Ecologie et libéralisme économique sont incompatibles Réponse à Alain Lipietz par six économistes qui soutiennent le Front de Gauche

dimanche 7 juin 2009.
 

Alain Lipietz vient de publier une critique de l’Appel des 42 économistes en faveur du Front de gauche. Ci-dessous la réponse de six de ces économistes parmi lesquels Bernard Guibert, ancien responsable de la commission Economie des Verts (de 1998 à 2006)

L’écologie, à l’instar du « social », ne s’accommode pas du libéralisme économique : cette conviction est au cœur de l’Appel des économistes en faveur du Front de gauche.

Si le marché et la concurrence ont parfois du bon, il est des choses qu’ils ne savent pas faire : assurer le plein emploi, la satisfaction d’une série de besoins sociaux ou répondre à l’impératif écologique. Cela s’explique aisément au fond, si du moins on accepte de considérer, à l’encontre des libéraux, que le tout n’est pas réductible au jeu des parties, l’intérêt général à celui des intérêts particuliers.

L’écologie engage le long terme et le collectif : deux dimensions que le marché et la recherche du profit à court terme sont bien en peine d’assumer. C’est bien pourquoi elle exige une intervention publique forte, une « véritable planification ». Or les traités européens empêchent cela. Dès le traité de Rome, la concurrence a été élevée au pinacle. Et depuis l’Acte unique de 1986, cela n’a cessé d’être durci : la concurrence est première, le reste lui est soumis. D’où ce résultat qui peut difficilement être nié : dans les traités, l’Union européenne est d’abord définie et structurée comme un espace marchand où règne la liberté de circulation des marchandises et des capitaux à la fois « en interne » (entre les 27) et avec le reste du monde. L’intervention publique est systématiquement combattue, corsetée : politiques monétaire, budgétaire (à la fois des Etats et de l’Union), industrielle, commerciale, services publics - appréhendés sous l’angle des Services d’intérêt économique général (SIEG) ouverts à la concurrence, etc. La crise écologique exige de déployer tous ces instruments, et c’est pourquoi il nous semble judicieux de réhabiliter la notion de planification : les traités ne l’autorisent pas. Pas plus celui de Lisbonne que les traités antérieurs.

C’est bien là l’essentiel : au lieu de se contenter de fixer des règles institutionnelles de « vie en commun » qui permettraient ensuite aux peuples d’exercer leur choix, les traités dictent, avec un souci du détail qui confine à l’obsession, les « bonnes politiques » économiques libérales à mettre en œuvre. La question que nous posons à Alain Lipietz est simple : peut-on mettre l’écologie au cœur d’une action publique qui n’a de cesse de valoriser des politiques économiques libérales ? Notre réponse est : non. Alain Lipietz indique que nous n’accordons que trois lignes à l’écologie. C’est inexact. L’écologie irrigue l’ensemble des deux textes que nous avons soumis au débat (Europe : sortir du dirigisme libéral et Europe : pour changer de cap). Juste en dessous des lignes qu’il cite, il est d’ailleurs indiqué : « la mondialisation libérale est une catastrophe pour l’environnement. Fermer des usines en Ecosse, proches du lieu de pêche, pour décortiquer des langoustines en Thaïlande, puis les réimporter : est-ce cela le rêve européen ? Favoriser la relocalisation des activités et celles qui polluent peu - comme la plupart des services publics - est une première façon de concilier plein emploi et écologie. Il en est une autre : la baisse du temps de travail ». Le cauchemar de la langoustine résume parfaitement l’Europe telle qu’au fond elle se fait : libre-échange et liberté de mouvements de capitaux conduisent aux désastres social et écologique.

L’écologie exige de relocaliser drastiquement certaines productions et de privilégier les circuits courts : cela passe par la domestication de la finance, le contrôle des mouvements de capitaux et la remise en cause du libre échange. Elle suppose un vaste plan de soutien (nous proposons un emprunt de 2 % du PIB de l’Union) pour les transports collectifs, la rénovation énergétique des bâtiments ou bien encore la recherche en faveur des énergies renouvelable, car la réduction de la consommation énergétique - en tout premier lieu - et le développement des énergies renouvelables sont indispensables pour envisager une sortie progressive du nucléaire qui ne se traduise pas par un surcroît de consommation d’énergie fossile émettrice de GES.

A la suite des traités antérieurs, tout cela est interdit par celui de Lisbonne. Pire, l’Union vient de s’engager - avec le soutien des députés Verts européens dont nombre d’entre eux se sont par ailleurs prononcés en faveur de la libéralisation du secteur de l’énergie et de l’électricité - dans la mise en place du grand marché transatlantique en 2015. Au sujet de la PAC, les quelques prérogatives supplémentaires offertes au Parlement européen permettront-elles de lutter contre son productivisme auquel il convient de façon générale de s’opposer ? Il aurait fallu au préalable que les traités ne lui assignent pas comme premier but d’« accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre » (repris dans l’art. 39 du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’UE).

Les marchés de droits à polluer - qui ont le défaut de ne concerner que les émissions de CO2 - passent certes par une certaine forme de planification par les quantités puisque des droits sont distribués par la puissance publique. Alain Lipietz, qui n’est pas un économiste libéral, n’ignore cependant pas que ce système a été conçu par des économistes libéraux avec l’idée suivante : les imperfections sur les marchés peuvent être gérées par le marché lui-même... en inventant un « marché des imperfections » ! La défense de ces marchés ne cesse d’autant plus de surprendre qu’ils s’accompagnent d’ores et déjà d’innovations financières familières (produits dérivés...) et qu’ils autorisent, via le Mécanisme de développement propre (MDP), ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « nouveau néocolonialisme vert ». Une entreprise d’un pays développé peut, en effet, accroître ses « permis à vendre » au Nord en encourageant un projet « moins sale que la moyenne » dans un pays du Sud.

Alain Lipietz soutient enfin que « les Non successifs à toute réforme » seraient responsables de l’incurie de l’Union. Il se félicite des bribes de pouvoir supplémentaire données au Parlement européen par le traité de Lisbonne. Notre conception de la démocratie est plus exigeante. A l’instar des précédents, ce traité fige, dans un sens libéral, le contenu des politiques. A quoi sert de renforcer les pouvoirs du Parlement européen, si, sur ces questions essentielles, tout est tranché en amont ? Cela n’est pas acceptable et rend d’ailleurs largement superfétatoire, aux yeux des citoyens, les débats « institutionnels » (pondération des voix au Conseil, champs de la majorité qualifiée, domaines de codécision entre le Conseil et le Parlement, etc.), lesquels méritent mieux que le simple éloge indifférencié des pouvoirs d’un Parlement bien mal élu. Quoiqu’il en soit, ce traité reprend la quasi-totalité des dispositions du Traité constitutionnel qui a été massivement rejeté - avec un taux de participation record cette fois - par référendum. C’est une entorse particulièrement grave à la démocratie.

La crise du capitalisme libéral est globale : à la fois économique, sociale, écologique et démocratique. Elle exige une réponse globale, certainement européenne, mais qui passe par la « remise à plat » de la construction l’Union et des traités. C’est le sens des deux textes que nous avons soumis au débat et de notre soutien à la démarche unitaire du Front de gauche. Dans cet engagement, la dimension écologique est essentielle. La dimension démocratique l’est tout autant : notre premier texte s’intitulait, et ce n’est pas pour rien, « Europe : pour sortir du dirigisme libéral ».

Eric Berr (Bordeaux 4), David Flacher (Paris 13), Bernard Guibert (économiste-statisticien), Florence Jany-Catrice (Lille 1), Dominique Plihon (Paris 13),Christophe Ramaux (Paris 1),


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