L’Europe et le vin (article unitaire Front de Gauche)

samedi 19 novembre 2011.
 

Rappel : France 1er producteur et 1er exportateur mondial de vin

L’excédent viticole annuel de la France = l’équivalent de la vente de 100 Airbus

Languedoc Roussillon = 1ère région viticole française (40 % de la production nationale) et plus grande d’Europe

L’origine française de la politique européenne du vin

C’est la France qui a souhaité décliné la PAC en matière viticole dans les années 70. S’est ainsi développé une « Organisation commune de marché » (OCM) Vin qui s’est largement appuyée sur les principes de la régulation viticole française (encadrement administratif des droits de plantation des vignes, défense des appellations d’origine, promotion de la qualité par la diffusion de pratiques œnologiques exigeantes et la réduction des rendements, garantie des prix via des mécanismes de stockage et de distillation en cas de surproduction)

Un système de régulation à la française très « collectif »

Face au désastre du jeu sauvage du marché au début du siècle (dumping sur la qualité, y compris à travers des fraudes), la France s’est dotée, dans le sillage du mouvement coopératif et de la révolte de 1907 d’un système de régulation collective et administrative du secteur. Afin de garantir la qualité et de protéger la valeur des « appellations » au bénéfice de tous les vignerons (AOC créées en 1935), le libre jeu du marché est fortement limité. On ne peut pas planter de vigne sans droit à plantation octroyé par l’INAO en lien avec les syndicats d’appellation. Et le règlement de chaque appellation fixe non seulement les contours de zones de production mais détermine aussi les cépages qui peuvent être utilisés, ainsi que les rendements et pratiques œnologiques admises pour produire le vin de cette appellation. L’ensemble de cette réglementation codifie ce que l’on appelle le « terroir », qui est la rencontre entre un sol, un climat et des pratiques viticoles affinées au fil des expériences. Cet encadrement est très strict (il va jusqu’à préciser l’espacement admis entre les pieds de vigne ou les techniques de taille et de palissage qui varient d’une appellation à l’autre). Mais ce système « collectif » est très majoritairement défendu par les vignerons. Pour deux raisons : il fait l’objet d’une co-production permanente entre l’Etat et la profession. Et surtout il garantit la bonne monnaie des AOC et empêche le dumping aussi bien agricole que social ou environnemental (par exemple on ne peut pas augmenter artificiellement les rendements par l’irrigation pour concurrencer le voisin).

Il institue ainsi un certain nombre d’encadrements des conditions de production, même s’il n’a pas échappé le développement de conditions de travail extrêmement dures pour les saisonniers et les ouvriers agricoles, et en particulier par l’emploi d’une main d’œuvre souvent d’origine immigrée dont les droits sont très rarement respectées.

Un modèle viticole du Nouveau Monde qui privilégie au contraire le libre marché

Ce système est radicalement différent du modèle viticole adopté aux Etats-Unis et chez les producteurs de vin du Nouveau monde (Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Argentine, Chili). Dans ces pays, la production et la fabrication du vin obéissent surtout au libre jeu du marché, ce qui a conduit à une industrialisation rapide du secteur. En Australie 4 firmes contrôlent 60 % de la production alors qu’en France les 10 premières firmes viticoles n’en contrôlent que 25 %. Le modèle viticole « libéral » du Nouveau Monde conduit à développer toutes sortes de pratiques œnologiques pas toujours compatibles avec la qualité du produit et la santé du consommateur. L’accent est mis sur la fabrication « artificielle » du vin beaucoup plus que sur la culture des raisins. La notion de terroir délimité par une AOC est très marginale. Certains tenants de ce modèle viticole « anglo-saxon » vont jusqu’à dire que « le terroir n’existe pas » (d’ailleurs le mot est intraduisible en anglais) et que donc il n’y a besoin d’aucune réglementation particulière pour produire du vin.

C’est ce modèle viticole qui prend aujourd’hui le dessus au niveau mondial, ce qui conduit l’Union européenne à vouloir normaliser le modèle européen ... au prix d’une gigantesque dérèglementation.

La réforme de 2008 de l’OCM Vin : une dérèglementation à outrance

La Commission européenne a présenté en 2006 un projet de réforme de l’OCM Vin destiné à mettre la viticulture européenne au standard du marché mondial et à augmenter sa compétitivité. Le tout via une approche totalement idéologique qui méconnaît souvent la réalité du vin en Europe (et singulièrement en France)

Cette réforme a été discutée pendant 2 ans et adoptée en 2008 en dépit de la résistance de la France (molle notamment sous l’impulsion du ministre Barnier plus soucieux de jouer les bons élèves de l’Europe que les défenseurs de la viticulture française). Cette réforme prévoit une nouvelle campagne d’arrachages subventionnés (la Commission tablait au départ sur 400 00 hectares à arracher, mais a dû descendre à 180 000). Et elle met fin à la plupart des mécanismes de régulation des prix, en ne conservant la possibilité de distillation garantie des excédents qu’en cas de forte crise du marché.

Surtout, cette réforme comporte 2 principes lourds de dangers pour le système viticole « à la française » :

1° La fin du système des « droits à plantation » : menace sur les AOC

C’est un échec des représentants la France qui demandait à pérenniser le régime des droits à plantation, qui existe depuis le début de l’OCM Vin et qui est consubstantielle au système des AOC (on ne plante pas ce qu’on veut où on veut). La France n’a obtenu que le report de 2013 à 2015 de cette fin des « droits à plantation », avec la possibilité de le maintenir à titre dérogatoire en France jusqu’en 2018. Reste que sur le principe, tout le système des plantations va être dérégulé d’ici 2018 si on ne revient pas sur cette réforme.

Désormais on pourra planter autant de vignes que l’on veut où l’on veut, au gré du jeu du marché. La commission table ainsi sur un ajustement du secteur par le libre jeu de la concurrence. L’idée est de favoriser et d’accélérer les plantations là où c’est rentable et d’abandonner la vigne là où ça ne l’est pas, le libre jeu des investisseurs étant censé régulé le tout.

Or ce raisonnement est doublement aberrant. D’abord parce qu’il risque de déboucher à court terme sur de nouvelles surproductions. Il est donc contradictoire avec la politique d’arrachage impulsée par ailleurs. Ensuite et surtout il méconnaît complètement la notion de « terroir » sur laquelle reposent les AOC et donc une grande partie de la production. Le raisonnement de marché de la Commission passe à côté de la réalité d’une production viticole de qualité qui est contrainte par les types de sols et qui est par définition non extensible à l’infini. Par exemple, on ne peut pas dire que parce que les appellations Saint-Emilion ou Châteauneuf du Pape sont très rentables, il faut massivement planter là-bas et pas ailleurs. On ne pourrait le faire qu’au détriment de la qualité globale de ces AOC, en élargissant leur périmètre à des terroirs plus hétérogènes et moins qualitatifs. A terme la fin des droits à plantation risque donc de faire s’effondrer le système des AOC, la réponse collective trouvée dans les années 20 et 30 pour sortir du désastre du marché sauvage du vin. Cette fragilisation des AOC fera aussi reculer la qualité.

2° L’assouplissement et la « normalisation » des pratiques œnologiques

C’est un autre point très grave que les représentants de la France ont finalement laissé passer. Alors que jusque là la liste des pratiques œnologiques admises ou interdites était du seul ressort des Etats au Conseil, cette compétence est transférée à la Commission par la réforme de 2008.

Et dans sa logique d’alignement sur le marché mondial, la Commission veut normaliser les pratiques européennes sur le modèle des pratiques de l’industrie viticole du Nouveau Monde. Parmi ces pratiques jusque là honnis on trouve notamment le mélange de vins de diverses origines ou couleurs. Ou encore l’adjonction au vin de toutes sortes d’additifs : des copeaux de bois, aux levures OGM en passant par des additifs aromatiques voire des colorants. Sans parler de techniques de vinification dignes de l’industrie chimique : osmose inverse pour concentrer les mouts issus de raisins à trop gros rendements, utilisation de neige carbonique pour accélérer les macérations ... Toutes ces innovations, courantes dans le « nouveau monde », ne visent qu’un seul objectif : réduire les coûts de fabrication à court terme et standardiser le plus possible le goût du produit sur de très grandes quantités. Par exemple, l’élevage en barrique de chêne étant jugé trop long et coûteux, on va utiliser les déchets de menuiserie, les fameux copeaux, très peu couteux, pour boiser les vins à grande vitesse. Au détriment de l’élevage des vins et donc de leur goût. Ce renforcement de la concurrence dans ce secteur ne peut que dégrader encore plus les conditions de travail des salariés agricoles, qui serviront de variable d’ajustement pour renforcer la compétitivité des producteurs. De plus, ces pratiques œnologiques participent d’un modèle viticole productiviste et industriel. Pas besoin de ménager les sols ou la plante quand on peut reconstruire le goût du vin dans sa fabrication. Ce modèle laisse donc libre cours à l’irrigation, aux engrais de synthèse et aux pesticides, au service de l’augmentation des rendements. Là où la quête de qualité du modèle des AOC conduisait au contraire à les réduire. Les pratiques œnologiques « modernes » du Nouveau Monde nécessitent aussi souvent des installations technologiques peu compatibles avec une agriculture paysanne de petites exploitations.

L’affaire du « rosé » : une conséquence directe de la dérèglementation de 2008

C’est exactement la même logique de marché qui prévaut avec le mélange du rouge et du blanc pour faire du rosé. C’est une pratique employée en Australie, aux Etats-Unis et en Afrique pour recycler les invendus de vin blanc de mauvaise qualité. Car pour faire du rosé par coupage il faut beaucoup de blanc et un peu de rouge. Le tout au détriment de la qualité et même de la santé des consommateurs (les blancs de faible qualité sont peu digestes et génères divers troubles)

La possibilité de mélanger blanc et rouge pour faire du rosé fait donc partie de la liste des pratiques œnologiques « nouvelles » que la Commission entend autorisé en Europe. Elle a commencé à les inscrire dans un projet de règlement qui est soumis au Conseil depuis janvier 2009.

Le gouvernement français s’est illustré en parfait bon élève libéral de l’Europe sur de dossier. En effet, lors de la première réunion consultative du Conseil agriculture sur ce sujet le 27 janvier, le ministre Barnier n’a formulé aucune opposition. Alors même que certains pays contestaient le règlement proposé par la Commission, à commencer par l’Allemagne. Barnier dénonce donc aujourd’hui une mesure à laquelle il n’a rien trouvé à redire quand il était à Bruxelles.

La réponse de la Commission aux critiques sur le rosé n’est pas moins surprenante. Plutôt que d’essayer d’argumenter sur le fond du dossier, elle a renvoyé la question à l’OMC, qui doit rendre un avis sur le sujet d’ici juin. La décision finale du Conseil sur ce dossier est donc reportée d’autant.


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