Droite française, entrepreneurs et comptes suisses : l’exemple de Michel Noir, ancien maire de Lyon

jeudi 14 juillet 2005.
 

DE LA POLITIQUE, des valises de billets et des larmes. Devant le tribunal de Lyon, le procès Noir-Botton a viré au psychodrame familial. « Au mélo petit bourgeois plutôt qu’à la tragédie antique », ironise le procureur André Pellet. L’audience d’hier a même atteint des sommets de « justice réalité », sous les yeux de Martin Bouygues, le patron de TF 1, qui, s’il n’était pas mis en cause, pourrait imaginer une émission à grande audience. Sauf que, là, les acteurs ne jouent pas. Ils se déchirent. En témoin choc, hier matin, Anne-Valérie Noir-Botton, fille aînée de Michel Noir et femme de Pierre Botton. Droit dans les yeux, elle va crucifier la défense de son père. « Papa, tu as gâché ma vie, j’espère que tu as honte de toi », crie presque la jeune femme brune en se tournant vers lui, la voix brisée de sanglots. Dans la salle, Botton doit se retenir pour ne pas bondir vers son beau-père. Michel Noir, lui, ne bronche pas. « Avez-vous quelque chose à ajouter ? » demande le président à l’ancien maire de Lyon. « Rien », murmure Noir. « M. Noir, à cette audience, vous avez continué à vous promener dans les décombres de votre passé avec une fierté de notable », commentera le procureur. La formule résume tout. Michel Noir dément Il est arrivé le premier. Les cheveux grisonnants, un imper froissé à la colombo sur une veste en velours côtelé noir. Le sourire intact, la poignée de main chaleureuse, Michel Noir rejoint son banc avec élan. Sur ses talons, Pierre Botton le suit comme une antithèse. Il a une vieille veste de moto, l’air de chien battu, et tourne en rond avant de s’asseoir derrière. Les deux hommes s’évitent. A la barre pourtant, Botton l’appelle encore « Michel » et soutient que même après leur brouille « officielle », au printemps 1989, il a continué à gérer l’argent de Suisse, versé par Bouygues et Dumez. « Je suis parti de la mairie en avril 1989 parce que Michel a eu l’intelligence de comprendre, après son élection, que tout ce que j’avais fait pour lui représentait un risque, mais j’ai continué à gérer pour lui », décode Botton. Michel Noir dément, la voix lasse : « Après les municipales, un soir, Pierre Botton est venu dans mon bureau et m’a proposé une approche vénale... Il m’a dit qu’il avait toujours rentabilisé ses investissements et que j’étais pour lui un investissement. Je l’ai mis dehors de mon bureau. » Noir maintient donc qu’il n’était pas au courant des comptes suisses et qu’il n’a pas reçu du liquide. Et le violoncelle, payé en espèce 225 000 F en février 1991 ? « L’argent de ma mère », soutient l’ancien ministre. La remise de 500 000 F en espèces à la banque ? « Nous avons fait appel aux élus de l’agglomération et aux militants qui ont donné des chèques de 500 F », avance l’ancien maire. « Les Lyonnais sont généreux ! » ironise le procureur. Noir rit jaune, mais maintient. Sa fille va porter l’estocade. « Oui, je me suis rendue en Suisse, à la demande de mon père. A mon retour, je lui remettais l’enveloppe, et il la glissait dans sa cache habituelle, dans le renfoncement d’une poutre. » Sur le désaccord entre son père et son mari, là aussi, elle donne raison à Botton. « J’avais dit à Pierre de ne pas accepter d’être directeur de campagne de mon père. Je savais qu’il le jetterait comme une vieille chaussette. Mon père est comme cela... Je ne suis pas persuadée aujourd’hui qu’il soit capable de sentiment. » Une mallette de 1 million de francs « Vous rendez-vous compte de l’importance de votre témoignage ? » insiste le procureur. « J’ai toujours dit la vérité, je ne vais pas revenir dessus, même si c’est mon père », lâche la jeune femme. Une pause. Des sanglots. « Mais j’aime Pierre et c’est lui qui dit la vérité. » Le parquet a dit la sienne hier soir. André Pellet a requis trois à six mois avec sursis contre Martin Bouygues. Au cours de l’audience de mardi, Noir a bizarrement reconnu avoir reçu de Martin Bouygues une mallette de 1 million de francs, argent qui, selon lui, n’avait rien à voir avec les comptes suisses de Botton. Bonhomme, le patron du groupe de BTP et de communication, dément timidement, et, pour toute défense, se défausse sur « son père Francis » aujourd’hui décédé. « Vous êtes un faux naïf, une version industrielle du célèbre « papa m’a dit », lui assène le procureur, faisant allusion au surnom du fils aîné de François Mitterrand. Le patron de TF 1 encaisse. Michel Noir et Pierre Botton encaissent eux aussi sans broncher les dix-huit mois avec sursis réclamés par le procureur. « C’était une affaire d’Etat, c’est devenu une affaire d’état d’esprit. J’ose espérer, conclut le magistrat, qu’elle correspond à une époque aujourd’hui révolue. »


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