités plus gestionnaires. C’est même une condition d’une victoire électorale possible.

Les cartes sont sur la table. J’ai envie de dire « A vous de jouer ! » Le PS et le PCF tiendront leur Congrès en novembre et décembre prochains. J’espère qu’ils feront avancer à la fois l’idée d’une réorientation profonde, à la hauteur du défi immense qui est devant nous et l’idée d’une grande organisation de toute la gauche qui donnerait le signal d’un nouveau départ. Et puisque certains sont encore réticents devant l’idée d’un grand parti, bâtissons au moins sans tarder une Confédération qui serait chargée d’organiser en 2011 des primaires ouvertes à tous les militants et à tous les sympathisants pour désigner le candidat de la gauche à la présidentielle de 2012. Cela aurait de la gueule. Cela ferait se lever de grands débats et souffler sur le pays le vent du renouveau !


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