Le PS est lâché par une partie de ses économistes au profit du Front de Gauche (Article issu de Mediapart)

samedi 30 mai 2009.
 

L’appel publié dans Libération s’intitule « Europe : pour changer de cap ». Signé par 36 économistes français à l’approche des élections européennes du 7 juin, c’est un texte de campagne, en défense du Front de gauche, né du rapprochement entre le très vieux parti communiste et le très jeune parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon (ainsi que d’anciens minoritaires de la LCR).

« Nous nous sommes retrouvés sur une position simple : le marché a du bon, la concurrence aussi, mais il faut une intervention de l’Etat », résume Christophe Ramaux, maître de conférences à Paris-1, à l’origine du texte, et récent encarté au PG. « C’est un appel à constituer quelque chose à gauche du parti socialiste », poursuit Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ehess.

On trouve de tout dans les signataires - des keynésiens, des marxistes, des régulationnistes, des écolos, des souverainistes de gauche - mais « ce n’est pas pour autant une synthèse molle », se défend Ramaux. Une première tribune du même collectif, parue dans Le Monde du 2 mai, annonçait la couleur, en prenant acte de l’échec du « dirigisme libéral ». Propositions parmi d’autres de ces universitaires étiquetés « critiques » : vaste plan de relance des transports publics en Europe (financé par l’emprunt), relèvement des salaires et des prestations sociales sur le continent, faire du plein emploi un des objectifs d’une BCE soumise au contrôle politique, mise en place de « protections » (mais pas de « protectionnisme ») face aux lois du libre-échange, progressivité de l’impôt.

Pour Mélenchon, c’est un joli coup. L’ex-socialiste doit se frotter les mains. Jusqu’à présent, le corpus économique du Parti de gauche se limitait à trois noms. Un : Jacques Rigaudiat, ex-conseiller de Michel Rocard puis de Lionel Jospin, à Matignon. Deux : Jacques Généreux, prof d’éco à Sciences-Po, ex-aile gauche du PS, rallié en novembre au PG, aujourd’hui tête de liste du Front de gauche dans l’Ouest. Trois : une frange du mouvement écolo « Utopia », dont l’animateur, Franck Pupunat, a lui aussi récemment quitté le PS pour le Parti de gauche.

Si la grande majorité des signataires de cet appel ne prévoit pas de prendre sa carte, au PG pas plus qu’au PC, il n’empêche : leur démarche crédibilise deux partis qui ne s’étaient pas montrés, ces derniers mois, à la pointe de la réflexion sur la crise économique mondiale.

« Des preuves d’amour »

Les racines de ce collectif d’universitaires sont anciennes. Certains s’étaient déjà croisés en 1997, autour du retentissant Appel des économistes à sortir de la pensée unique (contre le « carcan », à l’époque, du traité de Maastricht). Ils se sont ensuite retrouvés sur des positions communes, au fil des grands débats économiques des dernières années : sur les retraites en 2003, la constitution européenne en 2005 et le Contrat Premier Emploi en 2007.

Plus récemment, dix des signataires avaient co-signé un autre appel, en novembre 2008, en faveur de la candidature de Benoît Hamon au poste de premier secrétaire du PS. Leur texte, à l’époque, prônait à peu près la même chose qu’aujourd’hui, allant d’une « refonte » des statuts de la BCE au déploiement de « protections » face au libre-échange, passant par un « contrôle » accru des marchés financiers. En clair : il n’a même pas fallu six mois à la plupart des économistes soutenant l’aile gauche du PS pour la déserter. Sans changer de discours pour autant.

Explication de Richard Sobel, maître de conférences à Lille 1, signataire de l’Appel pour le front de gauche : « J’ai défendu la candidature de Benoît Hamon au poste de premier secrétaire. Il ne vous a pas échappé qu’il ne l’est pas devenu. Aujourd’hui, il est pris dans des compromis politiques. Il a des responsabilités au PS. Ça l’engage. Pas nous. » Même position pour Bruno Amable, prof à Paris 1, disciple de Robert Boyer, et l’un des meilleurs observateurs de la crise actuelle (déjà interviewé ici sur Mediapart) : « Hamon, c’était une tentative, en apparence, de marquer le PS à gauche. Mais le parti est reparti avec ces histoires habituelles de compromis... »

Plus direct, Jacques Sapir estime que « Hamon s’enlise au Parti socialiste ». Qu’il semble déjà loin, le temps rêvé où l’eurodéputé, alors en campagne pour prendre les rênes du PS, renforçait sa légitimité grâce à sa lecture de la crise et à un programme économique plus percutant que ses collègues... En octobre 2008, l’eurodéputé socialiste avait par exemple organisé un débat sur la crise pour défendre sa motion, en compagnie de Bernard Maris, Frédéric Lordon et Jacques Sapir.

Joint par Mediapart, l’actuel porte-parole du PS n’a pas souhaité s’exprimer sur cet appel des 36. De son côté, Liem Hoang-Ngoc, l’un des proches de Hamon - et numéro deux de la liste PS dans l’Est pour les européennes -, voit dans ce texte « une interpellation du Parti socialiste ». « Il y a dans cet appel des collègues qui attendent que le PS leur donne des preuves d’amour. C’est de bonne guerre... », estime le secrétaire adjoint au PS à l’économie, qui reconnaît partager une bonne partie des propositions.

Pour Richard Sobel, l’un des signataires de l’appel, l’affaire est plus grave : « Le PS est en convalescence avec les intellectuels critiques. Les économistes du PS ne sont pas très audacieux, et sur le plan académique, ce sont souvent des adversaires... »

Et pendant ce temps-là, Terra Nova, « think tank progressiste » affilié au PS, réfléchit à la crise en invitant Jacques Attali.


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