Capitalisme et religion

lundi 18 mai 2009.
 

Débat sur "Le cauchemar de Marx", ouvrage de Denis Collin.

Avec Le cauchemar de Marx Denis Collin propose un livre pionnier, dans le sens où il ose construire une cohérence sans chercher un système clos. Dans un monde, où le non sens est de rigueur, mais où en même temps les penseurs proposent des vérités intangibles qui changent parfois toutes les semaines, sa quête est un bol d’oxygène réconfortant. Si j’arrive à la même conclusion que lui (souveraineté populaire, paix perpétuelle, républicanisme politique et égalitarisme social), il se trouve que parfois je ne passe par les mêmes étapes. C’est ainsi qu’entre capitalisme et religion je m’arrête à l’étape « clergé ».

Je lis page 299 : « La religion relie alors que le capitalisme délie. », phrase qui s’inscrit dans une cohérence puisque dès le début du livre nous lisons : « Mais maintenant que le capitalisme est véritablement chez lui, maintenant qu’il a éliminé pour l’essentiel les anciennes classes dominantes et les rapports de production sur lesquels reposait leur domination, l’exigence d’une justification transcendantale est moins pressante. Fondé sur le calcul, sur la rationalité économique, sur la tyrannie des ratios et des quotas, le capitalisme trouve dans la science moderne non seulement un outil des plus précieux, mais aussi un système de légitimation qui prend la place du religieux. » et plus loin sur la même page 31 : « La religion peut devenir un point de résistance au capitalisme ».

Je suis prêt à reconnaître que « la religion relie » et que « le capitalisme délie » mais j’articule autrement les deux propositions, par cette phrase : « Parce que le capitalisme sait qu’il délie, il a besoin de s’appuyer sur un clergé qui assure le contrôle de religions qui relient. »[1]

En 1905 la loi de séparation concernait Les Eglises et l’Etat car la discussion sur le clergé était au cœur de l’époque, mais depuis que les curés ne portent plus la soutane dans les rues, les clergés semblent avoir disparu des analyses. Prenons deux cas opposés : USA et Liban.

Aux USA, Rochester est la ville de Kodak comme Los Angeles est celle d’Hollywood, Détroit celle de General Motors et Salt Lake City celle des Mormons. Les Mormons font figure de vieux ancêtres d’un clergé qui depuis s’est télé-évangélisée avec de multiples religions mais toujours un même système, le système marchand. Les USA, pays central du capitalisme contemporain, n’a en rien détruit les religions : au contraire il a permis leur reconstruction autour d’un même clergé ! Dans les écoles de ce pays, je n’ai jamais entendu dire qu’un musulman, un protestant, un boudhiste ou je ne sais qui d’autre se plaignait de la nature de la prière matinale que disent chacun matin les enfants. « In good we trust » est une monnaie conforme à tous les clergés, chaque religion cherchant ensuite à y reconnaître ses petits. Ce point n’est pas secondaire dans la perpétuation du système quand on remarque que le système s’impose partout aux Amériques. A la domination catholique existant au Québec ou en Bolivie, on lui substitue une domination globale du clergé pour mieux laisser à chacun son catéchisme. La victoire la plus splendide de la démarche a été obtenue quand, en 1998, le pape Jean-Paul II s’est enfin posé à La Havane pour y recevoir les honneurs de Fidel Castro. Posant la question à Ignacio Ramonet de ce rapport amical inattendu entre un ex-défenseur de la théologie de la libération et le pape qui la combattit avec tant d’acharnement, il me fut répondu qu’en « Occident » on connaissait mal l’anti-impérialisme de Jean-Paul II, le pape d’une religion dont tout le dynamisme clérical actuel tient dans sa banque Ambrosiano ! Du côté musulman la nouvelle dîme s’appelle produits « hallal » (j’ai même découvert l’estampille sur des bonbons) et le grand rabin de Paris fait maintenant de même, pour réconforter des finances qui sont là aussi le nerf de la guerre.

Autour de cette confusion globale et organisée autour du supposé anti-impérialisme du pape, il est facile pour les USA d’user les évangélistes comme arme de pointe contre les progressistes du monde et en particulier contre ceux des Amériques.

Au Liban, avec un texte au sujet de May Chidiac, journaliste talentueuse de ce pays j’avais évoqué la transformation radicale de ce pays passé d’un affrontement entre chrétiens et musulmans, à un affrontement qui traverse ces deux communautés. Des chrétiens sont avec le hezbollah alors que d’autres chrétiens sont avec les musulmans soucieux d’échapper à la dictature du hezbollah. Je parie sur la victoire future de la tendance doublement fondamentaliste, contre celle de May Chidiac qui se bat avec les chrétiens démocrates, victoire qui ne sera pas acquise car les peuples du Liban se tourneraient vers la religion consolatrice (sur ce plan, ils sont servis des deux côtés) mais parce que le Hezbollah a une chaîne de télé extrêmement puissante acquise par les vertus du Saint Esprit (Al Manar : un phare aux multiples facettes). Cette chaîne, a-t-on appris un jour, est interdite en France, ce qui a fait bien rire tous ceux qui en sont des fidèles ! Il m’arriva dans la région parisienne d’entrer dans un restaurant où elle occupait un immense écran télé !

Là-bas comme partout des clergés sont prêts à s’entendre par-dessus leur religion afin de s’assurer le contrôle de sociétés destinées à s’inscrire dans le système capitaliste. Bien sûr, cela n’exclut pas, par moment et en certains endroits, les affrontements affreux entre religieux opposés (inutile de donner des exemples).

Le capitalisme sait qu’il délie, et je partage tout le chapitre III du livre de Denis Collin, donc pour remplacer les vieilles solidarités, il lui faut un retour à la charité. Pas à la bonne vieille charité avec listes de donateurs où les éminents membres des classes dominantes se devaient d’afficher leurs dons en haut des pages des journaux, mais à la charité du clergé moderne faite de pétro-dollars et de gains en Bourse (avec quelques téléthons bien appuyés parfois). Le capitalisme a beaucoup détruit mais en prenant toujours soin de reconstruire sur le champ de ruine, ce qui fait qu’à chaque crise, alors que, déjà hier, Lénine voyait l’ultime phase de l’impérialisme, aujourd’hui encore, il avance les pions de son renouveau.

Je caractérise la phase que nous vivons du terme « capitalisme féodal » car le propre de la féodalité fut un partage du pouvoir avec une alliance entre maîtres du monde et maîtres de la religion, une féodalité qui commença à trembler sur ses bases au fur et à mesure que se bâtirent les Etats, des Etats qui finirent parfois par se séparer du poids des Eglises mais si rarement. Je ne connais pas le nombre de pays dotés encore aujourd’hui d’une religion d’Etat mais je sais que les clergés sont un atout du capitalisme car ils espèrent toujours dépasser les Etats et les détruire (espoir qu’ils ont en commun avec les maîtres du capitalisme). Cet élément de consensus majeur entre le capitalisme et les clergés (abattre les Etats) n’est pas le seul.

Puisque Denis Collin évoquait la science utilisée par le capitalisme en lieu et place du religieux, je pense que là aussi il existe un autre consensus : c’est par la science que les religions veulent également imposer leurs dogmes et ce n’est pas pour rien si la nouvelle religion proposée aux classes dominantes s’appelle Scientologie, un des meilleurs laboratoires du futur du capitalisme comme l’a démontré Paul Ariès.

Raison de plus pour en revenir aux quatre axes chers à Denis Collin : souveraineté populaire, paix perpétuelle, républicanisme politique (même si la théocratie iranienne a osé employer le mot république) et égalitarisme social. Le tout dans le cadre d’un débat démocratique.

10-05-2009 Jean-Paul Damaggio

[1] Cette phrase est suivie ensuite d’une citation de Marx qui dans le texte est précédée d’une de ses phrases si connue et si tronquée : « Le religion est l’opium du peuple ». « La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle, et pour une autre part, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. » Le hasard a voulu que j’achète une traduction de Critique du droit politique hégélien en 1975 en plein Rockefeller Center du temps où la librairie française y avait pignon sur rue pour mettre en vitrine de tels ouvrages ! Je ne partageai pas ce point de vue avant la lecture mais depuis je le défends.


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