Suicides à France Télécom (déjà 17 cas en 2009) - “Si seulement mon geste pouvait servir à quelque chose…”

mardi 19 mai 2009.
 

En 2008, 7 employés de France Télécom se sont suicidés. Parmi eux, un technicien de l’Aube. Mis sur la touche après la restructuration de son site, Jean-Michel a fini par se jeter sous un train.

Jean-Michel avait 54 ans, il était père de trois enfants. Son domaine, c’étaient les satellites ; il était un technicien aux compétences pointues, et reconnues. Depuis des décennies, il consacrait sa vie à son travail. A France Télécom. Un jour, sa hiérarchie lui a parlé de restructuration. De fermeture de son centre de Bercenay-en-Othe, dans l’Aube. Puis de maintien du site, mais avec une équipe réduite, de redéploiement du personnel au centre d’appel Orange, à Troyes. A Jean-Michel, le chef a dit : « Il faut changer de métier. »

Anne-Marie, déléguée syndicale SUD-Télécom, se souvient de sa bonne volonté : « Il était très positif, il faisait preuve de ténacité. Il voulait s’adapter. Au centre d’appel, il est devenu un numéro lambda à qui on demandait de modifier jusqu’à sa façon d’être : un bon vendeur doit rapporter de l’argent, il faut entendre le sourire, le dynamisme et l’empathie dans sa voix. On exigeait de lui des pratiques commerciales qu’il ne maîtrisait pas. On l’a fait tourner dans les centres de renseignements pour qu’il apprenne. » En vain. Alors Jean-Michel a posé sa candidature un peu partout : les centres techniques de France Télécom et divers secteurs de la fonction publique. Il acceptait la mobilité. Personne n’a voulu de lui. Il a perdu le moral.

« De fil en aiguille, il a coulé »

Anne-Marie se rappelle qu’« il était traité comme un boulet que l’on met de côté. J’ai tiré la sonnette d’alarme, j’ai dit : Attention, ce monsieur ne va pas bien, il faut l’aider. Il était possible de lui tendre la main… » Jean-Michel s’est retrouvé au placard et « de fil en aiguille, il a coulé », témoigne la déléguée. « Il a été mis en longue maladie, en attendant de passer devant une commission spécifique qui aurait pu le rediriger vers un autre métier. Mais la réunion n’a pas eu lieu et son dossier est resté ouvert pendant plus de deux ans sans jamais aboutir. » Mercredi 2 juillet 2008, Anne-Marie était à son travail. Le téléphone a sonné. Au bout de la ligne, comme accroché à un fil menaçant de se briser, il y avait Jean-Michel et son désespoir trop lourd à porter. « Il n’y croyait plus. Nous avons longuement parlé. Puis j’ai entendu le train, et c’était fini… » Anne-Marie ne s’est jamais remise du choc, de l’échec : « Il suffisait d’un geste de France Télécom… C’est un échec et c’est aussi ça qui me met en colère. »

Dans la voiture du technicien, les secours ont trouvé des documents à l’attention d’Anne-Marie et les courriers envoyés à droite, à gauche. Tous attestaient de son désarroi. « Il souhaitait que je passe le témoin, que je raconte son histoire. La coordination des syndicats SUD a publié la lettre qu’il m’avait adressée. C’était sa volonté. » « Si seulement mon geste pouvait servir à quelque chose, écrit Jean-Michel. Pardonne-moi d’avoir baissé les bras et encore merci. »

Isabelle Horlans, le lundi 18 mai 2009


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