Non, malgré la crise, les libéraux n’ont pas renoncé à faire pire

mardi 2 juin 2009.
Source : L’Humanité
 

Pendant la crise, les prosélytes du libre-échange et les ennemis de la dépense sociale font le dos rond. Mais si, dans leurs salons ou leurs colloques, ils gardent le moral, ils le doivent au miracle d’une construction européenne qui a réalisé leur utopie… Et, quand on va les écouter, ils ne s’en cachent guère.

Il n’y a pas quelque chose qui vous surprend, vous, ces derniers temps dans le débat public ? Un silence d’or, une chape de plomb. Oui, c’est ça, vous y êtes : mais où sont passés les libéraux ? Les chantres du libre-échange ? Les promoteurs de l’orthodoxie monétariste ? Les grandes gueules du marché, de la concurrence libre et non faussée sont aphones, ou quoi ? Avec la crise mondiale, sûr que chez ces gens-là, on a senti le vent du boulet. Peu à peu, pourtant, certains d’entre eux reprennent du poil de la bête et sortent de leurs tanières.

Ainsi, par exemple, à l’initiative de l’Institut Hayek, un laboratoire d’idées néo-libéral autrichien, un « pèlerinage pour l’économie de marché » (« free market road show » en anglais dans le texte) vient de se dérouler dans toute l’Europe et, mardi dernier, dans la salle des mariages de la mairie du XVIe arrondissement de Paris, c’est le député UMP Claude Goasguen qui a accueilli l’étape française d’une opération idéologique visant à expliquer que la crise provient en fait de la régulation politique des marchés.

Très discrets, mais guère inquiets, les libéraux font le dos rond en attendant des jours meilleurs… En mars, à l’occasion d’une réunion à New York de la Société du Mont-Pèlerin, le réseau de croisés néo-libéraux fondé en avril 1947 par Friedrich Hayek et Wilhelm Röpke afin de contrecarrer tout à la fois l’influence du marxisme, du keynesianisme et du socialisme, l’économiste italien Antonio Martino se veut placide en petit comité : « Tout au long de l’histoire de l’humanité, mais plus encore ces trente dernières années, la liberté économique a fourni l’illustration forte et définitive de sa supériorité sur n’importe quelle autre organisation sociale, argue-t-il. Personne aujourd’hui, sauf en Birmanie et à l’université d’Harvard [censée abriter les derniers keynesiens, NDLR] ne croit qu’il puisse y avoir une alternative meilleure que le marché. Seul un coup de folie, immature, pourrait entraîner l’humanité dans la mauvaise direction. Le marché, l’une des plus grandes découvertes de la race humaine, va rester là, malgré les tentatives des politiciens qui voudront le tuer. »

Chez les libéraux, la confiance règne donc. Et pour tout dire, on les comprend… Prenez l’Union européenne transformée dès l’origine en meilleur vecteur du néo-libéralisme sur le continent et même sur la planète. Aujourd’hui, à la différence des partisans sérieux d’une Europe sociale et démocratique, les libéraux n’ont même pas besoin, eux, d’être bien nombreux, de descendre dans la rue, de gagner des référendums, de rejeter des traités qui gravent dans le marbre des conceptions politiques particulières de l’Union européenne ou encore d’élire, à l’occasion des prochaines élections européennes, des représentants défendant réellement leurs intérêts. Comme le démontrent François Denord et Antoine Schwartz dans « L’Europe sociale n’aura pas lieu », l’utopie néo-libérale a justement été réalisée à l’échelle du continent grâce à ces cinquante ans de construction européenne. Le cadre institutionnel de l’Union roule pour les partisans des marchés libres : unanimité toujours requise au Conseil des ministres sur les grandes questions sociales ou celles liées à la fiscalité, indépendance de la Banque centrale européenne ou de la Commission placées hors du contrôle démocratique… Le processus d’un élargissement sans harmonisation sociale dilue, lui aussi, toute perspective d’une Europe qui puisse aller au-delà de la simple mise en concurrence générale des sociétés entre elles.

Tout n’est peut-être pas joué pour autant, car les néo-libéraux ont, malgré tout, été effarouchés par les résultats des consultations populaires sur le traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas. « L’une des grandes leçons des référendums, c’est que les Européens ayant le sentiment que les Etats membres ne pourraient plus leur garantir un certain niveau de protection sociale vont rejeter l’Union européenne », observe par exemple la Konrad Adenauer Stiftung, une fondation très proche de la CDU allemande, l’une des pièces maîtresses du réseau de think tanks ultra-libéraux européens, rassemblés dans l’European Ideas Network. Mais aujourd’hui, à la faveur de la « paralysie » de l’Union européenne, les libéraux comptent bien enrayer toute velléité de construire autre chose qu’un grand marché. Et chez certains d’entre eux, déjà, pointe un nouveau rêve, celui de parachever les libéralisations dans l’Union en effaçant définitivement les pourtant très modestes capacités de régulation qui subsisteraient à l’échelle européenne. En somme, après avoir privé les Etats de leurs prérogatives essentielles en matière économique, budgétaire et monétaire, il s’agirait de retirer à l’Union européenne toute ambition politique commune.

Souvent outranciers et pousse-au-crime, parfois énamourés, gais comme des pinçons ou agiles comme des cabris : « L’Europe, l’Europe, l’Europe… Oui, à fond, mais celle-ci, et pas celle-là ! » L’Humanité est allée lire et écouter ce que disent les néo-libéraux du passé, du présent et de l’avenir de l’Union européenne quand ils sont entre eux, dans leurs colloques ou leurs salons.


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